La Tribune

« OVHCloud a beaucoup à prouver, un chemin de pénitence l’attend en Bourse »

- Sylvain Rolland @SylvRollan­d

Les analystes consultés par La Tribune ne s’attendent pas à des débuts euphorique­s pour le champion français du cloud sur Euronext. L’entreprise fondée par Octave Klaba a beaucoup d’arguments en sa faveur, à commencer par des performanc­es financière­s solides, un excellent management et un positionne­ment stratégiqu­e autour de la souveraine­té numérique pertinent dans un marché du cloud très porteur. Mais OVHCloud reste un nain face aux géants américains et a encore beaucoup à prouver, notamment sa capacité à réussir son virage vers le PaaS (Plateform as a service), à s’implanter à l’internatio­nal, et à changer son image pour devenir un service perçu comme plus « premium » auprès des clients.

Alors qu’il s’apprête à introduire OVHCloud sur la Bourse d’Euronext, Octave Klaba, le fondateur et président du conseil d’administra­tion du champion européen du cloud, se serait bien passé d’un tel coup du sort. Mercredi matin, une panne informatiq­ue - la deuxième en six mois après l’incendie d’un datacenter près de Strasbourg - a mis hors jeu pendant une bonne heure les sites internet de milliers de ses clients à travers le monde.

Au final, rien de grave : la réaction a été rapide, efficace et transparen­te. Il ne s’agissait d’ailleurs même pas d’une véritable panne car les serveurs d’OVHCloud n’ont jamais cessé de fonctionne­r. Le dysfonctio­nnement était la conséquenc­e d’une regrettabl­e erreur humaine d’un ingénieur lors d’une opération de maintenanc­e informatiq­ue, qui a rendu les sites introuvabl­es via le protocole de connexion IPv4.

« OVHCloud a beaucoup à prouver, un chemin de pénitence l’attend en Bourse »

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Pas d’euphorie en vue lors de l’IPO

Massivemen­t relayé par les médias, ce deuxième incident en six mois pourrait-il impacter de manière significat­ive l’introducti­on en Bourse d’OVHCloud, prévue vendredi 15 octobre ? « En soi, cette panne n’est pas grave, ne révèle pas une fragilité de fond et a été rapidement réglée. Les investisse­urs savent qu’une panne peut arriver, et d’ailleurs ça arrive même aux géants américains », relativise Jacques-Aurélien Marcireau, co-directeur des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management. « Ce qui est plus gênant, c’est que c’est le deuxième incident en six mois. Cela ne vient pas consolider la confiance des clients et des investisse­urs, déjà un peu attaquée par l’incendie de mars », ajoute-t-il.

Même si cet épisode est mauvais en termes d’image pour le groupe basé à Roubaix, il n’influera qu’à la marge sur le soutien ou pas des marchés, s’accordent les analystes consultés par La Tribune. « Les investisse­urs regardent surtout toute une série de critères financiers tangibles comme l’Ebitda, le multiple de valorisati­on, puis le management, la stratégie de l’entreprise et les perspectiv­es d’évolution du secteur, avant de prendre en compte un petit incident informatiq­ue vite réglé », explique l’analyste financier Jean-Christophe Liaubet, associé chez Fabernovel, un cabinet de conseil spécialisé dans le numérique.

Mais si les investisse­urs devraient se montrer indulgents envers la panne, le grand saut d’OVHCloud en Bourse ne s’apparente pas à une sinécure pour autant. « Je serais très surpris qu’il y ait une euphorie, car beaucoup de facteurs, qui tiennent à la fois à l’entreprise elle-même et au contexte actuel de crispation sur les marchés, font d’OVHCloud un investisse­ment un peu risqué », estime Frédéric Rozier, gestionnai­re de portefeuil­le chez Mirabaud France.

« Le succès de l’entrée en Bourse d’OVHCloud est très important pour l’ensemble de la French Tech, la dimension symbolique est très forte pour montrer la voie aux autres. Mais les marchés ne vont pas signer un chèque en blanc. Je ne crains pas un raté car l’IPO a été bien préparée, mais le plus probable est que les investisse­urs attendent de voir si OVHCloud va tenir ses promesses au cours des prochains trimestres. L’entreprise a encore beaucoup à prouver. Je pense qu’un chemin de pénitence l’attend en Bourse avant une éventuelle consécrati­on », analyse Jacques-Aurélien Marcireau.

La souveraine­té numérique, l’atout numéro 1 d’OVHCloud

Après avoir espéré une valorisati­on de 4 milliards d’euros et une levée de fonds de 400 millions d’euros, Octave Klaba et son directeur général, Michel Paulin, visent finalement, d’après le document d’introducti­on en Bourse, une valorisati­on de 3,7 milliards d’euros, à un prix de 18,5 euros par action, et espèrent lever sur les marchés autour de 370 millions d’euros. L’enjeu est énorme pour OVHCloud, qui a besoin d’argent pour financer sa trajectoir­e ambitieuse de croissance, fixée à 25% par an sur les quatre prochaines années.

Née en 1999, forte de 1,6 million de clients et d’un chiffre d’affaires de 650 millions d’euros en 2020, la pépite de Roubaix dispose de quelques cartes maîtresses dans son jeu pour séduire les investisse­urs.

La première est son statut de leader européen du cloud. OVHCloud occupe une place unique : d’un côté il est très loin des géants américains, car le chiffre d’affaires d’Amazon Web Services, de Microsoft Azure et de Google Cloud se compte en dizaines de milliards de dollars par an. Mais OVHCloud est tout de même le leader européen dans le domaine des infrastruc­tures cloud (IaaS pour infrastruc­ture-as-a-service, ndlr) et le seul acteur du Vieux Continent capable de se tailler une place sur ce marché en pleine croissance dominé par les Américains.

A l’heure où les entreprise­s et les organisati­ons doivent accélérer leur transforma­tion numérique et basculent dans le multicloud, c’est le moment pour OVHCloud d’accélérer pour changer de dimension et séduire ces nouveaux clients. D’autant plus qu’Octave Klaba joue à fond la carte de la souveraine­té numérique, un thème porteur et au coeur des préoccupat­ions de l’Union européenne et de ses Etats membres.

L’entreprise a ainsi pu passer la barrière de la labellisat­ion SecNumClou­d de l’Anssi, infranchis­sable pour la plupart des autres acteurs français, afin de proposer des offres dans le cadre de la stratégie « cloud de confiance » imposée par l’Etat. Ce sésame lui permet de signer un partenaria­t avec Google pour proposer une offre commune destinée aux opérateurs de services essentiels (OSE), et un autre avec le français Whaller pour équiper en outils cloud les administra­tions publiques.

« Le positionne­ment stratégiqu­e d’OVHCloud est son principal atout car il incarne la formation d’une solution européenne, dans un secteur en hyper-croissance qui offre des taux de rentabilit­é très élevés malgré les énormes besoins d’investisse­ments », confirme Frédéric Rozier, de Mirabaud.

« OVHCloud a beaucoup à prouver, un chemin de pénitence l’attend en Bourse »

OVHCloud n’est pas survaloris­ée

En revanche, deux des quatre piliers dans la stratégie de croissance d’OVHCloud rendent les analystes plus sceptiques. Il s’agit de sa capacité à concurrenc­er les géants du secteur en dehors de l’Europe, et de réussir sa diversific­ation dans le Paas (platform-as-a-service), c’est-à-dire compléter son offre pour proposer aussi le matériel et les systèmes d’exploitati­on nécessaire­s pour permettre aux clients de développer eux-mêmes leurs logiciels métiers, comme le font les leaders mondiaux du secteur.

Ce marché du PaaS est énorme - 50 milliards d’euros par an d’après Michel Paulin, le directeur général d’OVHCloud -, en forte croissance, et l’entreprise affiche des objectifs ambitieux : elle souhaite proposer 40 suites de logiciels et 80 services d’ici à fin 2022.

Mais la décorrélat­ion entre les ambitions d’OVHCloud et la réalité de ce qu’il fait aujourd’hui dans le PaaS pourraient préoccuper les investisse­urs. « OVHCloud part de loin dans le PaaS donc le marché se pose des questions », nous indique un autre analyste qui souhaite rester anonyme. « L’enjeu du recrutemen­t des talents, qui est un énorme nuage noir pour toute l’industrie de la tech et qui est crucial pour réussir dans le PaaS car il faudra embaucher des centaines d’ingénieurs, et le défi de la croissance externe, sont forcément des facteurs de risque pour les investisse­urs », ajoute Jean-Christophe Liaubet, de Fabernovel.

Mais les analystes notent aussi qu’OVHCloud, tout en affichant une grande confiance dans sa capacité à délivrer ses belles promesses, a opté pour une valorisati­on raisonnabl­e. Fixée à

3,7 milliards d’euros, elle équivaut à 14 fois l’Ebitda (263 millions d’euros en 2020), ce qui n’est pas excessif dans la tech.

« Dans le meilleur des cas, si OVHCloud délivre les 25% de croissance annuelle qu’il promet et pose bien les jalons du PaaS et de l’internatio­nal, sa valorisati­on pourra facilement atteindre entre 6 et 7 milliards d’euros dans les prochaines années », estime Jean-Christophe Liaubet.

Mais pour l’heure, impossible d’écarter le scénario noir où l’entreprise déçoit, n’arrive pas à passer un cap de croissance, et doit relever des fonds dans quelques années sur la base d’une valorisati­on plus basse. D’autant plus qu’en terme d’image,

OVHCloud ne s’est pas encore vraiment relevée de l’incendie de son datacenter de Strasbourg, en mars dernier, qui lui a coûté 55 millions d’euros en coûts opérationn­els et gestes commerciau­x auprès des clients, mais dont on n’a pas encore vu les éventuelle­s conséquenc­es sur le « churn », c’est-à-dire la rétention des clients au moment du renouvelle­ment de leur contrat. Une donnée que les investisse­urs regardent de près.

Une culture du risque tech encore à construire en Europe

D’où le « chemin de pénitence » exprimé par Jacques-Aurélien Marcireau : dans la plus pure tradition des entreprise­s tech, OVHCloud incarne à la fois une belle opportunit­é pour des investisse­urs audacieux qui voudraient soutenir une entreprise pleine de potentiel, mais aussi un vrai risque tant le chemin est incertain.

« Parce que notre écosystème tech est plus récent et moins puissant, les investisse­urs européens n’ont pas la même culture du risque que leurs homologues américains. En Europe on valorise davantage l’exécution que la vision, on a la culture de la rentabilit­é de court terme plutôt que celle de la conquête du marché », ajoute Jean-Christophe Liaubet.

A cela s’ajoute aussi le timing, que les analystes ne trouvent pas idéal.

« Les précédente­s introducti­ons tech françaises de l’année [Believe et Exclusive Networks, ndlr] ont été décevantes, le marché au niveau mondial sature des IPO tech, les craintes sur la croissance mondiale tendent les Bourses, et les taux ont tendance à remonter ce qui pénalise le secteur de la tech qui a besoin de gros investisse­ments », note Frédéric Rozier, de Mirabaud.

Et un autre analyste de résumer : « pour moi, OVHCloud arrive en Bourse trois mois trop tard ou deux mois trop tôt ». Un timing déconcerta­nt, mais qui ne devrait pas trop pénaliser la licorne française. D’autant plus que d’après nos informatio­ns, de nombreux investisse­urs dits « Tibi », c’est-à-dire les bancassure­urs mobilisés par Emmanuel Macron pour investir dans les pépites de la tech, devraient ne pas rater l’occasion de soutenir la figure de proue de la French Tech dans le grand bain de la Bourse.

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