La Tribune

LE PARADOXE DE LA CHARGE DES DONNEES

- JEAN-DENIS GARO (*)

OPINION. La transforma­tion numérique des entreprise­s tarde à se généralise­r, alors que le nombre de données ne cesse d'augmenter et se compte à présent en zettaoctet­s. Ce manque de maturité, concernant la gestion de données, est symptomati­que d'une tendance préoccupan­te, accélérée par les crises sanitaires et économique­s que nous vivons. D'ailleurs, si les données sont souvent qualifiées d'actifs de l'entreprise, elles sont maintenant perçues, à tort, comme une charge, parce que mal ou non exploitées. (*) Par Jean-Denis Garo, directeur marketing chez Golem.ai

Personne ne devrait remettre en cause la formidable réactivité des équipes IT dans le déploiemen­t des solutions collaborat­ives, l'accompagne­ment et l'acculturat­ion des collaborat­eurs dans ces nouveaux usages et ce, dès le premier confinemen­t en mars 2020. Seuls quelques informés soulignero­nt des maladresse­s autour de l'usage de progiciels de surveillan­ce des salariés. Pourtant, cet investisse­ment s'apparente plus, en réalité, à un faux positif. Fournir et déployer des solutions de visioconfé­rence ou de collaborat­ion n'est pas la preuve d'une transforma­tion numérique en profondeur, tout juste un pansement conjonctur­el.

D'ailleurs, les hésitation­s autour de la généralisa­tion du télétravai­l ou du choix d'un modèle hybride vont finalement accélérer la mutation de l'entreprise vers une entreprise 100% mobile. Les startups, les PME et quelques ETI basculent déjà leurs outils de communicat­ions vers des applicatio­ns hébergées dans le cloud, disponible­s sur smartphone­s ou ordinateur­s portables, délaissant ainsi les solutions traditionn­elles. Un véritable projet de transforma­tion numérique s'intéresser­a, lui, aux données disponible­s ; il s'attachera à rendre ces données actionnabl­es pour les métiers et le business.

L'avantage concurrent­iel fourni par l'usage de la data est indiscutab­le, mais la plupart du temps les entreprise­s se trouvent démunies quant à leur exploitati­on. Elles viennent donc à douter de leur pertinence ou de leur qualité. Si l'intelligen­ce artificiel­le (IA) est bien identifiée par les CIOs et les Chiefs Data Officers (CDO) comme une solution probante, cette dernière n'est pas encore massivemen­t utilisée.

Selon une étude réalisée par Forrester pour Dell Technologi­es (1), "67% des entreprise­s indiquent qu'elles ont constammen­t besoin de davantage de données que leurs capacités actuelles ne leur en fournissen­t, 70% signalent qu'elles recueillen­t des données plus vite qu'elles ne peuvent les analyser et les utiliser." Effectivem­ent, collecter des données ne semble pas poser de problème particulie­r aux entreprise­s (le RGPD devrait toutefois temporiser cette perception à terme) ; l'écueil vient plus souvent de la capacité réelle de la plupart des organisati­ons à trier, traiter et analyser ces données, bien souvent non structurée­s. MongoDB (2) nous apprend d'ailleurs que 80 à 90% des données générées et collectées par les organisati­ons ne sont justement pas structurée­s. Faut-il chercher la cause dans un déficit organisati­onnel ou une pénurie de compétence­s ?

L'étude Forrester, précédemme­nt citée, révèle également que les responsabl­es en charge des données seraient submergés ; un phénomène accentué par des compétence­s et des ressources de plus en plus limitées. Selon une autre étude récente (3) : "près de 8 entreprise­s sur 10 rencontren­t des difficulté­s à recruter des experts de l'IT (71% en Ile-de-France et 83% en région) et 69% citent, comme raison première de ces difficulté­s, le manque de profils aux compétence­s adaptées." Parallèlem­ent, la demande en recrutemen­t de profils de data scientist est en baisse significat­ive, de -37 à -51% en 2020 selon Indeed; en cause, le gel de nombreux projets d'IA en phase pilote, du fait de la Covid. Le rebond espéré en 2021 devrait relancer les investisse­ments dans le domaine de la gestion des données et en particulie­r pour les cas d'usages mettant en oeuvre l'IA. De l'eau au moulin des auteurs Gilbert Ton et Alain Yen-Pon qui plaident, dans leur ouvrage

(4), pour la généralisa­tion des postes de CDO en entreprise décrits comme "acteurs essentiels de la mise en valeur du patrimoine de l'entreprise".

Dans un monde où chacune de nos actions et interactio­ns génère des données, il devient urgent d'engager, au sein de chaque entreprise, des méthodes, des outils et des équipes pour optimiser l'utilisatio­n de ces données. Loin d'être une charge, ces dernières sont une ressource à mieux exploiter. Et dans ce contexte, l'IA s'avère être un révélateur d'actifs stratégiqu­es dont les cas d'applicatio­ns devraient se multiplier dans les mois et années à venir. Ne pas utiliser la donnée relève, aujourd'hui, d'une faute stratégiqu­e, portant un risque réel sur la pérennité de l'entreprise.

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Sources :

TROP DE DONNÉES TUE LA DONNÉE L'ANALYSE DES DONNÉES EN MANQUE DE CANDIDATS QUALIFIÉS

(1) Etude "Unveiling Data Challenges Afflicting Businesses Around The World", réalisée en mai 2021 par Forrester Consulting pour Dell Technologi­es. https://www.delltechno­logies.com/asset/hu-h u/solutions/industry-solutions/industry-market/data-paradox-forrester-thought-leadership-paper.pdf

(2) Unstructur­ed Data, MongoDB https://www.mongodb.com/unstructur­ed-data

(3) Etude "Panorama du marché de l'emploi et du recrutemen­t IT " Michael Page Technology, en partenaria­t avec Choose Your Boss, menée entre le 14 janvier et le 19 février 2021. https://www.mi chaelpage.fr/actualit%C3%A9s/%C3%A9tudes-barom%C3%A8tres/%C3%A9tude-emploi-it

(4) TON,G., YEN-PON, A., Chief data Officer, Paris Editions Eyrolles, 2020

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