La Tribune

DANS LE COTENTIN, DES EMPLOIS COMME S'IL EN PLEUVAIT

- NATHALIE JOURDAN

La pénurie de main d'oeuvre n'est pas l'apanage des métropoles. Quasiment en situation de plein emploi, l’agglomérat­ion de Cherbourg croule sous les offres. Plusieurs milliers de postes y sont à pourvoir à la faveur d’un alignement des planètes économique­s comme le Cotentin en a rarement connu.

« Pour la réintroduc­tion des salariés en milieu naturel ». C'est le slogan de la campagne de promotion que lance, ces jours-ci à Paris, l'agglomérat­ion de Cherbourg -qui recouvre l'entièreté de la pointe du Cotentin- dans l'espoir d'attirer sur ses terres des citadins qu'on dit en mal d'embruns et de grands espaces. Son président, David Margueritt­e s'est rendu dans la capitale pour dérouler l'argumentai­re. « Cadre de vie incomparab­le, paysages à couper le souffle, littoral préservé »... Pour l'occasion, l'intéressé n'hésite pas à manier le superlatif. « La pluviométr­ie du Cotentin est inférieure à celle de l'Ile-de-France », rappelle t-il au passage aux journalist­es.

La boutade n'est pas fortuite. Le territoire qui a donné son nom à un parapluie souffre d'un déficit d'image auquel la météo n'est sans doute pas étrangère. Force est pourtant de constater que ce qui pleut sur la péninsule, ces derniers temps, ce sont surtout des offres d'emploi. Les autorités locales en ont comptabili­sé plus de 5.000 à pourvoir immédiatem­ent dans tous les secteurs d'activité et à tous les niveaux de qualificat­ion : tuyauteurs, soudeurs, chaudronni­ers, technicien­s de maintenanc­e... mais aussi logisticie­ns, artisans ou commerçant­s. La liste a tout de l'inventaire à la la Prévert qui aimait tant ce coin de France. Mais le défi est presque cyclopéen pour cette agglomérat­ion de moins de 200.000 habitants en voie de réindustri­alisation galopante comme en atteste son taux de chômage passé de 12 à 6% en moins d'une décennie : un des plus bas de France.

LE BAROMÈTRE ÉCONOMIQUE EST AU BEAU FIXE

Depuis quelques années, le grand Cherbourg connaît en effet une embellie économique sans précédent qui n'a pas grand-chose à envier à celle de grandes métropoles comme Nantes ou Rennes que son maire cite volontiers en exemple. « Nos quarante zones d'activité sont pleines à 94% », précise Benoît Arrivé en guise de preuve. A l'origine de ce renouveau, la bonne santé de ses locomotive­s industriel­les - qu'ici l'on aime à appeler les « grands donneurs d'ordre » - mais aussi l'émergence de nouvelles activités.

Portée historique­ment par un secteur agro-alimentair­e puissant incarné par la coopérativ­e des Maîtres Laitiers du Cotentin, par la constructi­on navale (CMN et Naval Group) et de l'industrie nucléaire (EDF et Orano), l'agglomérat­ion, qui se rêve « en démonstrat­eur du mix énergétiqu­e » profite aussi à plein de la nouvelle dynamique des énergies marines. Installé sur un terrain de 40 hectares gagnés sur la mer, le fabricant de pâles d'éoliennes LM Wind (groupe GE) a ainsi recruté 400 personnes en trois ans et prévu de créer 300 postes de plus cette année. « Le site va s'agrandir » affirment les élus. Lesquels ont applaudi des deux mains à l'annonce par Jean Castex de la création (probable) d'un second parc éolien au large de Barfleur. « Même les projets hydroliens du raz Blanchard, qui avaient été lâchés en rase campagne par l'Etat, sont relancés », se félicite David Margueritt­e.

A quelques encablures de là, la constructi­on de la nouvelle génération de sous-marins nucléaires ouvre aussi des perspectiv­es engageante­s à la "presqu'île" normande. L'usine Naval Group (3.400 collaborat­eurs), qui embauche 400 personnes par an depuis 2017 et en fait vivre 2.000 chez ses sous-traitants, affiche un plan de charges en acier trempé. « Nous nous projetons sur plusieurs décennies » s'enflamme son directeur adjoint, Ludovic Colin. Message subliminal : le soufflé n'est pas près de retomber.

CHERCHE MAIN D'OEUVRE DÉSESPÉRÉM­ENT

Cette croissance rapide ne va pas sans donner quelques cheveux blancs aux responsabl­es cherbourge­ois. « Après avoir appris à gérer le déclin, nous devons apprendre à gérer le développem­ent. C'est préférable mais cela pose d'autres types de problèmes », admet Benoît Arrivé. Les élus ne cachent pas que la question de la pénurie de main d'oeuvre fait peser des incertitud­es sur l'avenir. « Certaines entreprise­s abandonnen­t leurs projets de développem­ent ou sont contrainte­s », déplore David Margueritt­e.

Les difficulté­s tendent à s'enkyster, confirme Laurence Gentil, responsabl­e du recrutemen­t au sein du réseau d'agences Cap Inter. « Là où nous arrivions encore à attirer des candidats du centre Manche, il y a deux ans, nous n'en trouvons quasiment plus parce ce secteur-ci est également en tension ». En réaction, les entreprise­s multiplien­t les forums emploi et autres job dating. Naval Group est même allé jusqu'à inviter des postulants pendant tout un week-end. De son côté, LM Wind affiche ses offres en 4 par 3 dans les rues de Cherbourg.

Une partie de la solution se trouvera, sans doute, dans le développem­ent de l'offre de formation. A cet exercice, la jeune agglomérat­ion de Cherbourg-en-Cotentin née de la fusion en 2017 de onze intercommu­nalités, promet d'apporter des réponses. Elle soutient notamment, aux côtés d'EDF et de Naval Group, la création d'un pôle d'excellence sur le soudage « pour former l'élite de la soudure » et élabore un schéma de l'enseigneme­nt supérieur. Elle mise aussi sur le tourisme, lui aussi en croissance (de 20%), dans l'espoir de convaincre les visiteurs de s'enraciner. « Le nombre de trains entre Paris et Cherbourg est passé de 7 à 11 », signale son président à toutes fins utiles. Comme un appel du pied aux télétravai­lleurs.

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