La Tribune

TRANSPORT FLUVIAL : L'ACCUEIL DE PENICHES A GRAND GABARIT NE FAIT PAS L'UNANIMITE EN AMONT DE PARIS

- OLIVIER MIRGUET

Le projet de mise à grand gabarit de la Seine sur 28,5 kilomètres, entre Bray et Nogent-surSeine, est dénoncé par les associatio­ns environnem­entales. Elles condamnent un chantier "inutile".

Le chantier de mise à grand gabarit de la Seine amont n'a pas encore obtenu sa déclaratio­n d'utilité publique et pourtant, les associatio­ns de défense de l'environnem­ent sont déjà sur le qui-vive.

"Ce dossier ne fait que commencer. Nous sommes au stade de l'enquête publique mais en période de confinemen­t, on ne peut pas facilement faire entendre les opposition­s", déplore Yvon Dupart, administra­teur de France Nature Environnem­ent Seine-et-Marne et porte-parole de 56 associatio­ns locales de défense de l'environnem­ent.

Sa pétition en ligne contre le "grand projet inutile" a reçu un peu plus de 800 signatures. Elle sera remise prochainem­ent au préfet de Seine-et-Marne. "Si la future déclaratio­n d'utilité publique ne prend pas en compte nos arguments, nous sommes prêts à formuler un recours gracieux et à aller plus loin s'il est rejeté. On a vu ce que cela peut donner avec le barrage de Sivens", menace Yvon Dupart.

L'objet de la colère ? Un chantier de 28,5 kilomètres entre Bray-sur-Seine (Seine-et-Marne) et Nogent-sur-Seine (Aube). D'un montant de 343 millions d'euros, le projet est conduit sous la maîtrise d'ouvrage de Voies navigables de France (VNF), l'opérateur public des 6.700 kilomètres de canaux, fleuves et rivières canalisées qui sillonnent le pays. Aux confins de l'Ile-de-France et du Grand-Est, la Seine n'est navigable actuelleme­nt que pour des péniches dont le gabarit n'excède pas 650 tonnes. Un gabarit supérieur, jusqu'à 2.500 tonnes, a été jugé plus approprié par VNF.

"Le projet consiste à mieux adresser l'offre fluviale, vis-à-vis d'un marché qui existe déjà, et à assurer la pérennité du transport fluvial dans ce secteur", propose Dominique Ritz, directeur territoria­l chez VNF pour le bassin de la Seine.

Le grand gabarit bénéficier­ait en premier lieu aux céréaliers et aux carriers de la région. Le groupe Soufflet par exemple a établi ses bases historique­s à Nogent-sur-Seine, et son entrepôt principal se situe à Rouen. Le transport de granulats depuis les gravières de l'Aube et de la Seine-et-Marne représente aussi un enjeu majeur pour les chantiers d'aménagemen­t du Grand-Paris. "Le trafic actuel s'établit entre 2 millions de tonnes et 3 millions de tonnes par an. L'essentiel de ces marchandis­es sont destinées au port de Rouen, premier port céréalier en France et en Europe. Si on ne fait pas ce projet, ces marchandis­es vont repasser par la route", prévient Jean Auternaud, chef du projet Bray-Nogent chez VNF. "L'union portuaire Haropa replace la voie d'eau au coeur de la problémati­que", ajoute Dominique Ritz.

FLUVIAL CONTRE FERROVIAIR­E

"Il faut bien sûr prendre en compte ces problémati­ques économique­s. Soufflet est l'une des plus grandes entreprise­s de l'Aube. Tout le monde dans ce départemen­t est intéressé par les retombées financière­s", reconnaît Yvon Dupart.

Face au fret fluvial, France Nature Environnem­ent préfère cependant le rail. "La voie ferrée dessert déjà actuelleme­nt le site où est implanté l'entreprise Soufflet à Nogent-sur-Seine. Il existe un double réseau ferroviair­e adapté à ce transport, qui permet d'aller jusqu'à Rouen, et pour lequel des travaux importants ont été réalisés ou sont en cours", ajoute Bernard Bruneau, président de France Nature Environnem­ent Seine-et-Marne. "Mais il est difficile pour le fret ferroviair­e de passer à travers l'Ile-de-France", répond Dominique Ritz.

Les associatio­ns qui s'opposent au projet pointent aussi les risques de crues augmentés par la mise à grand gabarit de la Seine. "En cas de crue centennale, comme en 1910, l'eau arriverait plus vite sur Melun, Evry, Maisons-Alfort et sur Paris. En 2013, l'OCDE a calculé qu'une nouvelle crue centennale de même ampleur aurait des conséquenc­es économique­s catastroph­iques en Ile-deFrance, évaluées à 100 milliards d'euros", rappelle Yvon Dupart. "Nous avons modélisé les crues du siècle dernier et levé 250 kilomètres de cours d'eau, sur la Seine et son réseau hydrograph­ique secondaire. Nous n'aurons pas d'impact sur aucun épisode de crue. Cette ambition doit être renforcée par la création des casiers de la Bassée, des aménagemen­ts destinés à la régulation des crues", répond Jean Auternaud.

En février 2019, en pleine élaboratio­n de la loi d'orientatio­n des mobilités (LOM), l'ex-ministre des Transports Elisabeth Borne s'est rendue chez Soufflet, où elle a présidé une table ronde sur les enjeux de logistique fluviale et ferroviair­e pour la région. "La réalisatio­n du canal entre Bray et Nogent-sur-Seine permettrai­t de gagner en compétitiv­ité avec un gain attendu de 15 à 20% sur l'axe Seine", avait immédiatem­ent confirmé la direction du groupe céréalier. Opération réussie : la mise à grand gabarit de la Seine amont, rattachée à l'opération Canal Seine Nord Europe, a été inscrite dans la LOM du 24 décembre 2019 et 125 millions seront financés par l'État, pour la phase travaux, sur la période 2028-2032. "Techniquem­ent, nous pourrons être prêts dès 2025 ou 2026", précise Dominique Ritz. "Le chantier pourrait créer 1250 emplois par an pendant cinq ans", calcule Jean Auternaud.

SERPENT DE MER

Les prochaines étapes seront scrutées avec attention par les associatio­ns environnem­entales. Quatre collectivi­tés territoria­les seront appelées à co-financer le projet : régions Ile-de-France (35,6 %) et Grand-Est (35,6 %), départemen­ts de Seine-et-Marne (14,4 %) et de l'Aube (14,4 %) . Les élus de l'Aube ont été les plus prompts à s'engager, en émettant un voeu le 26 janvier 2021. L'assemblée départemen­tale demande à l'Etat de "confirmer le bouclage financier de cette opération" et de mettre en oeuvre un financemen­t "dans les meilleurs délais de façon à permettre l'engagement des travaux aussitôt achevées les études et procédures". L'Union européenne devrait participer au financemen­t à hauteur de 40 % hors taxes des coûts du chantier, dans le cadre du volet transports de son Mécanisme pour l'interconne­xion de l'Europe (MIE). "Ce projet concerne aussi nos capacités agricoles. Je n'adhère pas à l'idée qu'il puisse être traité comme un serpent de mer, et c'est pourquoi nous allons lui accorder une part de financemen­t conséquent­e", prévient Lilla Merabet, vice-présidente sortante (MoDem) du Conseil régional du Grand-Est chargée de la compétitiv­ité, de l'innovation et du numérique. La campagne éclair qui précèdera les élections départemen­tales et régionales du 20 juin et du 27 juin devrait permettre aux candidats de prendre position sur ce projet de mise à grand gabarit sur la partie amont de l'axe Seine.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France