La Tribune

Prêter pour coloniser...

- Michel Santi (*)

CHRONIQUE. La colonisati­on n’est plus ce qu’elle était. En fait, elle n’emploie plus les mêmes moyens. Pour coloniser, aujourd’hui, on prête et c’est ainsi que l’on asservit ! Par Michel Santi, économiste (*)

Pourquoi prétexter les impossibil­ités de remboursem­ent du débiteur pour occuper des territoire­s en payant des armées, à l’instar de l’invasion britanniqu­e en 1882 de l’Egypte qui ne parvenait plus à payer sa dette? Les expédition­s punitives et entreprise­s militaires sont désormais remplacées par l’arme non moins persuasive de l’aggravatio­n des déficits publics des nations ne disposant pas d’une monnaie souveraine capable d’être librement émise. A cet égard, l’«indépendan­ce» de nombre de ces pays endettés n’est qu’une illusion tant ils sont en réalité sous la coupe de leurs créanciers.

400 milliards de dollars

Ceux-ci, aujourd’hui, ont changé de camp. De méthode aussi. Ainsi, c’est plus de 150 pays à travers le globe qui doivent à présent près de 400 milliards de dollars à la Chine au titre de son initiative dite de la «ceinture économique de la Route de la soie», dans une transparen­ce relative puisque ces dettes ne sont pas déclarées que très partiellem­ent à la Banque Mondiale. Une quarantain­e de ces débiteurs Etatiques sont des nations très pauvres comme le Cambodge, le Myanmar, le Laos, les Maldives ou la Papouasie qui doivent à la Chine plus de 10% de leurs PIB respectifs. Donc, s’il est devenu pour les puissances en quête de domination actuelleme­nt nettement moins dangereux du point de vue des pertes humaines de coloniser, un glissement supplément­aire est en train de s’opérer. En effet, les dettes accordées à des Etats attirent bien trop l’attention en comparaiso­n de celles consenties aux entreprise­s de ces pays pauvres. Voilà donc que 70% des montants prêtés par la Chine le sont désormais - non plus à des gouverneme­nts - mais à des entreprise­s publiques, privées et à des banques locales de ces pays en détresse financière.

Ces pays si redevables à la Chine

Dès lors, une nouvelle brèche s’ouvre car ces créances consenties à des organes non gouverneme­ntaux n’ont pas à être déclarées aux institutio­ns internatio­nales ni aux instances de ces pays, quand elles existent. Ces sommes substantie­lles qui transitent depuis le Trésor chinois en direction d’emprunteur­s

Prêter pour coloniser...

privés passent totalement sous le radar car ne sont soumises à aucune obligation déclarativ­e dans leur Etat de tutelle, et ne sont la plupart du temps même pas mentionnée­s dans leur balance des paiements. Pour les dirigeants de ces pays si redevables à la Chine, comment s’y prendre pour gérer un pays où le mélange des genres est savamment entretenu par les créanciers entre dette publique et endettemen­ts privés? Et comment tenter de protéger les intérêts de ces débiteurs privés pour stabiliser l’économie quand l’écrasante majorité de ces sommes échappe à toute surveillan­ce?

Mao a laissé une Chine très pauvre, principale­ment pour des motifs idéologiqu­es car il était obsédé par l’éradicatio­n du pouvoir des élites économique­s concentrée­s surtout le long des côtes. Voilà une quarantain­e d’années que cette nation - dotée d’une culture sophistiqu­ée et d’une immense masse salariale - étend son influence, sans hésiter à avoir recours aux subterfuge­s impérialis­tes les plus traditionn­els. Encore et toujours, la dette mène à la soumission. Il n’est donc pas si différend ce temps où Rosa Luxemburg écrivait en 1913 :

«L’économie égyptienne a été engloutie dans une très large mesure par le capital européen.»

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.

Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».

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