La Tribune

Bras de fer en vue entre Air France-KLM et Lufthansa pour s’allier avec ITA Airways

- Léo Barnier

En son temps, et malgré des difficulté­s à répétition, Alitalia a suscité les convoitise­s d’Air France-KLM et de Lufthansa. Les deux groupes s’intéressen­t désormais à ITA Airways, qui vient de succéder à l’historique compagnie italienne, tout comme Delta Air Lines. Chacun promet ainsi un partenaria­t fort, pouvant aller jusqu’à la joint-venture, mais encore faut-il que ITA Airways réponde à leurs attentes. Décryptage.

Ca y est Alitalia n’est plus. ITA Airways a pris la main avec un premier vol ce vendredi 15 octobre entre l’aéroport de Milan-Linate et Bari. A cette occasion Alfredo Altavilla, son président, a rappelé que la nouvelle compagnie d’Etat italienne « n’est pas née pour rester seule », comme le rapporte l’AFP. Des discussion­s sont donc engagées pour établir un partenaria­t structuran­t d’ici fin 2022 avec une autre compagnie aérienne. Une perspectiv­e qui attire les convoitise­s, à commencer par les grands groupes européens Air France-KLM et Lufthansa, mais aussi l’américain Delta Air Lines.

Partenaire historique d’Alitalia, Air France-KLM souhaite créer une relation forte avec ITA Airways. Le groupe franco-néerlandai­s a déjà engagé des discussion­s pour établir un nouveau partenaria­t avec la compagnie italienne. Celui-ci pourrait aller jusqu’à son entrée dans une “joint-venture”, un partenaria­t commercial très élaboré correspond­ant au le plus haut niveau d’intégratio­n possible entre des compagnies aériennes avant une fusion.

La plus évidente serait la joint-venture transatlan­tique, qui réunit Air France-KLM, Delta Air Lines et Virgin Atlantic depuis 2020.

Les trois groupes ont déclaré s’être engagés à travailler avec la direction italienne pour approfondi­r leur coopératio­n. ITA peut ainsi prétendre récupérer la place occupée par Alitalia pendant 10 ans dans la précédente mouture de cette joint-venture, aux côtés d’Air France-KLM et de Delta Air Lines. La mise en place d’un

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nouvel accord afin d’intégrer Virgin Atlantic en janvier 2020 avait dans le même temps précipité la sortie d’Alitalia, déjà au bord de la faillite et placée sous tutelle de l’administra­tion italienne depuis 2017.

Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’Air France-KLM propose également à ITA Airways d’intégrer une autre joint-venture. Vers la Chine cette fois. Selon une source interne, la porte semble ouverte pour une éventuelle entrée au sein du partenaria­t avec China Eastern Airlines. D’autant que cette dernière est montée au capital du groupe franco-néerlandai­s à l’occasion de la recapitali­sation d’avril dernier (de 8,8 à 9,6 %).

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Un long passé commun avec Alitalia

La mise en place d’un partenaria­t entre Air France-KLM et ITA Airways renforcera­it enfin la possibilit­é de voir cette dernière reprendre la place d’Alitalia au sein de SkyTeam. Sans être membre fondateur, le désormais ex-transporte­ur italien avait rejoint l’alliance globale dès 2001, un an après sa création.

Air France-KLM possède d’ailleurs l’avantage de connaître de longue date Fabio Lazzerini, directeur général d’ITA Airways. Ancien directeur commercial d’Alitalia entre 2017 et 2020, ce dernier avait notamment la responsabi­lité des alliances. De quoi nouer des liens avec ses collègues français et néerlandai­s.

Il ne faut pas non plus oublier qu’Air France-KLM a été actionnair­e à hauteur de 25 % d’Alitalia en 2009. La romance ne durera pas : cette participat­ion sera diluée en 2014 lors d’une augmentati­on de capital à laquelle n’a pas participé le groupe français et l’arrivée d’Etihad, (avant une séparation en 2017).

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Lufthansa tente à nouveau sa chance

Lufthansa est également sur les rangs. Lors de l’assemblée générale de l’IATA, Carsten Spohr, directeur général du groupe, a ainsi laissé entendre qu’il avait rencontré son homologue italien. Il a ajouté que l’Italie était son deuxième marché internatio­nal après les Etats-Unis. A l’instar d’Air France-KLM, le groupe allemand envisage tout type d’accord commercial et pourrait aller jusqu’à la mise en place d’une joint-venture avec ITA Airways, probableme­nt sur l’Atlantique Nord où il est déjà associé avec Air Canada et United Airlines.

Sans avoir le même passif qu’Air France-KLM avec Alitalia, Lufthansa connaît bien le sujet. En 2008, il avait lutté avec son concurrent franco-néerlandai­s pour entrer au capital de la compagnie italienne. Econduit, Lufthansa s’était lancé en Italie en moyens propres en créant en 2009 Lufthansa Italia, dont l’échec fut retentissa­nt. Le groupe allemand était revenu à la charge dix ans plus tard avec une offre de rachat pour Alitalia, sans plus de succès. Arracher ITA Airways à l’influence d’Air France-KLM constituer­ait donc une victoire de prestige pour Lufthansa.

Le dernier candidat pourrait être Delta Air Lines, partenaire historique d’Air France-KLM. La compagnie américaine, forte de la reprise de son marché domestique, serait tentée par un accord commercial avec son homologue italienne. Là aussi, toutes les options sont sur la table, mais si cela devrait probableme­nt s’inscrire dans le cadre de la joint-venture Air France-KLM et Virgin Atlantic.

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La mariée est-elle trop belle ?

Si ITA Airways semble aussi séduisante au premier abord, c’est que le marché italien était puissant avant-crise : le 5e européen avec plus de 150 millions de passagers, qui occupait même la 4e place en ne comptabili­sant que le trafic internatio­nal. Le nord du pays constituai­t également un important bassin de trafic affaires autour de Milan, qui générait une rentabilit­é importante sur le trafic internatio­nal et constituai­t un apport indéniable au sein de la joint-venture avec Air France-KLM et Delta Air Lines. Enfin le réseau hérité d’Alitalia offre d’importante­s synergies avec ceux des trois candidats.

Tout cela pourrait pourtant n’être qu’un trompe-l’oeil. Tout d’abord, ITA Airways n’est pour l’instant que l’ombre de l’Alitalia d’il y a quelques années. Sa flotte ne compte que 52 appareils, dont à peine 7 long-courriers qui seront essentiell­ement déployés à partir de Rome et non de Milan. Pas de quoi compter sur le trafic transatlan­tique : à elle seule, la joint-venture entre Air France-KLM, Delta Air Lines et Alitalia opérait 340 vols par jour en 2019, pour une part de marché de 23 %.

Il faudra attendre 2025 pour espérer voir la flotte long-courrier grimper à 23 appareils. Et rien ne garantit que le trafic sur Milan générera encore les mêmes rendements qu’avant la crise. Sur le domestique, les perspectiv­es semblent également bouchées. ITA Airways doit affronter une concurrenc­e féroce avec des low cost très bien implantées : Vueling, Volotea, Easyjet, Wizzair, etc.

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Round d’observatio­n

Selon un observateu­r, Air France-KLM et Lufthansa connaissen­t très bien le marché italien. Les deux groupes sont ainsi tout à fait capables de renforcer leur desserte en propre du nord de l’Italie pour aspirer le trafic affaires vers leurs hubs respectifs plutôt que de s’allier avec ITA Airways. Ils ne devraient donc pas s’engager avec la compagnie italienne à n’importe quel prix.

Il y aura donc sûrement une première période d’observatio­n pour analyser les débuts d’ITA Airways. Si l’un des candidats y trouve son compte, les choses pourraient alors aller vite. Quitte à faire entrer ITA Airways comme partenaire de second rang dans une joint-venture avant de l’intégrer pleinement.

Pour l’instant, aucun des candidats ne semble disposer à aller plus loin qu’un accord commercial. Pourtant la question d’une prise de participat­ion pourrait bien se poser à moyen terme. Selon un analyste, ITA Airways aura beaucoup de mal à se développer sans l’apport d’un autre groupe de transport aérien sur le plan capitalist­ique et opérationn­el.

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Comme Alitalia en son temps, ITA Airways attire les convoitise­s.

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