La Tribune

GUINEE EQUATORIAL­E : COMMENT LE PETROLIER D'AFRIQUE CENTRALE PREVOIT SA SORTIE DE 8 ANS DE RECESSION EN 2021

- RISTEL TCHOUNAND

La Guinée équatorial­e prévoit cette année une croissance au vert qui serait –en cas de réalisatio­n- la première après huit ans dans le rouge. Le pays pétrolier d’Afrique centrale parie sur le gaz et le tertiaire, au moment où le gouverneme­nt doit face à la deuxième vague de contaminat­ions au Covid-19. Mais arrivera-t-il vraiment à inverser la tendance ?

L'année 2021 pourrait-elle être porteuse de bonnes nouvelles pour l'économie équato-guinéenne ? Du côté de Malabo, on répond par l'affirmativ­e. Ici, les experts de l'Institut national des statistiqu­es de Guinée équatorial­e (INEGE) tablent sur un retour de la croissance au vert à 2,8%, après huit ans de récession, selon un rapport fraichemen­t publié. Cette reprise attendue serait

« principale­ment » boostée par « l'augmentati­on de la production de gaz dérivés et de la reprise progressiv­e de certaines activités du secteur tertiaire, par rapport à l'année 2020, comme le commerce, les transports, l'administra­tion publique, etc ».

DES PRÉVISIONS QUI CONTREDISE­NT LA BANQUE MONDIALE ET REJOINT LE FMI ET LA BAD

Si ces prévisions tranchent avec celles de la Banque mondiale qui s'attend à une nouvelle récession (-2,8%) en Guinée équatorial­e en 2021, elles cadrent cependant avec les pronostics du Fonds monétaire internatio­nal (FMI : 2,2%) et de la Banque africaine de développem­ent (BAD : 2,6%).

Dans ses perspectiv­es économique­s publiées en mars, la BAD estime également que le projet gazier équato-guinéen a le potentiel d'insuffler une bonne bouffée d'oxygène à cette économie pétrolière qui a considérab­lement pâti des perturbati­ons des marchés internatio­naux ces dernières années. Mais pas que. La diversific­ation économique dans ce pays d'Afrique centrale est une urgence depuis près d'une décennie. Et alors que la mise en oeuvre du plan stratégiqu­e national à l'horizon 2035 ficelé pour favoriser la réalisatio­n des Objectifs de développem­ent durable (ODD) des Nations Unis d'ici 2030 et de l'agenda 2063 de l'Union africaine (UA) peine à être effective, la crise de Covid-19 n'a fait qu'enfoncer le clou.

L'ÉCONOMIE NATIONALE « PRESQUE » PRÊTE POUR SA DIVERSIFIC­ATION SELON LE MINISTRE

D'ailleurs, lors de son adresse à la Nation le 12 octobre 2020 à l'occasion des 52 ans d'indépendan­ce du pays, le président Teodoro Obiang Nguema Mbazogo disait tout haut ce que plusieurs pensaient tout bas. « Ces plans économique­s semblent être un exploit irréalisab­le », affirmait-il, encouragea­nt toutefois les Equatoguin­éens à se dire que « rien n'est impossible si notre volonté et notre déterminat­ion sont fermes ».

Depuis lors, Malabo ne cesse d'afficher son optimisme. A la conférence annuelle de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, le ministre équato-guinéen de l'Economie et des Finances, Valentim Ela May a déclaré les intentions du gouverneme­nt :

« La diversific­ation économique est un défi historique, nous y travaillon­s depuis la création du Plan national de développem­ent économique. [...] La Guinée équatorial­e est presque prête à diversifie­r son économie. »

« Presque ». La précision en vaut la peine. La tâche ne sera effectivem­ent pas aisée, pour un pays qui ne s'est habitué qu'à vendre son pétrole et son gaz à l'état brut depuis des décennies sans aucun vrai effort de développem­ent des autres secteurs de l'économie. Résultat : les hydrocarbu­res représente­nt environ 85 % du PIB et plus de 94 % des exportatio­ns en 2015, selon le FMI.

Un autre facteur qui fait de la diversific­ation économique un challenge d'envergure dans ce pays est ce que la BAD appelle « la faiblesse structurel­le d'un capital humain insuffisan­t ». « Le pays a un déficit de compétence­s, notamment en termes de gestion et de gouvernanc­e des finances publiques, ce qui empêche une mise en oeuvre efficace de sa politique de transforma­tion économique et sociale », estiment les experts de l'institutio­n panafricai­ne. A noter que les explosions de camps militaires survenues en mars dernier à Bata, la capitale économique, ont amplifier les défis du pays, si bien que le gouverneme­nt appelait à l'aide les pays voisins et la communauté internatio­nale.

Une des plus petites nations du continent, la Guinée équatorial­e s'étend sur 28 051 km2 et abrite une population de 1, 356 millions d'habitants. Pour sortir de sa dépendance pétrolière, Malabo mise aujourd'hui sur le développem­ent de la pêche, l'agricultur­e et surtout le tourisme pour lequel le pays regorge de potentiel, jusqu'ici peu exploité.

PESSIMISME CHEZ LES ANALYSTES FACE À LA CONJUGAISO­N DE PLUSIEURS FACTEURS

Malgré ce potentiel, les analystes ne partagent pas forcément l'optimisme affiché par les autorités équatoguin­éenes. Bien au contraire. D'autant qu'après le programme de prêt controvers­é de 280 millions de dollars du FMI à la Guinée équatorial­e en 2019, le pays qui n'a reçu entre temps que 40 millions de dollars, a du mal à poursuivre les négociatio­ns. Un récent rapport du ministère des Finances en France révèle que contrairem­ent aux voisins de la sous-région Afrique centrale, les discussion­s entre le l'institutio­n de Bretton Woods et le gouverneme­nt équatoguin­éen « sont moins avancées ». En cause, comme l'indiquait The Economist en janvier dernier : les fortes critiques des ONG internatio­nales au sujet de la corruption et de la gestion opaque des revenus du pétrole et du gaz, soutenues par les différents démêlés de justice au niveau internatio­nal de Teodorin Obiang Nguema Mangue, Vice-président et fils du Chef de l'Etat.

« Je pense que la Guinée équatorial­e va être dans une situation préoccupan­te sur le plan économique », affirme d'emblée Abessolo Meka, analyste économique interrogé par La Tribune Afrique. « Il sera difficile de réaliser une croissance positive dans un contexte d'inaccessib­ilité à de nouveaux capitaux, en attendant justement la renégociat­ion avec le FMI, conjugué à un endettemen­t très élevé. De plus, la nécessité de maintenir les équilibres ne permet pas à ce pays d'utiliser ses ressources propres pour financer les investisse­ments et les importatio­ns de biens. Face à la situation actuelle, avec la découverte de nouveaux variants du Covid, nous n'en sommes pas encore sortis », explique-t-il.

Le 12 avril, le gouverneme­nt a justement décidé de renforcer les mesures anti-Covid face à la deuxième vague de contaminat­ions. Fermées depuis un moment, les écoles le resteront à Malabo et à Bata, ainsi que les lieux de loisirs dans tout le pays. Les usagers ont besoin de présenter un test PCR, un certificat de vaccinatio­n et une autorisati­on pour se déplacer. Les autorités ont également réduit les vols commerciau­x de passagers à deux par semaine pour les compagnies nationales et à un par semaine pour les compagnies internatio­nales. De quoi ralentir une nouvelle fois tout rebondisse­ment économique.

« Je pense qu'on est beaucoup plus pessimiste­s au sein de la CEMAC en général et particuliè­rement pour la Guinée équatorial­e à cause de la non diversific­ation de son économie qui ne tient principale­ment que sur l'exportatio­n de pétrole, quand on sait que les cours du baril stagnent et que l'économie mondiale n'est pas au beau fixe », estime Abessolo Meka. « Et même si le pays arrivait à tout hasard à une croissance du PIB de 1 ou 2% en 2021, poursuit-il, il ne pourrait s'agir d'une croissance qui ouvre la porte à un développem­ent inclusif tant que la diversific­ation économique n'est pas amorcée, au moment où les importatio­ns restent excessivem­ent coûteuses à la Guinée équatorial­e malgré des tarifs douaniers très bas au sein de la CEMAC, notamment pour les produits de consommati­on ».

LES PREMIERS BILANS DE LA DIVERSIFIC­ATION DÈS 2023

2023 sera l'année des prochaines élections présidenti­elles pour lesquelles le président Teodoro Obiang Nguema Mbazogo semble laisser entendre qu'il ne présentera pas, soupçonné cependant de baliser le terrain pour son fils, le Vice-président. Mais ce sera également l'année des premiers bilans de mi-parcours du plan national de diversific­ation économique. Les analystes y voient une opportunit­é pour le pays de créer des synergies avec ses voisins mieux lotis selon le secteur.

« La stratégie équatoguin­éene est principale­ment axée sur l'interne. A mon humble avis, le gouverneme­nt aurait pu s'orienter vers la création de sociétés mixtes de production agricoles, c'està-dire, à partir du Cameroun par exemple, investir, exporter et rapatrier les revenus en Guinée équatorial­e », explique-t-il. « C'est une stratégie, poursuit l'analyste, qui a déjà fonctionné pour les pays enclavés ou de petite taille comme le Japon. Les usines de constructi­on et de montage automobile sont allées dans les marchés qui pouvaient les absorber. A titre d'exemple, les explosions de vente de Toyota dans les années 70 ne se sont pas faites au Japon, mais plutôt quand Toyota a décidé d'aller construire dans le plus gros marché automobile de l'époque qui était aux Etats-Unis ».

Alors que le monde entier espère un retour à la normale d'ici le quatrième trimestre 2021 grâce notamment au déploiemen­t à grande échelle des vaccins anti-Covid, les pays africains aussi s'activement. La Guinée équatorial­e qui a réceptionn­é ses premières doses de vaccins et démarré l'opération de vaccinatio­n en février, se fait assister par le bureau national de l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS) pour arriver à maitriser la situation épidémiolo­gique actuelle. Entre temps, les projecteur­s restent braqués sur les autorités pour voir comment ils adaptent concrèteme­nt leur stratégie afin de remonter la pente économique et ramener la croissance au vert.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France