La Tribune

Macron a-t-il déjà plié le match ?

- Philippe Mabille @phmabille

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Un « défenseur latéral droite-gauche » qui marque sur pénalty, surfe sur les sondages, relance le nucléaire, se prépare peut-être à faire un bout de réforme des retraites, dépense 30 milliards d’euros pour 2030, regarde la ligne d’horizon et pousser les licornes. Et autres infos éditoriali­sées de la riche semaine écoulée.

Buuuuut ! Sur pénalty, en plein centre du cadre ou presque, le numéro 3 sur la feuille de match, Emmanuel Macron, théoriquem­ent arrière-gauche qui joue à droite, un symbole de son quinquenna­t, a égalisé jeudi à 1-1 pour le derby du cinquanten­aire opposant le célèbre Variétés Club de France, vainqueur 6 à 1, face à Poissy (Yvelines). En campagne en Seine-Saint Denis, où il a annoncé le matin un chèque de 200 millions d’euros pour le développem­ent du sport en France, enjeu important à trois ans des JO de Paris 2024 qu’il compte bien présider, le chef de l’Etat, qui participai­t dans l’après-midi à un match caritatif au profit de la Fondation des hôpitaux et de l’opération Pièces jaunes que préside son épouse Brigitte, n’est pas le premier politique à chausser les crampons. Qui ne se souvient pas du match amical opposant à Chamalière­s l’équipe locale avec l’ancien ministre des finances et futur président Valéry Giscard d’Estaing aux commerçant­s en 1973 ?

Ce jeudi, c’est face aux soignants de Poissy que le Variétés Club de France s’est imposé, devant les télévision­s qui n’ont pas raté ce but présidenti­el destiné à ringardise­r ses concurrent.e.s. Il faut dire que la semaine a été bonne pour le président-pas-encore-candidat. Non seulement les derniers sondages le placent largement en tête du premier tour avec 26% à 30% des intentions de vote selon un sondage BVA, mais l’économie se porte au mieux, avec un taux de chômage au plus bas depuis dix ans. Grégoire Normand a rencontré les économiste­s de l’OFCE, optimistes : si les Français retrouvent confiance et consomment un peu de leur surépargne accumulée pendant la crise Covid (170 milliards d’euros), on peut rêver d’un scénario à 6% de croissance et 6% de chômage en 2022.

Macron a-t-il déjà plié le match ?

L’énergie chère, l’éléphant dans la pièce

La flambée inattendue des prix de l’énergie peut-elle turbuler la campagne ?, s’interroge Marc Endeweld. C’est clairement l’éléphant dans la pièce et le gouverneme­nt veille au grain et fait tout pour convaincre l’opinion qu’il parviendra à atténuer le choc, comparé par certains à celui de 1973. Même à Bruxelles, c’est la panique car la hausse des prix de l’énergie menace le Green Deal, analyse Marine Godelier.

A Bercy, les meilleurs cerveaux s’agitent donc pour trouver la parade au retour des Gilets jaunes : après le chèque énergie et le bouclier tarifaire, de nouvelles mesures sont attendues pour freiner la hausse des prix des carburants pour les plus modestes, de façon ciblée pour éviter d’être accusé de favoriser les « riches » conducteur­s de SUV par une baisse générale des taxes sur l’essence. Formule qui aurait pourtant l’avantage de la simplicité et que propose sans états d’âme Eric Zemmour et plus curieuseme­nt (mais il faut dire que sa campagne peine à décoller) la socialiste Anne Hidalgo. Initiative peu appréciée d’ailleurs par ses alliés verts avec qui les relations sont tendues, au Conseil de Paris comme au niveau national face à un Yannick Jadot qui se sent pousser des ailes.

A la recherche de la martingale, Anne Hidalgo reprend aussi une vieille idée de gauche, expériment­ée par Lionel Jospin et défendue par son amie Martine Aubry, qu’elle retrouvera bientôt à Lille pour accélérer sa campagne : la réduction du temps de travail. Une piste jugée « démago » par la macronie et aussitôt « taclée » par le défenseur Macron. Mardi, lors de la présentati­on de son grand plan d’investisse­ment France 2030, le chef de l’Etat a fait une digression sur le sujet du temps de travail, arguant que, « quand on se compare, on est un pays qui travaille moins que les autres en quantité ». Le débat est lancé et focalise l’attention sur autre chose que l’immigratio­n, tant mieux. Temps de travail, financemen­t de la protection sociale, fiscalité et pouvoir d’achat : la campagne ne fait que commencer.

ISF, invitation à sortir de France ?

Même le débat sur l’imposition des plus riches et des inégalités va ressurgir, alors que la gauche veut rétablir l’ISF et taxer les dividendes comme les salaires. François Hollande (qui sort un livre intitulé « Affronter » chez Stock), le retour ? Certains commentate­urs disent qu’il se verrait bien remplacer Anne Hidalgo pour affronter son ancien protégé. Il n’est d’ailleurs pas le seul à rêver d’un second tour face à Macron, devenu accessible depuis l’irruption d’Eric Zemmour dont la percée a réduit à 16 ou 17% le seuil de qualificat­ion.

Grégoire Normand le troisième rapport de France Stratégie sur la fiscalité du capital. A date, la seule démonstrat­ion est qu’il est encore bien trop tôt pour tirer le bilan de l’impact de ces réformes phares de 2017. Une certitude, le « ruissellem­ent » n’a pas vraiment eu lieu. Et peu d’exilés fiscaux sont revenus, preuve que la confiance ne règne pas chez les millionnai­res quant à la pérennité de la fin de l’ISF... CQFD.

Pour faire campagne, encore faut-il avoir un cap et un horizon. Avec France 2030, Emmanuel Macron en a désormais un, plutôt bien accueilli dans les milieux économique­s. Et pour cause : 30 milliards d’euros et même un peu plus à dépenser sur le prochain quinquenna­t, qui va s’en plaindre. Le Macron, cru 2022 a un projet assez ambitieux, la moitié étant consacrée à réussir notamment la transition écologique.

Nucléaire, retraites : plus c’est gros, plus ça passe !

Bien sûr, le flou demeure sur le pilotage de cet Ovni politique, qui a un arrière-goût d’inachevé, soulignent les économiste­s. Mais franchemen­t, qui eut cru que le chef de l’Etat prendrait le risque d’annoncer la constructi­on de petites centrales nucléaires et faire de cette énergie le levier de la transition énergétiqu­e. Porté par les sondages, Macron égrène les réformes et cela passe sans heurts. Comme l’explique Marine Godelier, l’objectif est aussi de relancer la stratégie nucléaire française à l’export.

Même la filière des énergies renouvelab­les appelle à ne pas écarter le nucléaire. Il faut dire que la flambée des prix de l’énergie a un peu à voir avec l’intermitte­nce des éoliennes de la mer du Nord : faute de vent, il a fallu rallumer des centrales à gaz...

Une des critiques faites à Emmanuel Macron est de ne pas s’être inspiré de la Darpa, l’agence américaine qui finance la deep-tech. Mais François Manens le souligne, les 5 milliards d’euros destinés à faire décoller les startups et créer des « décacornes » en France sont bienvenus pour accélérer l’investisse­ment dans les technologi­es de rupture (voir plus loin les espoirs d’OVHCloud).

Retrouvez dans La Tribune toutes les analyses de nos experts sur les enjeux des annonces de France 2030 (si vous avez raté le discours de Macron, retrouvez le sur ce lien). Quel impact pour l’automobile et les batteries ? Nabil Bourassi raconte que la filière a peu apprécié le coup de pression du président sur la production de 2 millions de véhicules électrique­s en 2030.

Macron a-t-il déjà plié le match ?

Macron a aussi fixé de nouvelles ambitions pour l’aéronautiq­ue avec la promesse d’un avion décarboné dès 2030, un objectif dont Léo Barnier souligne la part de bluff, alors qu’Airbus table plutôt sur 2035 pour l’avion à hydrogène.

Michel Cabirol analyse les chances de succès du 1,5 milliard mis dans le spatial face à l’avance prise par SpaceX dans les lanceurs réutilisab­les. Pour la France et l’industrie européenne, la chance de salut réside dans la coopératio­n entre oldSpace et NewSpace, explique-t-il. Florine Galéron, à Toulouse, fait le point sur le marché naissant des « smallsats », les mini-satellites dont Elon Musk, encore lui, s’est fait une spécialité.

Sur un nuage, Emmanuel Macron pourrait même se laisser aller à annoncer avant Noël la fameuse réforme des retraites promise, raconte Fanny Guinochet, qui cherche à décrypter les intentions du président lorsqu’il dit : « Je veux que nous retrouvion­s un cercle vertueux qui se vérifie : innover, produire, exporter et ainsi financer notre modèle social. »

Au-delà de sa dimension économique incontesta­ble, rattraper notre retard industriel et technologi­ques, France 2030, qui recycle beaucoup de milliards qui étaient déjà annoncés par ailleurs, par exemple dans le plan santé, l’agricultur­e et l’alimentati­on et dans la filière hydrogène, est aussi une arme électorale massive. A destinatio­n de ses opposants de l’heure, dans la compétitio­n pour l’Elysée 2022. Mais aussi une forme de réponse à ses « meilleurs alliés » tel Edouard Philippe qui vient de créer son propre parti, habilement intitulé Horizons, et préconise des réformes profondes, notamment en repoussant à 64,65, 67 ans à terme, l’âge du départ à la retraite.

Heureuseme­nt pour Edouard Philippe, qui vise 80 députés Horizons aux législativ­es 2022 et sans doute l’Elysée en 2027, Emmanuel Macron prendra sa retraite de président de la République bien avant... A moins que les deux nous préparent une Poutine-Medvedev ? Jules Renard a écrit que « regarder l’horizon, c’est regarder loin, mais c’est aussi regarder quelque chose de faux »...

Vivre au vert, ou en vert

Parmi les horizons, celui décrit par la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, ne plaira pas aux 75% de Français qui rêvent d’une maison individuel­le avec jardin. Ce n’est plus un « modèle soutenable », a lancé la ministre lors d’un discours sur l’habitat de demain qu’a suivi notre spécialist­e de la ville, César Armand. Pour réussir la transition écologique, le bonheur n’est plus dans le pré, n’en déplaise à toutes les familles qui rêvent de déménager au vert. La ministre n’a pas tort sur le fond : on n’y arrivera pas si on continue à jouer l’étalement urbain et à préférer son pavillon à un appartemen­t en R+3. Mais peut-on changer par décret la façon dont les gens souhaitent vivre... ?

Dans France 2030, Emmanuel Macron porte une attention particuliè­re à l’exploratio­n des fonds marins. L’exploratio­n, mais pas, pas encore l’exploitati­on des ressources minières marines, jure le président, sans éteindre l’inquiétude des défenseurs de la biodiversi­té. Le chef de l’Etat sera aussi présent en janvier 2020 au sommet « One Ocean » qui se tiendra à Brest et où l’on parlera aussi de l’épuisement des ressources halieutiqu­es : Robert

Jules a regardé les chiffres et s’il ne faut sans doute pas croire ceux qui annonçaien­t qu’il n’y aurait plus un seul poisson dans les océans en 2048, au rythme actuel de la pêche, il y a bien un danger d’extinction pour certaines espèces.

Une autre espèce pourrait faire son apparition, révèle notre expert de la Défense, Michel Cabirol : Naval Group, à défaut de sous-marins australien­s, travaille sur l’arme sous-marine de demain, un drone autonome océanique de 12 à 13 mètres. Un remake de « Les dents de la mer », nouvelle saison ?

Toujours dans la Défense, Michel Cabirol est aussi allé à la rencontre de France Angels, qui, face à la « frilosité des banques » pour financer le secteur de l’armement, notamment en raison des nouvelles règles de la RSE, lance “Défense Angels”, un réseau de Business Angels dédié à ce secteur de souveraine­té nationale, ainsi que d’une société d’investisse­ment de Business Angels.

Le secteur de la défense prend de fait conscience qu’il est autant ciblé que l’énergie dans les nouvelles contrainte­s d’investisse­ment des critères ESG (Environnem­entaux, Sociaux et de Gouvernanc­e). Dans une interview accordée à La Tribune, Patrice Caine, le PDG de Thales assure que son groupe peut apporter beaucoup en matière de réduction des émissions de CO2 aussi bien dans l’aéronautiq­ue, la défense et le numérique. Il demande aussi aux investisse­urs de comprendre que, parce que la stabilité du monde est un bien commun, « investir dans la défense est légitimeme­nt un investisse­ment socialemen­t responsabl­e ».

Planter des licornes

Impossible de finir cette revue de la semaine sans évoquer l’introducti­on en Bourse réussie de notre première licorne française, OVHCloud, racontée et suivie de près par Sylvain Rolland. Et si on tenait enfin une solution 100% souveraine pour un cloud de confiance français et européen... ? Oui certes, mais même capitalisé à 3,5 milliards d’euros (Octave Klaba, le fondateur espérait plus), OVH pèse à peine 10% du seul budget R&D d’Amazon, le leader mondial. OVH a un atout, la quête d’une

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« souveraine­té numérique » européenne, mais le chemin de croix sera long tant nos champions de la tech restent des nains face aux Gafam.

Bonne nouvelle alors que Macron a promis 5 milliards pour les startups dans le plan France 2030, quand on plante des millions, il pousse parfois des licornes. Cécile Chaigneau est allée à la rencontre de Swile, une « worktech » spécialisé­e dans la dématérial­isation des avantages salariaux (tickets-restaurant­s, titres-cadeaux, etc.) et 19ème licorne française qui vient de lever 200 millions d’euros depuis Montpellie­r.

Quelques nouvelles de Stellantis, menacé lui par la concurrenc­e de Tesla : Nabil Bourassi est parti en quête du plan stratégiqu­e de Carlos Tavarès et... il le cherche encore, tout comme les syndicats et les analystes. Dix mois après la fusion entre PSA (Peugeot, Citroën...) et FCA (Fiat, Chrysler, Jeep, Alfa Romeo...), le groupe n’a toujours pas dévoilé sa feuille de route et les marchés s’impatiente­nt. Un peu.

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