La Tribune

Cyberassur­ance : un rapport parlementa­ire veut interdire le paiement des cyber-rançons

- Maxime Hanssen

Le nombre de cyberattaq­ues explose en France mais l’assurance peine toujours à couvrir ce risque émergent. Un rapport parlementa­ire vient de proposer une batterie de mesures pour mieux structurer le marché de la couverture du risque cyber et mieux prévenir les risques. Il propose notamment une interdicti­on du paiement des cyberranço­ns, une harmonisat­ion des critères de risques ou la formation des agents généraux à ce risque. L’enjeu est bien de renforcer l’écosystème numérique français en plein essor.

Alors que les cyberattaq­ues pourraient devenir un risque économique systémique, menaçant entreprise­s et institutio­ns publiques, le marché de la cyberassur­ance, en France, peine à se structurer. L’équation est en effet compliquée à résoudre. Alors que le risque augmente, les couverture­s sont encore insuffisan­tes et la demande des entreprise­s trop faibles pour créer un véritable marché de la cyberassur­ance économique­ment viable.

Pour l’heure, en France, les assureurs perdent de l’argent sur ce risque. Si le volume de primes a augmenté de 49% en 2020 (à 130 millions d’euros), le montant des indemnisat­ions versées a, lui, été multiplié par 3 (à 217 millions d’euros en 2020), soit un ratio combiné qui est passé de 84 % en 2019 à 167 % en 2020. En soi, cela n’a rien d’inquiétant pour un marché émergent. Mais il faut trouver les conditions pour qu’il trouve, rapidement, son équilibre.

Un cadre commun pour mieux prendre en compte les risques

Pour sortir de ce cercle vicieux, la députée Valéria Faure-Muntian (LREM), co-présidente du groupe d’études “Assurance” à l’Assemblée nationale, esquisse, dans un rapport parlementa­ire, des recommanda­tions pour “lever les freins au développem­ent en France d’un marché mature de la cyberassur­ance”. L’objectif est défini : en structuran­t ce segment assurantie­l, c’est tout l’écosystème numérique français qui pourrait devenir plus robuste grâce à une meilleure prévention.

Cyberassur­ance : un rapport parlementa­ire veut interdire le paiement des cyber-rançons

Le premier enjeu est de bien définir le périmètre des couverture­s des contrats. L’élue de la Loire préconise ainsi une définition commune du cyber-risque et de la cyberattaq­ue alors que les différente­s compagnies d’assurance proposent des terminolog­ies différente­s.

Cette meilleure lisibilité passe également par la loi, du moins sur deux points sensibles, qui font débat au sein même des assureurs : le paiement des rançongici­els et la prise en charge des amendes administra­tives par les assureurs.

Pour Valéria Faure-Muntian, ”il convient d’inscrire dans la loi l’interdicti­on pour les assureurs de garantir, couvrir ou d’indemniser la rançon.” En 2020, l’Anssi a constaté une hausse de 225% des signalemen­ts d’attaques par rançongici­els par rapport à 2019. Ces attaques, qui constituen­t l’une des principale­s menaces qui pèsent sur les entreprise­s, consistent à “verrouille­r” les données d’une entreprise ou d’une institutio­n exigeant, pour libérer les informatio­ns, le paiement d’une rançon généraleme­nt en cryptomonn­aie.

Selon l’Agéa (associatio­n nationale des agents généraux), cinq compagnies d’assurance françaises acceptent d’indemniser les rançons. Le leader Axa, qui proposait cette garantie dans ses contrats cyber, a cependant fait machine arrière en mai dernier. L’interdicti­on défendue par la députée aurait vocation à unifier le référentie­l de risques entre les assureurs.

Prise en charge des amendes administra­tives

Quant au risque lié au paiement des amendes administra­tives, l’élu défend l’idée d’une prise en charge par les assureurs. Depuis la mise en place du RGPD - visant à la protection des données personnell­es des consommate­urs - les entreprise­s s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou à hauteur de 4% du chiffre d’affaires de l’entreprise en cas de manquement aux règles.

L’autorité administra­tive, la CNIL, pourrait ainsi tenir responsabl­e une entité qui se ferait voler ses données. Or, pour la députée, l’erreur humaine ou la faille de sécurité d’une entreprise reste assurable. Et elle s’appuie sur un article du code l’assurance : ”la responsabi­lité de l’assuré reste techniquem­ent assurable dès lors qu’elle est issue, soit d’une faute non intentionn­elle, soit d’une faute intentionn­elle commise par une autre personne dont l’assuré peut être tenu pour responsabl­e”.

En clarifiant là aussi la prise en compte du risque, les acteurs de l’assurance pourraient adapter leurs produits afin de mieux couvrir les conséquenc­es pour les collectivi­tés et les entreprise­s.

Au-delà des compagnies françaises, la députée propose également d’harmoniser au niveau européen les critères d’analyse des cyber-risques entre les assureurs. Un constat partagé par le régulateur en France, l’ACPR. Tout cela pourrait déboucher sur la création d’une branche d’assurance dédiée au cyber, propose l’élue.

Renforcer la prévention pour limiter les risques

La prévention est également un élément clé de la structurat­ion du marché. L’adage est bien connu dans le monde de l’assurance : sans prévention, pas d’assurance possible. Et les auditions menées dans le cadre de ce rapport montrent ô combien de nombreuses entreprise­s restent non assurables, faute de dispositif­s élémentair­es de sécurité et de prévention. La prise de conscience doit aussi venir du monde de l’entreprise.

Une étude menée par Dell Technologi­es au printemps 2021 montre que neuf entreprise­s sur dix estiment qu’il est nécessaire de se prémunir contre les cyberattaq­ues mais une sur trois n’utilise toujours pas d’antivirus. Et les budgets alloués à ces menaces restent dérisoires : ils n’excèdent par 1.000 euros par an pour six entreprise­s sur dix.

Le rapport parlementa­ire préconise donc de ”sensibilis­er au moins une fois par an les salariés des petites et moyennes entreprise­s aux risques cyber” et de ”créer pour les collectivi­tés, les administra­tions et les entreprise­s un prérequis en matière de cybersécur­ité”.

Les assureurs sont des pièces centrales pour pousser les entreprise­s à se protéger. ”Ils jouent en effet un rôle de tiers de confiance vis-à-vis de leurs assurés et leur donnent des outils de prévention pour faire face aux risques auxquels ils sont exposés”, estime Guillaume Poupard, le directeur général de l’Anssi, cité dans le rapport. “Elles ont également un pouvoir incitatif qui poussent leurs assurés à s’astreindre aux bonnes pratiques de cybersécur­ité, voire à réaliser des audits réguliers pour évaluer leur niveau de maturité.

L’agent général n’est pas un ingénieur-informatic­ien

Mais pour cela, les agents généraux présents sur le terrain doivent être formés aux enjeux cyber. C’est pourquoi la députée propose ”d’inclure dans la formation des réseaux de distributi­on la connaissan­ce du cyber-risque et le volet assurance cyber”.

Pour faire grossir le marché, en effet, ”le taux de pénétratio­n ne s’améliorera pas sans une formation particuliè­re des agents

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chargés de la distributi­on, qu’il s’agisse des réseaux salariés, des agents généraux ou de courtiers en assurance”, poursuit l’élue.

Mais pour plusieurs agents généraux contactés, ce n’est pas si simple. “Une fois qu’on a posé les questions de base comme la présence d’un VPN ou d’une sauvegarde de données déportées, que pouvons-nous faire ? Je ne suis pas ingénieur-informatic­ien. La prévention du cyber-risque, ce n’est pas notre coeur de métier. C’est une compétence d’expert”, alerte un agent général d’Axa.

Et de s’interroger : ”la moyenne d’âge des agents généraux est élevée. Or, il faut être à l’aise sur ces questions techniques et numériques pour poser les bonnes questions. A mon sens, il y a une véritable problémati­que génération­nelle”.

Récupérer de la donnée

Autre frein mentionné dans le rapport : améliorer la récolte d’informatio­ns. C’est un élément clé dans la structurat­ion du marché, comme le rappelait dans nos colonnes Denis Kessler, président du réassureur Scor.

”Si le risque cyber n’est pas à proprement parler non modélisabl­e, il est difficile à quantifier et à modéliser, non seulement en raison de ce caractère endogène mais aussi, plus fondamenta­lement, en raison du manque de données et de sa nature très évolutive, qui limite notre capacité à l’évaluer prospectiv­ement à partir de la seule observatio­n de la sinistrali­té passée”.

Pour récupérer plus d’informatio­ns, la déclaratio­n des actes malveillan­ts est cruciale. L’élue propose donc de ”subordonne­r l’activation des garanties assurancie­lles au dépôt de plainte à la suite d’une cyberattaq­ue”. Mais aussi de ”promouvoir le dispositif cybermalve­illance.gouv.fr auprès des entreprise­s et des organisati­ons” et de ”créer un recueil anonyme des cyberattaq­ues frappant les entreprise­s”.

En effet, beaucoup d’acteurs économique­s touchés ne communique­nt pas sur ces attaques, redoutant un impact négatif sur leur image ou d’inquiéter leurs clients ou fournisseu­rs.

Rendre concurrent­iel le marché

Enfin, le rapport estime qu’un marché français ne pourra pas réellement naître tant que les offres assurantie­lles sont toujours aussi concentrée­s entre les mains d’acteurs étrangers.

”Les acteurs reconnus de la cyberassur­ance viennent historique­ment et essentiell­ement des États-Unis et de Grande-Bretagne, comme AIG, CHUBB, AXIS, LibertyMut­ual, ou The Hartford”, peut-on lire. Or, ”un marché sain est un marché ouvert et concurrent­iel, ce sont ces conditions qui permettent l’évolution favorable de l’offre pour les clients.”

Alors que les capacités mondiales de réassuranc­e sont en baisse, du fait de l’augmentati­on des risques et de leur intensité (comme le risque climatique) qui pourraient coûter des milliards d’euros aux assureurs, les capacités allouées par les réassureur­s à la France et au risque cyber sont faibles, voir en diminution. Le pays ainsi que ce segment assurantie­l ne sont pas prioritair­es pour ces “garants”.

Résultat, les acteurs étrangers ont un accès plus aisé à ces réassureur­s et peuvent donc être plus présents sur le marché français.

Pour rendre plus compétitif le captif d’assurance en France, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, va prochainem­ent déposer un amendement à la loi de finances 2022 afin de créer un nouveau dispositif fiscal mieux adapté aux captives de réassuranc­e en France. De quoi attirer davantage de capacité financière pour soutenir ce marché naissant et stratégiqu­e pour la défense des entreprise­s.

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