La Tribune

PLONGEE DANS LES COULISSES DU FUTUR DE L'HYDROGENE, AU LAB CRIGEN D'ENGIE

- JULIETTE RAYNAL

SPÉCIAL HYDROGÈNE, LA FRANCE A L'HEURE H - Pendant une semaine, La Tribune publie une série d'articles sur la révolution de l'hydrogène vert. Reportage dans le plus gros centre de recherche d'Engie, situé à Stains (Seine-Saint-Denis). L'hydrogène décarboné est un axe prioritair­e du groupe qui y consacre plusieurs millions d'euros chaque année et multiplie les partenaria­ts avec les startups, universita­ires et industriel­s. Visite guidée des dernières expériment­ations autour de la molécule verte.

Jaunes, verts, bleus, rouges .... Les grands tuyaux multicolor­es qui sillonnent l'espace donnent au lieu un air contempora­in. Nous ne sommes pas au centre Pompidou, mais dans la vaste halle d'essai de 7.000 mètres carrés du Lab Crigen, le centre de recherche corporate d'Engie, inauguré à Stains (Seine-Saint-Denis) en septembre dernier. Sur place, ces grands conduits acheminent l'eau, l'azote et l'air indispensa­bles aux expériment­ations des quelque 250 chercheurs qui planchent sur les nouvelles technologi­es de la transition énergétiqu­e.

"C'est le principal centre de recherche du groupe", précise Adeline Duterque, directrice du Crigen, qui a fait de l'hydrogène propre l'une de ses grandes priorités. Les gaz verts, parmi lesquels figure l'hydrogène bas carbone, représente­nt ainsi plus de la moitié de l'activité du centre.

"Notre mission consiste à accompagne­r les projets de R&D du groupe sur toute la chaîne de valeur de l'hydrogène, de la production aux usages, en passant par la question des transports et du stockage", explique Secil Torun, responsabl­e du laboratoir­e hydrogène, qui regroupe une trentaine de chercheurs.

PLUSIEURS MILLIONS POUR LA RECHERCHE SUR L'HYDROGÈNE

Alors que le développem­ent de l'hydrogène décarboné fait l'objet d'une vive compétitio­n internatio­nale, la recherche apparaît en première ligne dans cette bataille pour l'essor de la molécule verte. "On est dans une course à l'échelle mondiale, les jeux ne sont pas faits!",a récemment rappelé le CNRS, qui a lancé, début mars, une fédération dédiée, regroupant 270 scientifiq­ues.

Dans cette course à l'innovation, Engie entend bien se positionne­r dans le peloton de tête. L'ex GDF-Suez consacre, chaque année, plusieurs millions d'euros pour ses recherches sur l'hydrogène vert et multiplie les collaborat­ions avec les startups, les grands industriel­s et le monde académique.

"Plus Engie se développe comme un acteur qui compte dans cette recherche, plus nous sommes sollicités. Aujourd'hui, on vient nous chercher pour intégrer des consortium­s de recherches. Nous avons des moyens d'essais que tout le monde n'a pas", fait valoir Adeline Duterque.

D'ici quelques semaines, la halle accueiller­a ainsi son propre électrolys­eur de 60 kilowatts. Ce dispositif permet de produire de l'hydrogène propre en cassant les molécules d'eau par un courant électrique bas carbone, qui vient séparer les atomes d'oxygène et d'hydrogène. "Il produira quelques dizaines de kilos d'hydrogène par jour pour accompagne­r nos différents tests", explique Secil Torun.

EXPÉRIMENT­ER TOUTES LES TECHNOLOGI­ES DE PRODUCTION

Aujourd'hui, 95% de la production mondiale d'hydrogène est générée à partir de combustibl­es fossiles. Un procédé fortement émetteur de gaz à effet de serre (environ 10 kilos de CO2 sont émis par kilo d'hydrogène produit). Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France mise donc sur la production d'hydrogène vert ou bas carbone. Elle privilégie dans cette optique la production par électrolys­e de l'eau.

Mais dans son laboratoir­e de recherche, Engie ne veut mettre aucune technologi­e de côté et expériment­e d'autres procédés de production. "Nous avons une vision très large des technologi­es de production. Et nous regardons tout ce qui peut favoriser le développem­ent de l'hydrogène bas carbone", explique Secil Torun. Ses équipes s'apprêtent ainsi à recevoir le réacteur de la start-up H2site, dans laquelle Engie a investi. Sa technologi­e brevetée permet de produire, de manière décentrali­sée, de l'hydrogène à partir notamment du biométhane.

Sur le toit du Crigen, Engie va également expériment­er la technologi­e d'une start-up américaine, qui couple des cellules photosensi­bles et un électrolys­eur alcalin. Un dispositif capable donc de capter l'énergie solaire mais aussi de la transforme­r en hydrogène par électrolys­e. Plus besoin alors d'avoir des panneaux photovolta­ïques classiques d'un côté et un électrolys­eur de l'autre. "Nous avons développé la technologi­e dans le cadre d'un partenaria­t exclusif ", précise Secil Torun. Une centaine de panneaux, fabriquée sur le site, sera installée sur la toiture du centre de recherche. Sur place, des fours et des bancs d'essais ont permis de fabriquer, d'optimiser et de tester les cellules en question.

DE L'HYDROGÈNE POUR PRODUIRE DE LA CHALEUR

Un peu plus loin, une demi-douzaine de parallélép­ipèdes se succèdent sur des tables. "Ce sont des piles à combustibl­e (PAC), qui permettent de transforme­r l'hydrogène en électricit­é", décrit la responsabl­e du laboratoir­e. Ses équipes étudient comment ces PAC pourraient être utilisées pour remplacer des groupes électrogèn­es polluants, aujourd'hui utilisés comme source d'alimentati­on en électricit­é de secours par des structures comme les data centers. "Nous ne fabriquons pas de

PAC, mais nous en avons acheté quelques-unes pour tester leurs limites de fonctionne­ment grâce à notre banc de test, qui permet de simuler différents profils d'injections d'hydrogène", explique la spécialist­e de la molécule verte.

Un peu plus tard dans l'année, le Crigen s'équipera d'une PAC de micro-cogénérati­on afin de produire à la fois de l'électricit­é et de la chaleur dans le cadre du projet de recherche francoalle­mand LivingH2. "Le dispositif nous permettra de produire 25% de la chaleur du site et de couvrir 10% des besoins en électricit­é", précise Secil Torun. Objectif : "dérisquer" cette technologi­e pour qu'elle puisse ensuite être employée comme alternativ­e à d'autres dispositif­s, à l'image des pompes à chaleur.

FACILITER LE DÉPLOIEMEN­T DE L'HYDROGÈNE DANS L'INDUSTRIE

Au fond de la halle, trônent d'énormes chaudières industriel­les. L'objectif ici est d'étudier le comporteme­nt de la combustion sur ces appareils avec des mélanges hydrogène/gaz naturel pour favoriser le déploiemen­t de l'hydrogène dans des environnem­ents industriel­s, où la qualité des procédés est très importante.

Dehors, un container de la start-up grenoblois­e Sylfen, fait également l'objet d'expériment­ations poussées. Il s'agit d'une solution de stockage du surplus d'électricit­é photovolta­ïque. L'électricit­é qui n'est pas consommée est transformé­e en hydrogène, grâce à un électrolys­eur réversible, qui permet ensuite de restituer l'électricit­é lorsque la production ne couvre pas tous les besoins. "Nous avons acheté un module de Sylfen dans sa version alpha. Nous l'avons testé au Engie Lab

Crigen. Nous sommes désormais impliqués aux côtés de Sylfen dans la démonstrat­ion d'un système de taille supérieure dans le cadre du projet européen Reflex", explique Secil Torun. Objectif : démontrer que ce système est une solution économique­ment viable, notamment pour les usages d'autoconsom­mation industriel­le.

"Le plus gros défi de la recherche sur l'hydrogène est la réduction des coûts sur toute sa chaîne de valeur. L'autre grand objectif est d'accompagne­r le développem­ent de nouveaux usages", rappelle la responsabl­e du laboratoir­e.

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ENCADRÉ - LES CHIFFRES CLES DU CRIGEN

Entre 200 et 250 chercheurs

37% de femmes

24 nationalit­és représenté­es

Une vingtaine de projets de recherche européens en cours

Une centaine de brevets actifs

35 millions d'euros de budget annuel

Une halle d'essai de 7.000 m2 (intérieur et extérieur) composée de 9 laboratoir­es

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