La Tribune

Pesticides et perte de biodiversi­té : l'Etat attaqué en justice par deux ONG

- MARINE GODELIER

Après la pollution de l'air et le climat, l'Etat fait désormais face à un recours pour carence fautive sur la biodiversi­té, visant le processus d'autorisati­on des pesticides à l'origine d'une chute du nombre de pollinisat­eurs et d'oiseaux migrateurs. Lancé jeudi 9 septembre par Notre Affaire à T ...

Après la pollution de l'air et le climat, l'Etat fait désormais face à un recours pour carence fautive sur la biodiversi­té, visant le processus d’autorisati­on des pesticides à l’origine d’une chute du nombre de pollinisat­eurs et d'oiseaux migrateurs. Lancé jeudi 9 septembre par Notre Affaire à Tous et Pollinis, il enjoint le gouverneme­nt à agir « de manière satisfaisa­nte » dans les deux mois.

Le compte à rebours est lancé : le gouverneme­nt dispose de deux mois pour agir sur les pesticides, sans quoi un recours sera déposé devant le Tribunal administra­tif de Paris. Un ultimatum fort lancé par deux associatio­ns, Notre affaire à tous et Pollinis, et annoncé ce jeudi 9 septembre au congrès de l'Union internatio­nale pour la Conservati­on de la Nature (UICN) - qui réunit en ce moment à Marseille dirigeants politiques, grandes entreprise­s et ONG. C'est le premier recours au monde contre un Etat pour inaction face à la perte de biodiversi­té, après que le pays a été condamné en février pour n'avoir pas respecté ses engagement­s climatique­s.

Car le temps presse, estiment les requérants. En dépit d'un discours volontaris­te, « l'Etat a manqué à ses obligation­s de protection du vivant », fait valoir Chloé Gerbier, juriste et porte-parole de Notre Affaire à Tous. Pour cause, la France reste, parmi les pays d'Europe occidental­e, le plus gros consommate­ur de pesticides en volume de substances actives. Résultat : la biodiversi­té s'effondre sous l'effet de ces insecticid­es, herbicides et autres fongicides désormais omniprésen­ts dans l'environnem­ent, dénoncent les deux associatio­ns.

« On assiste à une multiplica­tion des études scientifiq­ues depuis dix ans, qui alertent sur l'érosion du vivant, avec par exemple la disparitio­n de 40% des insectes. Mais aussi sur le lien entre ce phénomène et l'utilisatio­n de produits phyto-pharmaceut­iques [les pesticides, ndlr]. On sait, par exemple, que ces substances fragilisen­t le système immunitair­e des abeilles ou affectent les oiseaux migrateurs », fait valoir Julie Pecheur, directrice du plaidoyer et porte-parole de Pollinis.

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Une catastroph­e reconnue par Emmanuel Macron lui-même, puisque le président de la République a regretté, lors de lancement du Congrès de l'UICN, le rythme trop lent de la transition, en appelant à« progressiv­ement réduire et, partout où on le peut, nous passer des pesticides ». Le propos a été rapidement nuancé sur Twitter par le ministre de l'Agricultur­e, Julien Denormandi­e, qui a réaffirmé le principe de « pas d'interdicti­on sans alternativ­e ».

LE CADRE EUROPÉEN SOUS LE FEU DES CRITIQUES

A priori pourtant, l'Etat français n'est pas responsabl­e de la mise sur le marché de ces produits, puisque le processus d'homologati­on est décidé au niveau de l'Union européenne. Et selon l'UIPP (Union Intersyndi­cale de la Protection des Plantes), qui réunit les entreprise­s de vente de pesticides, celui-ci est robuste. « Notre secteur a fait des progrès très importants en la matière sous l'effet des avancées des connaissan­ces scientifiq­ues et du cadre réglementa­ire qui impose un contrôle très strict avant, pendant et après la mise sur le marché d'un produit phytopharm­aceutique », affirme sa directrice générale, Eugénia Pommaret.

Pourtant, ce cadre est vivement critiqué. En juillet 2013, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait appelé à réformer le système, pointant des failles dans les tests... en vain. « Cela fait plusieurs années qu'un comité constitué des représenta­nts des Etats-membres et de la Commission européenne bloque cette réforme, derrière des portes closes », souffle Julie Pecheur. Face à cette situation, Pollinis a lancé une action en justice afin d'accéder aux comptesren­dus des délibérati­ons des Etats-membres sur ce sujet, sans succès à ce jour.

PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Reste que si le processus d'autorisati­on se fait au niveau européen, l'Etat français aurait dû agir pour y mettre un terme, considèren­t Notre affaire à tous et Pollinis, qui demandent une applicatio­n à l'échelle nationale du principe de précaution. « Au-delà des discours ambitieux, le gouverneme­nt peut se dresser contre ce cadre minimum, qui est une passoire et permet de déverser des produits mortifères sur le marché », précise Chloé Gerbier. En effet, plusieurs textes de droits indiquent que, lorsque l'environnem­ent ou la santé publique se trouvent menacés par un produit ou pas un système, les autorités nationales peuvent - et doivent - légiférer.

Et pour y répondre concrèteme­nt, des alternativ­es existent, affirment les deux associatio­ns. « Si la volonté était là, on pourrait relativeme­nt rapidement se passer de pesticides, dans un modèle d'agro-écologie », développe Julie Pecheur. D'autant que les coûts de dépollutio­n de l'eau, contaminée par ces substances de synthèse, sont en partie assumés par les citoyens français. « Si on déplaçait ces millions d'euros vers la transition, on parviendra­it à en sortir en quelques années », insiste la porte-parole de Pollinis.

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Un mouvement « vertueux » qui «aurait dû être entamé depuis 2008 avec le premier plan Ecophyto [qui fixait un objectif de réduction de moitié de l'usage des produits phytosanit­aires de synthèse en dix ans, ndlr] », estime Chloé Gerbier. Mais faute au «lobbys industriel­s » et face «au manque de courage politique », cette inaction «coûtera cher aux génération­s futures », déplore la juriste.

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