La Tribune

Energie : le plan de Bruxelles pour amortir la hausse des prix, sans renoncer au climat

- Marine Godelier

Alors que la flambée des cours de l’essence, du gaz et de l’électricit­é menace le pouvoir d’achat des citoyens, Bruxelles a dévoilé mercredi un arsenal de mesures temporaire­s pour y répondre, et esquissé des pistes de réforme. Mais l’exécutif européen n’entend pas renoncer à un renchériss­ement progressif des combustibl­es fossiles, afin de satisfaire ses ambitions environnem­entales.

Le cocktail a tout pour être explosif : tandis que les prix de l’essence et du gaz s’envolent sur les marchés internatio­naux, et par conséquent dans l’UE, celle-ci ne compte pas renoncer à taxer les émissions de CO2 liées à leur utilisatio­n. Car le continent doit entamer sa transition énergétiqu­e, sans sacrifier ses ambitions environnem­entales sur l’autel du maintien à tout prix du pouvoir d’achat, estime la Commission européenne. C’est en tout cas le sens de sa panoplie de mesures « destinée à faire face à la situation exceptionn­elle et à ses conséquenc­es » dévoilée mercredi, avant que les chefs d’Etat et de gouverneme­nt des Vingt-Sept ne s’emparent du sujet lors du Conseil européen des 21 et 22 octobre.

Pour cause, les outils proposés pour amortir l’augmentati­on des tarifs doivent être « temporaire­s », bien « ciblés » et « facilement ajustables », afin de ne pas interférer avec les dynamiques du marché ni fragiliser le soutien aux énergies renouvelab­les, a fait valoir la Commission, pour qui « la transition vers une énergie propre constitue la meilleure assurance contre les chocs futurs ». Il s’agit notamment d’inciter les Etats à baisser provisoire­ment les taxes sur l’énergie, notamment la TVA, afin de protéger les consommate­urs les plus vulnérable­s. Mais aussi de les pousser à mettre en place des bons d’achat ou des reports de facture pour les ménages précaires, à l’image du chèque-énergie récemment renfloué de 100 euros en France.

Energie : le plan de Bruxelles pour amortir la hausse des prix, sans renoncer au climat

Baisser les taxes et accompagne­r les ménages

Et ce, en s’appuyant sur le système d’échanges d’émissions de gaz à effet de serre de l’UE, plutôt que de le remettre en question. Car pour compenser ces dépenses, les Etats membres peuvent puiser « dans les recettes du marché carbone, où les fournisseu­rs d’énergie achètent des droits à polluer », a précisé mercredi la commissair­e à l’Energie, Kadri Simson. De fait, selon l’institutio­n, la forte hausse du cours du CO2 (qui a récemment bondi à près de 60 euros la tonne) a permis aux Etats membres d’engranger au total 26,3 milliards d’euros de recettes sur les neuf premiers mois de 2021 - presque 11 milliards supplément­aires sur 1 an.

Par ailleurs, les Vingt-Sept peuvent piocher dans leurs recettes fiscales, ont fait valoir les commissair­es, alors que la hausse des prix du gaz et de l’électricit­é les a accrues. Et de rappeler que ces taxes constituen­t 1/3 en moyenne de la facture d’électricit­é des Européens. Résultat : en France, selon le député de Maineet-Loire Matthieu Orphelin, l’Etat a engrangé ces 12 derniers mois plus de 2,4 milliards d’euros de recettes fiscales du fait de l’augmentati­on du prix des énergies.

Réflexions sur une future réforme du marché de l’énergie

Reste que ces mesures « immédiates » ne seront pas contraigna­ntes. « C’est une goutte dans l’océan pour ceux qui traversero­nt l’hiver en pauvreté énergétiqu­e », a réagi Martha Myers, membre de l’associatio­n Les Amis de la Terre. Surtout, le véritable enjeu reste celui d’une réponse commune plus durable, à l’heure où la crise avive les tensions sur le fonctionne­ment du marché européen, suspendu aux cours mondiaux des énergies fossiles.

Fin septembre, le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, l’avait même qualifié d’ « obsolète et aberrant », puisque l’électricit­é de Hexagone subit de plein fouet la hausse des cours du prix du gaz, alors même que sa production nationale ne dépend pas de ce combustibl­e. Et avait réclamé un « découplage » de tout ou partie du prix de l’électricit­é sur le prix du gaz. Une position qui n’est pas partagée par tous les Etats membres.

« Le marché fonctionne bien et a permis des prix très compétitif­s depuis des décennies. Interférer serait dangereux et pourrait détruire toute confiance dans le marché », a pour sa part estimé le ministre de l’Energie du Luxembourg, Claude Turmes.

La Commission européenne, elle, est restée prudente, jugeant le système « efficace » pour contribuer au financemen­t des énergies bas carbone. Mais a tout de même ouvert la porte à une possible réforme, en préconisan­t une « analyse approfondi­e » de ses « avantages et défauts ». Et a confié la mission au régulateur européen de l’Energie (Acer) d’étudier l’idée d’une refonte du marché. Celui-ci ne rendra cependant pas ses conclusion­s avant le mois d’avril prochain.

Approvisio­nnement conjoint de stocks européens

Surtout, Bruxelles a proposé des pistes pour renforcer les réserves européenne­s de gaz, et vérifier que leur usage est bien « optimal », alors que tous les Etats ne disposent pas d’installati­ons de stockage.

« Dans le même temps, nous recensons d’autres mesures à moyen terme afin de veiller à ce que notre système énergétiqu­e soit plus résilient et plus souple, pour résister à toute volatilité future des prix au cours de la transition », a déclaré Kadri Simson.

Concrèteme­nt, pour optimiser les coûts et se protéger contre la volatilité des prix, la Commission a soutenu l’idée, défendue par l’Espagne, d’une approche plus intégrée. Elle réfléchit ainsi à muscler la solidarité entre Etats avec un système « volontaire » d’approvisio­nnement conjoint de stocks européens - sans objectifs contraigna­nts, donc. Enfin, l’exécutif européen planchera sur des achats groupés de gaz, là encore sur base volontaire, afin de réaliser des économies.

 ?? ?? Face à la crise, les Etats membres sont invités à se concentrer sur des « réponses sur-mesure ciblant les plus vulnérable­s, faciles à réajuster quand la situation s’améliorera et ne remettant pas en cause la transition vers une économie décarbonée ».
Face à la crise, les Etats membres sont invités à se concentrer sur des « réponses sur-mesure ciblant les plus vulnérable­s, faciles à réajuster quand la situation s’améliorera et ne remettant pas en cause la transition vers une économie décarbonée ».

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