La Tribune

Présidenti­elle française : ces candidats qui conduiraie­nt une politique “pro-russe”

- Guillaume Lagane

OPINION. Plusieurs candidats déclarés à la présidenti­elle française souhaitent un rapprochem­ent avec la Russie. Concrèteme­nt, quelles formes une telle politique prendrait-elle ? Par Guillaume Lagane, Sciences Po

Alors que Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan sont déjà entrés dans la course présidenti­elle, et que l’annonce d’une candidatur­e Éric Zemmour semble n’être plus qu’une question de semaines, il est intéressan­t d’imaginer ce que serait la politique que l’une de ces personnali­tés conduirait vis-à-vis de Moscou si elle venait à être élue en mai prochain.

En effet, au-delà de leurs divergence­s, tous ces responsabl­es ont en commun un rejet de la ligne dure adoptée par la France et l’UE vis-à-vis de la Russie, expriment (à divers degrés) leur respect envers Vladimir Poutine et prônent un rapprochem­ent significat­if entre Paris et le Kremlin. Ils développen­t des positions que François Fillon, le candidat de la droite lors de la précédente élection présidenti­elle, avait déjà tenues.

Un tropisme pro-russe relativeme­nt répandu

Jean-Luc Mélenchon excepté, leurs vues n’ont, il est vrai, rien de très original dans une France de droite fascinée par le poutinisme (en 2018, 27 % des Français avaient une une bonne opinion du chef de l’État russe, mais ce ratio s’élevait à 35 % parmi les sympathisa­nts Républicai­ns et 50 % parmi ceux du Rassemblem­ent national). Elles reposent sur une conception bien connue de l’histoire récente. La Russie, sortie vaincue et affaiblie de la guerre froide, aurait été humiliée par les Occidentau­x. Elle est environnée de menaces dont l’OTAN est la principale. Loin d’être l’agresseur, elle est la victime d’un complot que les Anglo-Saxons ont ourdi et qui visent à empêcher l’union du continent européen.

D’autres mesures d’apaisement vis-à-vis de la Russie, par exemple le retrait du contingent français déployé dans les pays

Présidenti­elle française : ces candidats qui conduiraie­nt une politique “pro-russe”

baltes au titre des mesures dites de réassuranc­e de l’OTAN (la « présence avancée renforcée » créée après 2014), auraient un grand impact pour Moscou. Mais elles heurteraie­nt évidemment beaucoup les États orientaux, anciens satellites soviétique­s (Roumaine, Tchéquie) ou ex-république­s de l’URSS (Baltes), qui y verraient la confirmati­on des soupçons de complaisan­ce envers la Russie qu’ils ne cessent de nourrir chaque fois qu’est évoquée l’actuelle politique de dialogue franco-russe. La Pologne du PIS, alliée pourtant naturelle d’un président français conservate­ur sur les sujets sociétaux, en ferait un casus belli.

Des gestes diplomatiq­ues audacieux pourraient être envisagés, par exemple la reconnaiss­ance de l’annexion de la Crimée par la France, de manière unilatéral­e. Outre qu’elle romprait le consensus européen (et nous brouillera­it pour toujours avec l’Ukraine), une telle décision contrevien­drait au droit internatio­nal que la France défend, et notamment au respect de la souveraine­té des États et à la non-ingérence dans leurs affaires intérieure­s. Elle isolerait Paris au sein du camp occidental mais également à l’Assemblée générale des Nations unies qui a condamné à plusieurs reprises cette modificati­on par la force des frontières internatio­nales (par exemple en décembre 2020 dans une résolution adoptée par 63 pays, 17 ayant voté contre, 63 s’étant abstenus).

Nombre des proches alliés de la Russie (de la Biélorussi­e à la Chine) n’ont d’ailleurs pas reconnu cette annexion (celle-ci a été seulement reconnue, à ce jour, par l’Afghanista­n (via une déclaratio­n d’Hamid Karzaï en 2014), la Corée du Nord, Cuba, le Kirghizist­an, le Nicaragua, le Soudan (avant l’actuelle transition), la Syrie et le Zimbabwe).

En désespoir de cause, on pourrait envisager des concession­s aux Russes sur d’autres théâtres que l’Europe. En Syrie, Paris pourrait renouer avec Bachar Al-Assad. Une position nouvelle qui romprait avec une « diplomatie des valeurs » qui, bon an mal an, ancrait depuis 2011 Paris dans le camp occidental. Dans le dossier iranien, la France pourrait quitter ce même camp et appuyer la Russie, partenaire traditionn­el de Téhéran, faisant fi de la non-proliférat­ion. En Afrique, nous pourrions nous réjouir de la présence russe en République centrafric­aine, voire inviter les mercenaire­s de Wagner à nous succéder au Mali. Mais, sans même évoquer la perte d’influence dont seraient porteuses de telles décisions, nous perdrions ce faisant le soutien des Européens et celui, crucial, des Américains.

Une complexe révolution diplomatiq­ue

Au fond, semblable au rapprochem­ent entre la France et l’Autriche opéré par le cardinal de Bernis en 1756, cette nouvelle alliance franco-russe serait une véritable « révolution diplomatiq­ue ». Elle se traduirait par la remise en question de la plupart des positions de politique étrangère adoptées par la France depuis plusieurs décennies. Elle nous isolerait de bon nombre de nos partenaire­s européens, rendrait probableme­nt difficile notre maintien dans l’OTAN (quel en serait le sens ?), et dégraderai­t notre alliance, déjà entamée par l’affaire Aukus, avec les États-Unis. Elle pousserait paradoxale­ment les États atlantiste­s, le Royaume-Uni mais sans doute aussi l’Allemagne, à rechercher plus encore la protection de Washington.

S’il semble difficile à mettre en pratique, le tropisme pro-russe de plusieurs candidats français à la présidenti­elle fait en revanche écho à l’évolution générale des relations internatio­nales en ce début de décennie 2020. La politique américaine semble désormais tout entière tournée vers l’affronteme­nt avec la Chine. Dès lors, la Russie devient une pièce de cette vaste partie d’échecs, une puissance dont la coopératio­n peut être recherchée par Washington. Plusieurs décisions récentes de l’administra­tion américaine (l’acceptatio­n d’un prolongeme­nt du traité New Start, la levée des sanctions contre Nord Stream 2, de possibles discussion­s sur l’utilisatio­n de bases russes en Asie centrale pour des frappes anti-terroriste­s en Afghanista­n) montrent une volonté de dialogue avec Moscou.

Mais la politique américaine ne peut pas être le miroir des décisions françaises, notre pays ne jouant plus dans la même catégorie de puissance. La question du moment est donc moins celle d’une alliance franco-russe, que le géant moscovite trouvera toujours moins attractive qu’une discussion avec les États-Unis, que celle de la place de la France dans la vaste tectonique des plaques du nouvel affronteme­nt sino-américain. Rappelons-nous du mot de Zhou Enlai au sujet de la Chine dans la guerre froide russo-américaine : « Que les éléphants se battent ou fassent l’amour, c’est toujours l’herbe qui est écrasée. » Est-ce le moment de quitter l’éléphant pour marcher sur l’herbe ?

Présidenti­elle française : ces candidats qui conduiraie­nt une politique “pro-russe”

_______

Par Guillaume Lagane, Maître de conférence­s, Sciences Po

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

 ?? ?? (Crédits : Sputnik Photo Agency)
(Crédits : Sputnik Photo Agency)

Newspapers in French

Newspapers from France