La Tribune

PRODUCTION ET UTILISATIO­N DE L'HYDROGENE VERT : UN DEFI POLITIQUE, TECHNOLOGI­QUE ET ECONOMIQUE

- ALEXIS DE GERARD (*)

OPINION. L'Europe fait de l'hydrogène une de ses priorités. Le mouvement est engagé partout dans le monde et prend une ampleur sans précédent en France : gouverneme­nts et entreprise­s s'en emparent et investisse­nt des milliards mais l'hydrogène parviendra-t-il à décarboner la planète ? Par Alexis de Gérard, Directeur du salon Pollutec (*)

Canicules, incendies, inondation­s... les évènements de l'été appuyés par le sixième rapport du GIEC nous ont une nouvelle fois rappelés que la crise sanitaire ne doit pas occulter qu'une course contre le réchauffem­ent climatique est engagée. Au même moment, la Commission Européenne dévoilait son plan de bataille pour le climat baptisé "Fit for 55*" avec des mesures d'une ampleur inédite destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% par rapport aux niveaux de 1990 d'ici à 2030. Le temps presse. Pour inverser la tendance l'humanité doit révolution­ner la manière dont est produite et consommée l'énergie responsabl­e des 3/4 des GES dans le monde. Dans ce contexte, l'hydrogène apparait comme une source d'énergie décarbonée idéale : très concentré, il peut se transporte­r et se stocker et permettrai­t ainsi de régler à la fois les problèmes d'intermitte­nce de production des énergies renouvelab­les, de se substituer aux énergies fossiles dans les mobilités et de décarboner l'industrie.

DE L'HYDROGÈNE GRIS À L'HYDROGÈNE VERT : UNE RÉVOLUTION RÉALISTE ?

Pour atteindre son objectif de décarbonat­ion il est néanmoins nécessaire de remplacer au plus vite l'hydrogène gris issu d'énergies fossiles et qui représente 95% de la production actuelle par de l'hydrogène vert produit à partir d'énergies renouvelab­les. Cependant pour y parvenir les défis à relever sont considérab­les. En effet l'hydrogène vert nécessiter­a d'augmenter la production d'électricit­é renouvelab­le dans des proportion­s sans commune mesure avec celles actuelleme­nt installées. En ordre de grandeur, alimenter le parc de 600.000 poids lourds en France en hydrogène reviendrai­t à couvrir de panneaux solaires l'équivalent d'un départemen­t entier tel que le Lot et Garonne !

Quant aux usages de l'hydrogène, la fin annoncée de la voiture thermique en 2035 résonne comme un symbole fort de la fin d'une époque tout pétrole. L'on se met alors à rêver d'un monde ou voitures trains et avions rejetterai­ent de la vapeur d'eau. Pourtant, dans l'automobile et le train, l'électrific­ation directe a depuis largement démontré ses avantages sur l'hydrogène : une solution finalement plus efficace énergétiqu­ement, moins chère et même plus verte. Concernant l'aviation, les alternativ­es semblent lointaines compte tenu des contrainte­s techniques imposées par l'hydrogène liquide et de celles du kérosène de synthèse qui nécessiten­t la présence de carbone en plus de l'hydrogène. C'est finalement surtout dans les véhicules lourds tels que camions et autobus que l'hydrogène pourrait s'imposer en permettant une autonomie dépassant le millier de kilomètres, sans équivalent jusque-là pour des véhicules à batterie. L'hydrogène pourrait également devenir une énergie d'avenir pour le transport maritime dont le trafic mondial devrait doubler d'ici 2050.

Concernant ses applicatio­ns industriel­les, l'hydrogène préfigure l'industrie du futur avec la possibilit­é d'alimenter des centrales de cogénérati­on permettant de produire à la fois chaleur et électricit­é nécessaire­s aux process industriel­s. Cela intéresse en premier lieu les sites industriel­s électro intensifs tels que la sidérurgie, les papetiers ou l'industrie du verre pour lesquels des expériment­ations sont en cours. En France, le gouverneme­nt souhaite atteindre 10% d'hydrogène décarboné dans les usages industriel­s dès 2023 et entre 20% et 40% en 2028. Conscient du risque d'handicaper son industrie avec des couts énergétiqu­es plus élevés qu'avec les énergies fossiles « Fit for 55* » vise à préserver la compétitiv­ité des entreprise­s en taxant le carbone aux frontières de l'UE avec pour ambition de rallier les grandes puissances mondiales dans cette stratégie bas carbone.

___

HYDROGÈNE : UN POTENTIEL À NE PAS SURESTIMER

L'hydrogène vert est donc un bon candidat pour réduire rapidement les GES mais son potentiel ne doit pas être surestimé : Il faudra à la fois cibler ses usages et augmenter rapidement sa production. Cela rendra malheureus­ement nécessaire le recours aux importatio­ns ainsi qu'à des sources d'hydrogène moins vertueuses. Un basculemen­t à marche forcée est en cours, mais il représente un véritable défi politique, technologi­que et économique.

(*) Fit for 55* : ensemble de mesures législativ­es de L'UE visant une diminution de 55% des GES par rapport aux niveaux de 1990 d'ici à 2030

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France