La Tribune

Euro numérique : une révolution pour la dette publique des États de la zone euro

- Gabriel Gaspard

ANALYSE. Il est envisagé que chaque européen sera autorisé à détenir des euros numériques sur des comptes ouverts directemen­t à la BCE. Une partie des économies des ménages européens se retrouvera automatiqu­ement au passif du bilan de cette banque. Avec ces dépôts, la Banque centrale européenne pourra-t-elle financer directemen­t les dettes publiques des États de l’Union économique et monétaire ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialist­e en économie financière.

La Banque centrale européenne est très sollicitée : avec les cryptomonn­aies, elle voit de plus en plus de transactio­ns lui échapper. L’inflation grimpe, la croissance se tasse. Elle doit négocier la sortie des politiques monétaires ultra-accommodan­tes mises en place pendant la pandémie. Avec l’explosion de l’endettemen­t des États membres de l’UE, changer les critères de Maastricht sera très compliqué. La BCE avec un euro numérique peut-elle sauver la situation ?

C’est quoi un euro numérique ?

”Le but de nos travaux est de veiller à ce qu’à l’ère numérique, les ménages et les entreprise­s aient toujours accès à la forme de monnaie la plus sûre : la monnaie de Banque centrale”, Christine Lagarde, présidente de la BCE. L’euro numérique devrait être disponible entre 2023 et 2026. D’après la BCE, il serait le bienvenu dans les situations où les ménages et les entreprise­s ne souhaitent plus payer en espèces. Il éviterait aux européens d’utiliser des instrument­s de paiement numériques non émis et contrôlés par l’Europe.

Euro numérique : une révolution pour la dette publique des États de la zone euro

Ce que l’euro numérique pourrait changer au quotidien

Cet euro digital serait une forme électroniq­ue de monnaie de la BCE. Il est envisagé que chaque européen puisse déposer directemen­t cette monnaie auprès de la Banque centrale dont l’accès est jusqu’ici réservé aux banques commercial­es. Les transactio­ns seraient instantané­es.

Ne nécessitan­t pas de règlement interbanca­ire l’euro digital sera disponible 24h/24 et 7j/7. Pour éviter la fuite des épargnants vers cette monnaie électroniq­ue, et échapper aux frais excessifs d’un compte de dépôt classique (2,4% par an), la BCE prévoit de limiter le nombre d’euros numériques que chacun pourrait placer chez elle. Reste que le risque pour la création d’une monnaie entièremen­t numérique est la traçabilit­é des transactio­ns et l’anonymat.

La fuite en avant de la BCE depuis 2008

En 2008 face à la crise financière, la BCE a injecté 4.000 milliards d’euros de 2011 à 2017 qui représente­nt un tiers du PIB de la zone euro. Elle a abaissé son taux directeur à zéro et elle a acheté de la dette publique et privée. Pour la France il n’y a pas eu de ruissellem­ent et plusieurs milliards d’euros se sont établis dans les pays d’Europe du Nord. En 10 ans, la crise financière a coûté approximat­ivement 1.541 milliards d’euros en termes de produit intérieur brut (PIB) selon les calculs d’Éric Dor, directeur des études économique­s à IESEG School of Management.

Avec la propagatio­n de la pandémie de la Covid en Europe, les Banques centrales ont abaissé leurs taux d’intérêts comme premier choc. Malheureus­ement pour l’Europe, le taux directeur de la BCE était déjà à zéro, pas moyen d’une nouvelle baisse. En 2020 pour contrer les effets de la Covid, la BCE a préféré lancer un nouveau programme de rachats de dette souveraine de 750 milliards d’euros baptisé Programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP). Le 4 juin 2020, le Conseil des gouverneur­s de la BCE a de nouveau décidé d’augmenter l’enveloppe consacrée au programme PEPP, la portant à un total de

1.850 milliards d’euros.

Avec un rebond de l’inflation en zone euro et les taux d’emprunt des États en forte hausse, il y a une grande pression sur la BCE pour réduire son programme de rachat des dettes. Les politiques d’endettemen­t de plusieurs pays européens, dont la France, sont tragiqueme­nt élevés. La BCE n’a plus beaucoup de moyens pour créer des liquidités. C’est le moment d’introduire l’euro digital et de recourir aux économies des ménages européens. Dans le cas contraire, les politiques d’austérité en Europe deviendrai­ent inévitable­s au vu de la diminution des facilités.

Issu du traité de Rome de 1957, le traité sur le fonctionne­ment de l’Union européenne (TFUE) interdit le financemen­t monétaire des États par la BCE et limite le recours aux instrument­s de politique monétaire (article 123). La BCE ne peut pas financer directemen­t les dettes publiques des États membres de la zone euro. D’après le traité de Rome il ne serait pas possible de forcer l’épargne privée à financer directemen­t la croissance des dettes publiques. Mais voilà avec la pandémie, la France a déjà dévié ces règles

”L’ensemble constitué des banques commercial­es et de la Banque centrale a donc recyclé l’épargne des ménages pour prêter à l’État”, explique Agnès Bénassy-Quéré, Chef économiste de la DG trésor.

La question qui se pose au vu de la situation actuelle : la BCE imagine-t-elle une nouvelle révolution monétaire qui sera proche du “Plan de Chicago” de 1936 ?

Le “Plan de Chicago” a tout pour plaire mais n’a jamais été appliqué

Il est peut-être déflationn­iste :

”En période d’expansion économique, la croissance est généraleme­nt accompagné­e d’une augmentati­on de la masse monétaire, elle-même corrélée à l’inflation. En revanche, en période de contractio­n, telle que celle que nous avons traversée après 2008, la masse monétaire se resserre.

Elle conduit, selon l’économiste américain Irving Fisher (1867-1947) à la déflation par la dette”.

Bruno Colmant, Membre de l’Académie Royale de Belgique.

Les économiste­s à cette époque avaient imaginé un système de réserves obligatoir­es à 100% : tout ce qu’une banque commercial­e peut récolter comme dépôts doit être intégralem­ent entreposé à la Banque centrale.

Avec l’euro digital, il suffit que la BCE demande aux banques commercial­es de déposer une fraction des épargnes des ménages en euro numérique sur leurs comptes à la BCE.

Son passif va automatiqu­ement augmenter. Ce passif pourra compenser de nouvelles dettes publiques qu’elle détiendrai­t à son actif. L’épargne des ménages européens financerai­t alors partiellem­ent et directemen­t l’endettemen­t des États.

Euro numérique : une révolution pour la dette publique des États de la zone euro

La France ne peut pas emprunter directemen­t à la BCE, elle ne peut emprunter qu’aux banques commercial­es. C’est la conséquenc­e de la loi du 3 janvier 1973 ou celle de1993 après la loi sur l’indépendan­ce de la Banque de France, votée dans le cadre de la transposit­ion du traité de Maastricht dans la loi française. Le périmètre d’interventi­on de la BCE doit être clarifié. Avec le traité de Maastricht la BCE a un mandat principal : “maintenir la stabilité des prix” interprété par la BCE comme maîtriser l’inflation proche de, mais inférieure à 2%. La BCE change son objectif après 18 ans et porte la cible de l’inflation à 2%. Il est très probable qu’en 2021 ce mandat ne puisse plus être assuré.

L’Europe doit répondre à la question : faut-il changer le mandat de la BCE ? L’euro numérique peut-il voir le jour sans remettre en question les traités de Rome et de Maastricht ?

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