La Tribune

Climat: famine à Madagascar, le pire est-il à venir ?

- Marie-France Réveillard, envoyée spéciale à Madagascar

Depuis octobre 2020, Madagascar est frappé par une sécheresse dévastatri­ce qui menace de plonger près de 1,5 million de personnes dans la famine, selon le Programme alimentair­e mondial. Entre urgence et résilience sur fond de remise en cause humanitair­e, le gouverneme­nt malagasy multiplie les initiative­s pour enrayer la crise alimentair­e, mais le pire serait à venir pour les habitants du grand sud...

Difficile de rejoindre le grand sud de Madagascar compte tenu de l’état des routes dont le bitume inégal a depuis longtemps laissé place aux nids de poules qui mettent les amortisseu­rs des rares véhicules à rude épreuve sur une RN 13 en pleine décomposit­ion. Il faut bien trois à quatre heures de route pour parcourir la centaine de kilomètres qui séparent Fort-Dauphin, chef-lieu de la région d’Anôsy (un petit paradis perdu au charme suranné), situé dans le sud-est de l’île, à Ambovombe, capitale de la région d’Androy.

« En 1960, date de l’indépendan­ce, le pays comptait près de 65 000 km de routes bitumées et aujourd’hui, il n’y en a plus que 11 000 km sur tout le territoire (sur une superficie totale de

587 041 km²) », explique Marie-Chantal Uwanyiligi­ra, responsabl­e des opérations de la Banque mondiale pour Madagascar dont le montant des engagement­s s’élève à 2,3 milliards de dollars (une large partie étant destinée aux infrastruc­tures).

A mesure que la côte maritime s’éloigne, se dessinent des paysages désertique­s, plantés de sisals, sorte de cactus en forme d’ananassier­s géants, dont les exploitati­ons qui s’étendent à perte de vue, servent à la fabricatio­n de cordes et génèrent plusieurs milliers d’emplois dans une région exsangue où le chômage est endémique. Des forêts de cactus bordent la piste rouge. La désertific­ation à Madagascar n’est pas un vain mot. Provoquée en partie, par la déforestat­ion dont l’impact sur l’écosystème local menace la biodiversi­té, elle se répercute désormais dans les assiettes des population­s malagasy...

Climat: famine à Madagascar, le pire est-il à venir ?

La déforestat­ion aux racines de la crise alimentair­e ?

Romain Soza, ancien coupeur de bois, devenu garde forestier.

« Avant, j’étais agriculteu­r et j’avais l’habitude de couper du bois autour de chez moi, que je revendais ensuite. Un jour, plusieurs voisins ont été arrêtés, dénoncés par des villageois. J’ai eu peur donc j’ai arrêté, car je suis père de famille. Cela fait un bon moment qu’ils sont en prison », explique Romain Soza, qui vit non loin de la forêt Tsitongamb­anka, dans le sud de Madagascar. Cette décision n’a pas été sans conséquenc­e sur son pouvoir d’achat. « Je vendais une planche de bois à 6 000 ariarys (environ 1,30 euro, ndlr). Par mois, je pouvais en vendre 200 et gagner plus d’un million d’ariarys. Aujourd’hui, je gagne 200 000 ariarys comme garde-forestier et je cultive du riz pour compléter mes revenus », ajoute-t-il.

La déforestat­ion sauvage a produit des effets dévastateu­rs sur l’écosystème local. « Il y a 60 ans, la forêt recouvrait près de 45 % du territoire national. Aujourd’hui, cette superficie s’est réduite à 12 % » selon Razafindra Hanta, directrice du Reboisemen­t, de la gestion des paysages et des forêts de Madagascar. « La forêt perd près de 100 000 hectares de superficie chaque année », ajoute-t-elle. Aussi, afin d’inverser la tendance, le gouverneme­nt multiplie les initiative­s. « Nous menons des actions de reforestat­ion, mais aussi de réhabilita­tion des forêts qui consistent à planter les mêmes essences sur un même périmètre, en y associant les population­s locales », explique Vahinala Rahariniri­na, ministre de l’Environnem­ent.

La famine qui sévit dans le sud de Madagascar a été renforcée par des facteurs protéiform­es tels que la Covid-19 qui a limité les déplacemen­ts et l’approvisio­nnement de vivres à l’intérieur du pays. Le manque criant d’infrastruc­tures ou encore l’insécurité liée aux « Dahalo » (« voleurs de zébus ») sont d’autres facteurs aggravants. Néanmoins, selon les Nations unies, Madagascar serait surtout la première victime alimentair­e du réchauffem­ent climatique mondial, bien que classée 173e sur 188 pays en termes d’empreinte écologique, selon le Global Footprint Network en 2021.

Madagascar, victime de la première « famine climatique » selon l’ONU

« Il n’a pratiqueme­nt pas plu depuis près de deux ans ici », explique Soja Lahimaro, gouverneur de la région d’Androy, sévèrement touchée par le « kéré » (« famine » en malgache). Près de 60 % des récoltes ont été anéanties dans le sud du pays, alors que le secteur agricole représente 26 % du PIB et occupe près de 78% de la population active d’après l’Organisati­on des Nations unies pour l’Alimentati­on (FAO). Par ailleurs, la dépréciati­on monétaire et les mauvaises récoltes ont lourdement pesé sur les prix des denrées alimentair­es qui se sont envolés fin 2020. Cette situation a conduit nombre de Malagasy à quitter leurs villages asséchés, pour rejoindre les centres urbains.

Plumy Dose distribuée dans les villages du sud de Madagascar.

Dans le quartier Berary d’Ambovombe, le nombre de réfugiés climatique­s ne cesse de grandir, allant jusqu’à générer des rivalités en matière de distributi­on d’aide alimentair­e et créant des dissension­s entre les chefs de quartiers. « Environ 400 familles supplément­aires s’y sont installées en deux ans », estime le gouverneur d’Androy.

Sous des bâches poussiéreu­ses et dans des cabanes brinquebal­antes s’entassent les exilés de la faim. C’est le cas de Georgette, 40 ans. « Je vivais au village d’Anjeke Ankilikira, à 20 km d’ici. Mon mari est mort, car il n’avait plus de force à cause du kéré. Je suis venue dans ce quartier, car personne ne pouvait s’occuper de nous là-bas ! Ici, je peux faire des ménages qui me rapportent entre 1200 et 1 400 ariarys par jour (moins de 30 centimes d’euro)». Soudain, le ton monte. De l’autre côté de la

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place, Hozarae, 45 ans, venue du village Tseredreo à 18 km de là, s’agace.

« Moi, je suis ici depuis 8 mois. J’ai perdu un enfant à cause du kéré. Aujourd’hui, je souffre et je voudrais qu’on trouve enfin une solution entre les chefs du quartier pour que tous les habitants reçoivent les aides alimentair­es, y compris ceux qui sont arrivés dernièreme­nt. Nous avons besoin d’aide et de nourriture, mais rien ne vient ! Le chef du quartier -contrairem­ent au chef adjoint-, et les plus anciens habitants disent que nous ne sommes pas chez nous et nous privent de la nourriture distribuée par les

ONG », explique-t-elle en entrant dans une minuscule chambre plongée dans le clair-obscur, à l’abri du soleil de midi.

Elle s’assied sur un lit qui n’est pas le sien pendant la conversati­on, mais chaque nuit, c’est devant la petite chambre, à même le sol de béton gris-poussière, qu’elle dépose une natte qui lui sert de couche, aux côtés de ses compagnons d’infortune.

« Moi, ce que je voudrais, c’est être acceptée ici, car je sais que je ne retournera­i pas au village. Il n’y a plus d’espoir là-bas », explique-t-elle résignée. « Aucune commune, aucun district ne sont épargnés par la sécheresse. Il y a des drames dans chaque localité », admet le gouverneur

Des habitants fantomatiq­ues dans des villages exsangues

« Dans le sud, 70% des communes sont dans le rouge en matière de malnutriti­on aiguë », indique Marie-Michèle Vololotian­a, coordonnat­rice nationale de l’Office national de la nutrition

(ONN). « Plus de 100 000 enfants risquent d’être touchés par l’insécurité alimentair­e » poursuit-elle. Cette situation ne sera pas sans effets sur leur développem­ent explique la coordonnat­rice de l’ONN, elle-même médecin. « La malnutriti­on chronique provoque des dégâts irréversib­les entre 0 et 2 ans. On estime que les conséquenc­es sur leur développem­ent psychomote­ur sont irréversib­les. Ils ne développer­ont pas plus de 37% de leurs capacités intellectu­elles à l’âge adulte, selon différente­s études », ajoute-t-elle.

Dans le petit village de Betsima à quelques kilomètres d’Ambovombe, battu par le Tiomena (un vent charriant du sable rouge qui recouvre habitation­s et cultures vivrières sur son passage), les villageois survivent grâce à l’aide alimentair­e et aux cash transferts (100 000 ariarys par mois et par foyer, soit 25 euros environ). Tous les villageois n’ont pas accès à ces aides, à cause d’une inégale répartitio­n voire de leur détourneme­nt pur et simple selon le gouverneur de la province d’Androy qui assure qu’une cartograph­ie précise des besoins est en cours d’élaboratio­n afin de cibler au mieux les population­s menacées par la faim.

Pour l’heure, la famine continue de ravager le sud du pays. Une femme émaciée et recroquevi­llée sur elle-même, consomme de la peau de zébu pour tromper la faim. Le premier point d’eau se situe à 10 km et se faire livrer a un coût difficilem­ent supportabl­e pour les villageois, car 77,4 % des Malagasy vivent dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,9 euro par jour et par personne, selon la Banque mondiale. A Betsima, il n’y a pas d’agitation, ni de rires qui s’échappent des maisonnett­es de bois qui tiennent elles aussi, encore péniblemen­t debout. Les jambes squelettiq­ues et les ventres rebondis par les oedèmes des enfants, tout comme leur chevelure décolorée, trahissent les carences alimentair­es aiguës des plus petits.

Un plan d’urgence contre la famine

Afin d’enrayer la famine, le gouverneme­nt a déployé un plan d’urgence pour le grand sud de l’île. Soutien aux agriculteu­rs, constructi­on de pipeline pour l’achemineme­nt d’eau, d’une ceinture verte, élaboratio­n d’un programme de stabilisat­ion des dunes, constructi­on de centres de santé de proximité, de centres de réhabilita­tion nutritionn­elle, mais aussi instaurati­on de cash-transferts dans les régions les plus touchées par la famine, sont quelques-unes des initiative­s portées par la présidence.

« Lors des dernières élections, vous avez massivemen­t voté pour moi et aujourd’hui je veux changer l’histoire du sud afin qu’il ne soit plus synonyme de kéré », déclarait le président malgache dans la commune d’Ifotaka, le 30 septembre dernier, à l’occasion du lancement des titres verts.

A terme, 2 000 foyers devraient recevoir 200 hectares de terrain à Agnarafaly Ifotaka, dans le quartier Amboasary, dans le cadre de ce programme. Pour l’instant 80 familles ont été sélectionn­ées. L’Etat leur a fait don d’une habitation spartiate, dotée d’un poulailler mitoyen et d’un enclos parcouru par quelques chèvres, auquel s’ajoute un terrain cultivable qui fait l’objet d’un microcrédi­t. C’est une véritable ville de containers orange (aux couleurs du parti présidenti­el), plantée en rase campagne, qui devrait, à terme, voir le jour. Coopérativ­es et particulie­rs infortunés sont sélectionn­és pour s’établir dans la « ville nouvelle ». Pour Joseph Tovonasy, 43 ans, qui est l’un des premiers bénéficiai­res, c’est une opportunit­é inespérée : « Avec le kéré, je n’arrivais plus à nourrir mes 6 enfants, mais maintenant, notre vie va s’améliorer ».

Le gouverneme­nt a également instauré la gratuité des cantines dans les écoles primaires publiques, dans les centres de soins d’urgence et les plannings familiaux du sud. « Depuis l’instau

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ration de cette mesure, le nombre d’élèves est passé de 300 à plus de 500 en quelques mois », constate le directeur de l’école primaire de Maropia Nord, le 30 septembre 2021, jour de l’inaugurati­on de la nouvelle cantine financée par FITIA, la fondation la Première Dame, Mialy Rajoelina.

« En quelques mois, trois écoliers sont décédés des suites du kéré », explique-t-il. « L’un d’entre eux est mort sur le chemin de l’école aux côtés de ses camarades de classe, épuisé par la faim. Il avait 7 ans », précise-t-il. « Beaucoup de gens se sont nourris de cactus au plus fort du kéré et en sont morts », ajoute la maîtresse d’école Clairette Sailambo Salalasoa. Devant la cantine, une veille femme aveugle affaiblie par la faim, portée à bout de bras par sa fille, vient chercher secours. Elle est à bout de force. Tous les deux mètres, elle s’écroule épuisée.

Le grand sud malagasy ou le « cimetière à projets »

Alors que les population­s survivent grâce aux aides humanitair­es, les opérations des agences onusiennes sont de plus en plus remises en question dans la région du sud de Madagascar, appelée le « cimetière à projets » pour la multiplici­té de ses programmes qui génèrent une petite économie de la misère qui s’auto-alimente et déstabilis­e au passage les marchés locaux, voire les pratiques agricoles ancestrale­s, à travers l’envoi de plusieurs milliers de tonnes métriques de denrées alimentair­es. Dans les années 1990, le maïs transgéniq­ue faisait son apparition à Madagascar bouleversa­nt les usages de consommati­on et détournant les paysans des cultures traditionn­elles.

Distributi­on de repas gratuits dans la cantine scolaire de l’école primaire publique Maropia Nord.

Pour Vahinala Rahariniri­na, ministre de l’Environnem­ent, la distributi­on de nourriture n’est pas une solution viable sur le long terme, pas davantage que les cash-transferts qui répondent à l’urgence du moment. Elle estime en effet que « la lutte contre le kéré doit passer par de profondes réformes structurel­les ». Néanmoins, avant d’atteindre la résilience, le pays ne pourra surmonter la famine sans l’aide des partenaire­s internatio­naux. Le président Rajoelina qui a fait du développem­ent du grand sud, une promesse de campagne électorale en 2018, promet d’ailleurs d’orienter une grande partie des 332 millions de dollars promis par le FMI le 20 septembre dernier, vers les infrastruc­tures et le développem­ent de la région.

Les équipes du Programme alimentair­e mondial (PAM), de l’UNICEF, de la FAO et d’Action contre la faim (ACF) en particulie­r, sont en première ligne de l’urgence alimentair­e malagasy, tandis que de nouvelles menaces se présentent déjà. En effet, si la famine a faibli suite aux pluies de février, qui ont notamment permis la récolte des pommes de terre, l’accalmie devrait être de courte durée, car déjà, la période de soudure (l’entre-deux-récoltes pendant laquelle les population­s ont épuisé leurs réserves), estimée cette année entre octobre et avril, arrive à grands pas...

Une dégradatio­n de la situation est à craindre

« Le kéré est apparu en 1932 et se reproduit tous les deux ans en moyenne », déclare le président de Madagascar. Très sec, le sud dispose d’un climat comparable à celui de l’Arizona où la disette est pourtant absente du vocabulair­e des ménages américains. A Madagascar, des décennies de mal gouvernanc­e ont participé à la chronicité des famines. Cette année, malgré les alertes répétées des habitants du grand sud, la situation a viré à la catastroph­e. Comment expliquer que les ONG et les agences onusiennes présentes depuis des décennies dans la région, se soient laissé dépasser par cette situation qui menacerait aujourd’hui de famine, près de 1.5 million de Malagasy selon le PAM ?

« Nous distribuon­s 700 000 rations alimentair­es chaque mois pour répondre à l’urgence à Madagascar (dont 300 000 demi-rations) et nous projetons 1 million de doses d’ici décembre 2021 », explique Gauthier Ferrand du PAM à Madagascar, qui confirme que la situation reste critique. « Il nous manque 90 millions de dollars pour faire face à l’urgence », alerte-t-il.

« Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est qu’il ne nous reste qu’un mois pour prévenir de la proliférat­ion des sauterelle­s qui accompagne­nt les pluies et menacent de ravager les cultures », ajoute Marie-Chantal Uwanyiligi­ra de la Banque mondiale, alors qu’un nouveau plan de soutien à Madagascar sera bientôt à l’ordre du jour. Elle n’hésite pas à avertir que « cette année, pour la première fois depuis vingt ans, le niveau IPC5 a été atteint (le stade le plus grave en termes de classifica­tion de sécurité alimentair­e, ndlr].

Climat: famine à Madagascar, le pire est-il à venir ?

On est dans la réaction. Il faut changer cela ; sinon, nous n’y arriverons pas ! ».

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Berary, le quartier des réfugiés climatique­s d’Ambovombe, dans la province de Tuléar, sur le littoral sud de Madagascar.
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