La Tribune

La “flat tax” a fait bondir le versement de dividendes

- Grégoire Normand @gregoireno­rmand

La transforma­tion de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) et la mise en oeuvre d’une flat tax n’ont pas permis d’observer “d’effets réels” sur la croissance et l’investisse­ment, selon le troisième rapport du comité de suivi et d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. S’arrêtant pour l’essentiel en 2019, il montre un bond au titre de 2018 (23 milliards d’euros, après 14 milliards en 2017), une tendance confirmée en 2019 (augmentati­on supplément­aire de l’ordre de 1 milliard) et en

2020 (stabilité par rapport à 2019). Ce boom s’est accompagné d’une plus forte concentrat­ion au sommet de la pyramide. Explicatio­ns.

C’est un dossier hautement inflammabl­e. A 200 jours de l’élection présidenti­elle, le comité de suivi et d’évaluation de la fiscalité du capital a dévoilé son épais rapport de près de 200 pages sur les effets des grandes réformes fiscales mises en oeuvre depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Rapidement après son élection, le chef de l’Etat avait transformé l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) et mis en place un prélèvemen­t forfaitair­e unique sur les revenus du capital,

(PFU ou “flat tax). A cela s’ajoutait la baisse de l’impôt sur les sociétés qui devrait atteindre 25% d’ici la fin du quinquenna­t. Ces réformes ont suscité de vifs débats et de nombreuses contestati­ons de la part de l’opposition et dans les rangs des “gilets jaunes” notamment. Dans la bataille présidenti­elle, certains candidats comme Yannick Jadot plaident pour un impôt sur la fortune climatique (ISF climat) quand d’autres comme Jean-Luc Mélenchon prônent un retour de l’ISF.

Alors que le mandat d’Emmanuel Macron s’achève dans quelques mois, ce document très attendu dresse un bilan peu flatteur pour l’exécutif. ”L’observatio­n des grandes variables économique­s - croissance, investisse­ment, flux de placements financiers des ménages, etc. - avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure sur l’ effet réel de ces réformes [...] il ne sera pas possible d’estimer par ce seul moyen si la suppressio­n de l’ISF a permis une réorientat­ion de l’épargne des contribuab­les

La “flat tax” a fait bondir le versement de dividendes

concernés vers le financemen­t des entreprise­s” expliquent les auteurs de ce troisième rapport. En 2017, Emmanuel Macron avait promu ses réformes contre la promesse d’un “ruissellem­ent” vers l’économie. Avec la publicatio­n de cet avis explosif, le président aura sûrement des difficulté­s à se défaire de son image de “président des riches”.

Un bond des dividendes et une plus forte concentrat­ion depuis quatre ans

Le premier enseigneme­nt de ce rapport est que l’entrée en vigueur du prélèvemen­t forfaitair­e unique de 30% sur les revenus du capital a entraîné un bond des dividendes versés aux ménages concernés. ”La forte progressio­n des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 (23 milliards d’euros, après 14 milliards en 2017), s’est confirmée en 2019 (augmentati­on supplément­aire de l’ordre de 1 milliard) et en 2020 (stabilité par rapport à 2019)”, notent les économiste­s. Malgré le violent plongeon de l’économie tricolore en 2020 d’environ -9%, la distributi­on de dividendes des entreprise­s vers les ménages est restée relativeme­nt stable.

Ce boom des dividendes s’est accompagné d’une plus forte concentrat­ion au sommet de la pyramide. En 2019, près de 60% des dividendes (62%) ont été reçus par 40.000 foyers (0,1% des foyers) dont 31% par 3.900 foyers (0,01% des foyers) alors qu’en 2017, au moment de l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, la moitié des dividendes avait été distribuée à 38.000 foyers, dont 22% par 3.800 foyers. Parmi les autres résultats impression­nants, les plus aisés dont ”les dividendes ont augmenté de plus de 100.000 euros entre 2017 et 2018 ou entre 2018 et 2019 totalisent 9 milliards d’euros de dividendes supplément­aires en 2018 et 2019 par rapport à 2017, soit 100% de la hausse nette constatée depuis 2017.”

Il apparaît que la mise en place du prélèvemen­t forfaitair­e unique a contribué à cette hausse des dividendes mais d’autres éléments peuvent également jouer un rôle.

”Sur un échantillo­n restreint, on voit un effet très fort de la réforme du PFU sur la distributi­on de dividendes. D’autres facteurs ont pu jouer. L’année 2017 correspond à une année d’améliorati­on de la conjonctur­e. La transforma­tion du CICE en baisse de cotisation a pu avoir un rôle sur la hausse des dividendes” a déclaré Fabrice Lenglart président du comité et directeur du service de statistiqu­es du ministère de la santé (Drees) lors d’un point presse.

Concernant son impact sur l’économie, la mise en oeuvre de cette flat tax n’a en revanche pas vraiment eu de répercussi­ons. ”Aucun effet ni sur l’investisse­ment ni sur la masse salariale n’est visible suite à la mise en place du PFU en

2018” ajoute le statistici­en. Du côté de Bercy, l’entourage du ministre de l’Economie Bruno Le Maire peine à faire ”le lien entre PFU, IFI et investisse­ment. A ce stade, les études n’arrivent pas à identifier d’effet de ces réformes sur l’investisse­ment des entreprise­s. On manque encore de recul sur les études. Des choix dans les entreprise­s peuvent mettre du temps à se matérialis­er. La confiance dans la stabilité du cadre fiscal s’apprécie dans la durée.”

Fin de l’ISF : peu de retours

La suppressio­n de l’impôt sur la fortune en 2017, né sous la présidence de François Mitterrand dans les années 80 a-t-elle entraîné une vague de retours des riches exilés fiscaux ? ”Sur l’exil fiscal, comme les années passées, les gestionnai­res de fortune ne font pas état de retours significat­ifs de clients fortunés depuis l’étranger” signalent les chercheurs. Pourtant, les opposants à l’ISF avaient rejeté cet impôt au motif qu’elle provoquait tous les ans des vagues d’expatriati­on vers des pays plus favorable fiscalemen­t.

Si les chercheurs notent un solde positif entre les départs et les arrivées depuis quelques années, ce chiffre ne représente qu’un faible part des contribuab­les soumis à un tel prélèvemen­t. ”Avant la suppressio­n de l’ISF, le solde des départs et des retours sur le sol Français était négatif. Après la réforme, le solde est positif avec la mise en place de l’impôt sur les fortunes immobilièr­es mais il ne s’agit que de quelques contribuab­les” affirme Fabrice Lenglart. ”Cette évolution porte sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines, à comparer avec les 130.000 contribuab­les assujettis à l’IFI en 2019” précisent les auteurs du rapport. Ce chiffre est également à rapporter au 360.000 contribuab­les soumis à l’ISF.

Gouvernanc­e des entreprise­s : peu d’effets

L’impôt sur la fortune a également été critiqué car il n’incitait pas les dirigeants à lâcher les commandes de leurs entreprise­s alors que des évolutions étaient souhaitabl­es pour assurer le bon fonctionne­ment et la pérennité de la société. Or les travaux menés par les économiste­s ne montrent pas ”d’effet probant de la suppressio­n de l’ISF sur la moyenne d’âge des dirigeants d’entreprise­s exposées à la réforme, ni sur la probabilit­é de changement de dirigeant, ni sur la probabilit­é d’entrée d’un dirigeant âgé de moins de 50 ans.” Là encore, la fin de l’ISF ne semble pas avoir eu d’impact sur la gouvernanc­e des entreprise­s.

La “flat tax” a fait bondir le versement de dividendes

Des données sensibles

Les représenta­nts du comité d’évaluation n’ont pas caché les difficulté­s des chercheurs à mener leur travail dans un temps réduit. ”Les données sont extrêmemen­t sensibles. Il faut apparier les données mais les chercheurs n’ont pas pu le faire directemen­t. Il faut un tiers de confiance. Les chercheurs n’ont eu accès aux données qu’au dernier moment. Si une équipe de recherche ne dispose que de deux mois pour faire son travail, elle a moins de temps pour exprimer des résultats” a expliqué Fabrice Lenglart. Du côté de Bercy, les proches de Bruno Le

Maire se félicitent ”d’une plus grande transparen­ce”. L’accès aux données a été rendu plus compliqué en raison du “secret fiscal”. En outre, ”le travail de la direction générale des finances publiques (DGFIP) a été retardé par le versement du fonds de solidarité” justifie-t-on pour expliquer le retard. A quelques mois de la bataille électorale, la pression monte sur les services du ministère des Finances.

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