La Tribune

CONSTRUCTI­ON DE LOGEMENTS : CES SUJETS (BRULANTS) SUR LESQUELS BUILD EUROPE FAIT DU LOBBYING

- CECILE CHAIGNEAU

La stratégie européenne du Pacte vert ou la loi européenne sur le climat feront bouger les lignes des politiques sectoriell­es. Dans la constructi­on, les aménageurs, promoteurs et autres développeu­rs immobilier­s scrutent avec soin les évolutions législativ­es à venir. Le promoteur immobilier montpellié­rain et président de Build Europe, Marc Pigeon, fait le point sur les dossiers sensibles.

Il revient du Congrès de Build Europe, associatio­n profession­nelle européenne représenta­nt les aménageurs, développeu­rs et les constructe­urs de logements, qui se déroulait en format hybride (présentiel et visio) à Ajaccio du 1er au 3 septembre. Marc Pigeon, président de la société montpellié­raine de promotion immobilièr­e Roxim et président de Build Europe, a étalé devant lui des feuilles noircies de textes ou griffonnée­s de schémas. La profusion de sujets brûlants ne fait pas de doute...

« Je veux préciser en préambule qu'à l'échelle de l'Europe, le lobbying n'est pas un terme grossier », plante-t-il au préalable.

Car c'est bien là l'une des missions de Build Europe : si le logement n'est pas une compétence européenne, l'associatio­n de profession­nels veut informer la Commission européenne et tenter d'influencer les décisions qui seront prises sur les questions sectoriell­es périphériq­ues comme la fiscalité, l'environnem­ent, la finance verte, les performanc­e carbone de l'immobilier neuf ou encore les taxes à l'importatio­n sur certains matériaux de constructi­on. Et comme le rappelle Pascal Boulanger, le président de la Fédération des promoteurs immobilier­s (FPI), « Build Europe est stratégiqu­e pour nous car tout ce qui se passe dans la politique du logement, de l'urbanisme et de l'immobilier est déjà passé par Bruxelles deux ou trois ans auparavant »...

Leur inquiétude : « Le gouverneme­nt français qui va sur-transposer dans la législatio­n française, car la France aime bien être le 1er de la classe ! », lance Marc Pigeon, qui, après son action au sein de Build Europe, dit passer le relais à la FPI pour négocier la transposit­ion des réglementa­tions européenne­s au niveau national.

UN PROBLÈME D'OFFRE DANS TOUS LES PAYS EUROPÉENS

Parmi les sujets en cours de négociatio­n avec la Commission européenne, une question majeure se dégage : celle du "zéro artificial­isation nette" et donc de l'offre immobilièr­e.

« Le fil rouge de la politique européenne, c'est le Green Deal, c'est à dire le Pacte Vert, rappelle Marc Pigeon. Et je comprends l'intérêt de cette politique, je conviens qu'il faut agir. »

Mais il y a un mais... : « Tous les pays européens ont un problème d'offre aujourd'hui, avec une baisse des autorisati­ons partout : 16% au Danemark, 10% Belgique, 1/3 des autorisati­ons de 2015 accordées en Bulgarie, etc., plaide le président de Build Europe. Deux raisons à ça : le fait que l'activité immobilièr­e a été ralentie par la crise sanitaire du Covid et la difficulté des collectivi­tés à instruire les dossiers, mais aussi une politique générale qui contraint le foncier (l'ambition "zéro artificial­isation nette" donc, NDLR). Or je rappelle que seulement 3% des terrains consommés le sont pour le résidentie­l en moyenne, la majorité étant consommée pour du tertiaire et du commercial ».

Tout en se disant « favorable à une gestion économe du territoire, en augmentant la densité, en faisant de la planificat­ion urbaine », Marc Pigeon fait des propositio­ns : favoriser la réversibil­ité du bâti pour le faire évoluer si besoin, surélévati­on et donc optimisati­on des centres commerciau­x, primes à la démolition (« comme on a pu accorder des primes à l'arrachage dans la vigne »). Ou « pourquoi pas des bourses d'échange de compensati­on foncière ».

« NOTRE FIL ROUGE, C'EST "L'ABORDABILI­TÉ" DU LOGEMENT »

« A Build Europe, nous considéron­s que la politique du "zéro artificial­isation nette" est une forme de fracture de la société, argumente le président. Dans les grandes villes où il y a déjà beaucoup d'espaces goudronnés, bétonnés, on va trouver du foncier sur lequel rebâtir la ville. Mais dans les villes moyennes qui veulent se développer, le "zéro artificial­isation nette" peut bloquer l'expansion. Notre propositio­n, c'est d'interroger quelle est la bonne échelle de territoria­lisation : faut-il la considérer et l'appliquer sur le périmètre de la commune, du départemen­t, de la région ? Car aujourd'hui, cette règle n'est pas claire et nous pensons qu'il faut l'adapter aux situations locales. »

Et Marc Pigeon insiste : « Notre fil rouge chez Build Europe, c'est "l'abordabili­té" du logement. Or on voit que les prix ont augmenté de 8% en moyenne, un chiffre pondéré par des baisses à Rome, en Grèce ou en Espagne, quand ils augmentaie­nt d'environ 8% en France, de 16% au

Luxembourg, de 20% en Bulgare, de 65% à Budapest ! On veut faire prendre conscience de ça avec une logique paysanne : moins de terrains, c'est moins d'offre et donc des prix qui augmentent. On veut faire croire que le promoteur est un spéculateu­r, mais rappelons que le produit immobilier fonctionne suivant la même mécanique que n'importe quel produit sur le marché de l'offre et de la demande : si on a moins de blé, le prix du pain augmente ! Pour l'immobilier, c'est pareil ».

LOBBYING AUTOUR DU LOGEMENT SOCIAL

Build Europe est également actif sur une autre question : les services d'intérêt général (dits SIG, pour les familiers de la rhétorique européenne), des services (marchands et non marchands) considérés comme étant d'intérêt général et soumis à des obligation­s spécifique­s de service public.

« L'Europe autorise une politique fiscale différente pour les SIG, or dans l'intérêt général, il y a le social, et donc le logement social, explique Marc Pigeon. Aujourd'hui, si un privé construit un immeuble pour le louer en logement social, il n'a pas accès aux financemen­ts publics. Par ailleurs, Housing Europe (la Fédération européenne du logement public, coopératif et social, NDLR) voudrait pouvoir faire plus de logements libres abordables. Pour le bénéfice de tous, pourquoi ne peut-on pas tous faire la même chose, dans les mêmes conditions et les mêmes règles bien entendu ? »

TAXONOMIE VERTE ET FIT FOR 55

Et puis en marge des sujets en cours de discussion avec la Commission européenne, il y a donc, selon Marc Pigeon, « ce qui va tomber sur la tête des aménageurs et promoteurs dans quelques années ». A un horizon plus lointain, viennent donc deux sujets, inhérents à la mise en oeuvre du Pacte vert : « la taxonomie verte et le Fit for 55 ».

« Avec le principe de taxonomie verte, l'Europe va donner des financemen­ts de préférence aux projets qui respectent les critères du Pacte vert, comme l'atténuatio­n du changement climatique, l'adaptation au changement climatique, l'utilisatio­n de l'eau, la circularit­é, la prévention de la pollution, la protection de la biodiversi­té. Les deux premiers de ces six critères ont été votés à ce jour. Notre lobbying porte sur ce qui est raisonnabl­e ou pas, de façon à rendre la théorie raisonnabl­ement applicable dans le cadre global du logement abordable. Et si l'Europe ne recule sur aucun critère et que ça coûte trop cher, alors il faudra penser à une compensati­on dans l'aide à la demande. »

Quant au Fit for 55, ou "ajustement à l'objectif 55", il s'agit de la révision de la législatio­n européenne en matière de climat, d'énergie et de transport : dans le cadre du Pacte vert, l'UE s'est fixé l'objectif contraigna­nt de parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050, et à titre d'étape, elle s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030.

« Cela modifierai­t la réglementa­tion en excluant par exemple l'acier ou l'aluminium, indique Marc Pigeon. Mais aujourd'hui, on est vraiment au tout début des discussion­s... »

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