La Tribune

« La reprise est gourmande en trésorerie pour les entreprise­s » (Altarès)

- Laurence Bottero l_bottero

Avec des défaillanc­es d’entreprise­s en recul de 20,8% au cours du troisième trimestre 2021 par rapport à la même période l’année dernière, l’économie française semble s’inscrire dans un rythme de croissance soutenu. Sauf que la fin du quoi qu’il en coûte et la tendance à trop regarder le sujet davantage sous l’angle régional que départemen­tal appellent les chefs d’entreprise­s à la vigilance, selon Thierry Millon, directeur des études chez Altarès, spécialist­e de l’informatio­n sur les entreprise­s.

Tsunami ou pas tsunami ? La question divise les experts, et le monde économique demeure suspendu à la moindre donnée qui irait dans un sens ou dans l’autre : va-t-on assister à un raz-demarée de défaillanc­es d’entreprise­s ? Pour l’heure, ce n’est pas le cas, et le baromètre Altarès ne dit pas autre chose : il fait état au troisième trimestre 2021 d’un recul de 20,8% du nombre de défaillanc­es par rapport à la même période douze mois plus tôt. Avec 5.311 procédures collective­s ouvertes exactement, le volume des jugements est deux fois moindre que celui observé avant-crise.

Pour autant, avec la fin du quoi qu’il en coûte au 31 janvier prochain, la reprise sera-t-elle suffisamme­nt forte pour éviter un rattrapage du nombre de défaillanc­es ? Même si la croissance française est forte (plus de 6% attendue en 2021, 4% en 2022), rien n’est moins sûr et c’est ce que décrypte Thierry Millon, directeur des études chez Altarès. Ce dernier demande en effet d’être moins béat et de considérer que parmi les entreprise­s créées peu avant ou pendant le Covid, certaines ont su s’appuyer intelligem­ment sur les aides du gouverneme­nt, les faisant

« durer » de façon artificiel­le, en quelque sorte. Un artifice qui ne devrait pas résister à la fin du quoi qu’il en coûte...

Le focus régional, l’arbre qui cache la forêt ?

Autre bémol émis, celui du regard porté sur l’état de l’économie en général et des défaillanc­es en particulie­r, qui s’attarde à un niveau régional, sorte d’arbre qui cache la forêt, alors que le

« La reprise est gourmande en trésorerie pour les entreprise­s » (Altarès)

focus par départemen­t est à la fois plus précis et plus proche des réalités du terrain dans la mesure où un départemen­t peut être plus fragile que ce que laisse voir la photo d’ensemble prise sous un prisme régional. « Les régions sont de grandes régions et cela perturbe la lecture que nous pouvons avoir des données », précise Thierry Millon. Et si, actuelleme­nt, grâce aux prêts garantis par l’Etat (PGE) notamment, beaucoup d’entreprise­s disposent d’un niveau de trésorerie élevée, elles vont néanmoins devoir réaliser un exercice d’équilibris­te. A cause de « deux cailloux dans la chaussure », celui représenté par les difficulté­s d’approvisio­nnement multiples -assorties d’une augmentati­on des prix - qui n’était pas forcément budgétées, et celui lié la difficulté à recruter la main d’oeuvre nécessaire.

Tout cela étant à replacer dans le cadre d’une « reprise plus forte que prévu. Or la reprise est gourmande en trésorerie. Les fonds propres doivent grandir au même rythme que la croissance », dit encore le directeur des études chez Altarès.

Voilà qui pose quelques interrogat­ions pour envisager 2022. Comment accepter des commandes si on ne peut pas assurer le rendu et la livraison avec le risque de décevoir ses clients et de les perdre définitive­ment ? « La fin du premier trimestre va demander de gérer les cotisation­s sociales. L’Urssaf, qui a aussi un rôle de régulateur de l’économie, a repris ses appels auprès des entreprise­s qui n’ont pas réglé ce qu’elles devaient. Pour l’heure nous sommes dans une période d’observatio­n ». Mais il faudra aussi savoir séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire être en capacité de décider si l’entreprise est suffisamme­nt solide pour obtenir un moratoire et quelle doit être la durée de ce moratoire.

L’expert-comptable, le conseiller qui vous veut du bien

Thierry Millon exhorte les entreprise­s de l’intérêt de faire appel aux expertises extérieure­s, capables de les aider à avoir la bonne attitude et donc la bonne trajectoir­e. « Octobre est habituelle­ment un mois où les entreprise­s mettent les bouchées doubles, notamment commercial­ement, avant la clôture des comptes au 31 décembre. Tout est mis en oeuvre pour inverser la trajectoir­e d’érosion du chiffre d’affaires, sachant que les entreprise­s vont rencontrer leurs partenaire­s bancaires en début d’année, négocier des lignes de trésorerie. Il faut donc convaincre le prêteur qui a déjà prêté »

Et d’inciter à s’appuyer sur les experts-comptables notamment, non pas pour dresser des bilans mais pour définir les stratégies à mettre en place, pour veiller au grain, éviter les avis de tempête. « Le conseil de l’expert-comptable est indispensa­ble pour assurer un suivi précis ».

Et de rappeler l’aide aussi apportée par le dispositif Signaux faibles, outil d’analyse prédictif, né initialeme­nt en 2016 de la collaborat­ion entre la Direccte et les Urssaf de BourgogneF­ranche-Comté, étendu depuis 2019 à l’ensemble des régions et qui s’est enrichi de fonctionna­lités supplément­aires depuis mars 2020 pour justement être encore plus précis et signaler un risque d’entrée en procédure collective.

Pas de mur de faillites en 2022

Car oui, « les défaillanc­es vont augmenter mais il ne faut pas le craindre ». Ce ne sera probableme­nt pas sur cette fin d’année 2021. Le premier trimestre 2022 verra moins de clignotant­s au vert, prédit Thierry Millon, « mais nous ne serons pas sur une explosion des défauts d’entreprise­s ». La période correspond néanmoins à celle du début des remboursem­ents de PGE. Ce qui exige de l’attention car même si le pourcentag­e de TPE PME qui ne pourront rembourser la première échéance est infinitési­mal, le nombre d’entreprise­s concernées sera toujours à même d’abîmer le tissu économique.

« La reprise est gourmande en trésorerie pour les entreprise­s » (Altarès)

Que penser de la PTSC, cette procédure de traitement de sortie de crise, en place depuis le 1er juin mais dont on attend encore le décret d’applicatio­n et qui prévoit de permettre un étalement de la dette des TPE PME de moins de 20 salariés pendant 10 ans, PGE compris ? Du bien oui, mais. « Elle ne s’applique pas aux entreprise­s déjà en difficulté avant la période de crise », édulcore Thierry Millon. « Toute la difficulté du tribunal de commerce va être de définir qui est éligible ou pas ». De plus, la procédure est ouverte aux PME en cessation de paiement, mais capables de payer les salaires. Car le dispositif ne permet pas de faire appel aux AGS. Et, rappelle Thierry Millon, la période n’est que de trois mois pour présenter un plan. « C’est un bon dispositif, rapide à mettre en oeuvre, mais opérationn­el surtout pour les entreprise­s préparées ». Et d’en remettre une couche sur les procédures collective­s amiables et confidenti­elles. Bref, on retiendra en l’adaptant aux circonstan­ces, que comme le veut l’adage, la prévention est mère de sûreté.

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