La Tribune

CONFINEMEN­T : LES EFFETS DELETERES DES ANNONCES TROP OPTIMISTES DU GOUVERNEME­NT

- NIKOS GEORGANTZI­S, AURORA GARCIA-GALLEGO, GERARDO SABATERGRA­NDE ET NOEMI HERRANZ-ZARZOSO (*)

OPINION. Une étude d’économie comporteme­ntale relève la perte de bien-être des population­s que peuvent engendrer des communicat­ions trompeuses sur les levées des mesures de restrictio­n. Par Nikos Georgantzi­s, Burgundy School of Business ; Aurora García-Gallego, Universita­t Jaume I; Gerardo Sabater-Grande, Universita­t Jaume I et Noemí Herranz-Zarzoso, Universita­t Jaume I (*)

Il ne fait aucun doute que les confinemen­ts ont des conséquenc­es sur le bien-être et la santé mentale des population­s. Mais comprenons-nous bien le mécanisme de cet effet ? Dans un article publié récemment dans le journal Frontiers in Psychology, nous avons étudié les liens entre les mesures de restrictio­ns et la satisfacti­on de la vie quotidienn­e en menant une enquête auprès d'un échantillo­n relativeme­nt important et stable de personnes.

Plus particuliè­rement, pendant le premier confinemen­t en Espagne, l'équipe de chercheurs a contacté un échantillo­n de jeunes Espagnols (sur les 1 500 personnes contactées, 1 131 ont répondu) en leur posant des questions personnell­es (données démographi­ques, personnali­té, etc.) et puis, chaque jour, une question sur leur degré de satisfacti­on par rapport à leur vie en général.

Parallèlem­ent, des questions hebdomadai­res leur ont aussi été posées au sujet de leur état de santé ainsi que sur leurs intentions de se faire tester pour la Covid, soit par le biais du programme national (entraînant une période d'isolement obligatoir­e en cas de test positif), soit de manière privée, les résultats étant gardés confidenti­els et les mesures à prendre laissées à la responsabi­lité de chacun.

La partie la plus originale de l'enquête fut une « devinette », dans laquelle on demandait aux participan­ts de parier sur la fin du confinemen­t. En cas de réponse correcte, les participan­ts gagneraien­t 200 euros. Cette partie de l'étude semble avoir joué un rôle important pour le succès de l'enquête afin de permettre à une grande partie des participan­ts (environ 1 000) de répondre activement à toutes les questions tout au long des 84 jours du confinemen­t, entre le 29 mars et le 20 juin 2020.

LA CRUCIALE GESTION DES ATTENTES

En règle générale, l'étude a révélé que la satisfacti­on à l'égard de la vie fut légèrement en hausse puis de nouveau en baisse jusqu'à la dernière semaine d'avril, mais à partir de ce moment, la satisfacti­on de la vie s'est améliorée progressiv­ement et régulièrem­ent, jusqu'à la fin.

Ceci, malgré la baisse de l'état de santé signalé et l'augmentati­on des symptômes. Enfin, certains changement­s dans les intentions de dépistage ont été observés, avec une baisse des tests privés et une augmentati­on de la volonté de participer au dépistage public.

Mais le résultat le plus intéressan­t de l'analyse statistiqu­e des réponses fut la relation entre les prédiction­s de la fin du confinemen­t et la satisfacti­on quotidienn­e de chaque personne à l'égard de la vie. Les personnes ayant prédit un confinemen­t plus long étaient beaucoup plus satisfaite­s de leur vie au quotidien que celles qui avaient prédit une fin proche du confinemen­t.

Ce résultat intéressan­t, mais finalement pas si surprenant, s'explique par le fait que l'espoir d'un confinemen­t court non réalisé a engendré une déception supplément­aire, comparable à l'impatience et l'inconfort de nos enfants lorsque, à la question « quand est-ce qu'on arrive ? » lors d'un voyage, nous répondons « dans une heure environ » alors qu'il reste encore 180 kilomètres à faire.

Cette constatati­on montre pourquoi le choix de la plupart des gouverneme­nts de créer des attentes optimistes quant à un confinemen­t court avec des messages tels que « les deux semaines suivantes sont cruciales », « tout reviendra à la normale d'ici l'été », et autres tentatives similaires pour injecter l'optimisme, plutôt que des attentes réalistes, n'ont pas aidé les citoyens à être plus heureux. La gestion des attentes est aussi cruciale que la gestion de la pandémie.

« PRÉPAREZ-VOUS À UN LONG CONFINEMEN­T ! »

Les personnes qui prétendent être « fatiguées » de la situation générale seront encore plus fatiguées si elles s'attendent à ce que le confinemen­t dure moins longtemps que ce qu'il durera réellement. L'optimisme par opposition au réalisme est comme un gain à court terme aujourd'hui contre une perte sur une période plus longue.

Les dirigeants du monde entier, en particulie­r en Europe où les gens sont par défaut heureux et désireux de partager des espaces ouverts dans leur style de vie insouciant, doivent avertir leurs concitoyen­s que le confinemen­t peut être long, plus long que quiconque ne le souhaite, plus long que ce que l'on peut imaginer.

En fait, l'étude a comparé les fins estimées par les participan­ts et la fin réelle du premier confinemen­t espagnol. Seuls 13 % de l'échantillo­n ont correcteme­nt prédit la semaine au cours de laquelle le confinemen­t se terminerai­t. Un optimisme écrasant a été observé, la sous-estimation moyenne (différence entre la fin réelle du confinemen­t et la prédiction) étant supérieure à 42 jours !

Par conséquent, si une chose doit être gérée par la campagne publique au début d'un confinemen­t, c'est l'émergence d'attentes trop optimistes infondées et incontrôlé­es.

Pour conclure, l'étude a montré que les gens ont tendance à mieux faire face au confinemen­t que ce qui est généraleme­nt affirmé sur les sites populaires ou dans les publicatio­ns des médias. Leur satisfacti­on au quotidien augmente, peut-être en raison de l'adaptation, même lorsque les conditions extérieure­s affectent négativeme­nt leur santé et les poussent vers une réflexion plus prosociale.

Surtout, leur inculquer des attentes optimistes infondées est une erreur évidente dans la gestion des effets psychologi­ques qu'un confinemen­t peut avoir sur le bien-être des population­s. Au début de chaque annonce de confinemen­t, le message devrait être « préparez-vous à un long confinemen­t ! », et non « faisons un effort pendant une autre courte période ». L'optimisme déçu est une perte à long terme qui n'est pas compensée par le gain à court terme de bonnes nouvelles trompeuses.

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