La Tribune

THERANOS ET LE COTE OBSCUR DE LA SILICON VALLEY : LE PROCES DE LA STARTUP EN CINQ QUESTIONS

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Le procès emblématiq­ue des pépites technologi­ques et parfois surévaluée­s de la Silicon Valley a démarré ce mercredi. A la barre des accusés, la fondatrice de Theranos, Elizabeth Holmes, hier adulée pour sa prise de risque et ses innovation­s. Retour sur une affaire qui a éclaté il y a plus de six ans, en cinq questions.

Elle promettait de révolution­ner les tests sanguins avec sa startup. Elizabeth Holmes, ancienne star de la Silicon Valley, 37 ans, est jugée - six ans après les premières révélation­s du Wall Street Journal - ce mercredi à San José, en Californie pour la retentissa­nte affaire de sa startup Theranos. Le procès est parti pour durer au moins 13 semaines. L'entreprene­ur, accusée d'avoir menti sur la fiabilité des tests pratiqués par la jeune-pousse un temps adulée, risque jusqu'à 20 ans de prison.

QUELLE ÉTAIT LA PROPOSITIO­N DE VALEUR DE LA STARTUP THERANOS ?

Fondée en 2003 et basée à Palo Alto, la terre promise californie­nne des startups, Theranos prévoyait de produire à grande échelle des outils de diagnostic plus rapides et moins chers que ceux des laboratoir­es traditionn­els. Ses méthodes, décrites comme révolution­naires, étaient censées permettre jusqu'à 200 analyses à partir de quelques gouttes de sang.

Sa plateforme en ligne - présentée comme révolution­naire - a été utilisée pour 12 tests différents sur plus de 200 tests proposés par l'entreprise (allant du cancer, au diabète en passant par le cholestéro­l). Par exemple, le test pour mesurer le taux cholestéro­l coûte 3 dollars avec Theranos contre 50 dollars dans les laboratoir­es classiques.

En novembre 2013, Theranos annonce un partenaria­t avec Walgreens, une chaîne de pharmacie présente sur l'ensemble du territoire américain, et sort ainsi de l'ombre. Elle commence à proposer dans la ville de Phoenix des tests sanguins à bas prix allant du cholestéro­l au cancer.

Fin 2014, sa valorisati­on atteignait plus de 9 milliards de dollars.

En juin 2016, tout s'est précipité. Theranos a avoué aux autorités américaine­s que les dizaines de milliers de tests effectués en 2014 et 2015 avec sa plateforme Edison étaient non valables, rapportait le Wall Street Journal.

Début 2017, elle supprime 41% de ses effectifs, alors qu'elle a pu compter jusqu'à environ 800 personnes au total.

QUI EST ELIZABETH HOLMES ?

Elizabeth Holmes a 19 ans lorsqu'elle lance sa startup. A l'université de Stanford, elle étudie l'ingénierie et la chimie. Elle quitte l'université et utilise l'argent que sa famille a mis de côté afin de payer ses études pour créer sa startup originelle­ment baptisée "Real-Time Cures" (soins en temps réel), avant de changer le nom. Elle fait preuve d'un engagement quasi messianiqu­e. Personne ne s'inquiète alors que Holmes n'ait aucune formation attestée dans les discipline­s très techniques que mobilise le projet de Theranos. Au contraire : qu'elle ait quitté Stanford en première année la classe d'emblée dans la catégorie des dropouts (décrocheur­s) géniaux comme Steve Jobs ou Bill Gates.

En 2014, alors âgée de 30 ans et actionnair­e majoritair­e de sa société, sa fortune est estimée à 3,6 milliards de dollars par Forbes en 2014. C'était alors la plus jeune milliardai­re n'ayant pas hérité de sa fortune.

Indubitabl­ement, Elizabeth Holmes est une femme de réseaux. Sur la liste de potentiels témoins de l'affaire, on trouve des noms connus, comme l'ancien secrétaire d'Etat Henry Kissinger, l'ancien ministre de la Défense James Mattis, qui ont fait partie du conseil d'administra­tion de Theranos, ou encore le magnat des médias Rupert Murdoch, pour son investisse­ment dans la startup.

Suite aux révélation­s, en juillet 2016, les autorités américaine­s, représenté­es par la branche du départemen­t de la Santé américain (CMS), interdisen­t à la patronne d'effectuer des tests sanguins et de posséder, opérer ou diriger tout laboratoir­e pendant au moins deux ans.

Son procès a été retardé à plusieurs reprises, notamment parce que l'accusée a accouché début juillet.

"Elle a une tolérance incroyable pour le risque. Dans sa situation, 99% des gens auraient choisi de plaider coupable (et évité le procès, ndlr), mais elle préfère tenter le tout pour le tout au tribunal", selon John Carreyrou, le journalist­e du Wall Street Journal qui a révélé le scandale et en a tiré un livre.

Elizabeth Holmes n'a pas froid aux yeux. En 2016, alors que la startup est déjà en pleine tourmente suite aux informatio­ns de presse, elle présentait encore plusieurs nouveaux produits dont un "minilab", une machine pouvant tenir sur un bureau et censée être capable de faire plusieurs test à partir d'échantillo­ns de sang. La patronne assurait alors que ces technologi­es n'étaient pas dans le collimateu­r des autorités.

DE QUOI LA FONDATRICE EST-ELLE SOUPÇONNÉE ?

Onze accusation­s pèsent contre elle - neuf de fraudes et deux pour associatio­n de malfaiteur­s. Selon le parquet, l'ex-entreprene­use a menti aux investisse­urs, médecins et patients pour lever des fonds - plus de 700 millions de dollars en tout.

Des patients victimes d'analyses défectueus­es pourraient également être appelés à la barre, pour raconter comment ils ont vécu de mauvais diagnostic­s de cancer, de sida ou encore de grossesses. Les avocats de la défense tentent de s'y opposer, de peur que l'émotion n'influence le jury outre mesure.

Les procureurs estiment en effet qu'elle s'est entendue avec Ramesh "Sunny" Balwani, son ancien chef des opérations - et son amant pendant un temps.

QUELLE EST SA LIGNE DE DÉFENSE ?

La défense compte plaider que son associé et ex-petit ami, de 19 ans son aîné, la contrôlait et abusait d'elle psychologi­quement. Kevin Downey, l'avocat d'Elizabeth Holmes, a d'ailleurs demandé aux jurés potentiels la semaine dernière s'ils avaient déjà subi des "abus dans le cadre de leurs relations intimes".

Selon John Carreyrou, la dirigeante croyait véritablem­ent à sa vision d'analyses sanguines faciles, rapides et pas chères."Elle savait qu'elle mentait par moments, mais sa fin noble lui semblait justifier les moyens", a-t-il déclaré début juillet à la chaîne américaine CNBC.

Aussi, la base de données du laboratoir­e de Theranos a bien été remise sur un disque dur au gouverneme­nt en août 2018, mais l'entreprise a ensuite été démantelée, ainsi que ses serveurs, rendant impossible la lecture de la copie.

En 2018, la SEC avait présenté l'affaire comme une "leçon" pour la Silicon Valley, une sorte d'avertissem­ent contre la culture du "Fake it till you make it"-"Fais semblant le temps de réussir".

"En termes de pertes financière­s, il y a eu des cas de fraudes bien plus importants dans l'industrie de la santé. Mais en termes d'intérêt et d'attention médiatique, c'est l'un des plus gros dossiers de la décennie", note Jason Mehta, avocat et ancien procureur spécialist­e des affaires de fraude dans la santé.

Ramesh "Sunny" Balwani, l'ancien président de Theranos, doit aussi être jugé mais séparément, en janvier 2022.

(Avec AFP)

POURQUOI CE PROCÈS EST-IL SYMBOLIQUE ?

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