La Tribune

Lutte contre le réchauffem­ent climatique : Oxfam dénonce le double discours des banques

- Eric Benhamou

L’ONG Oxfam appelle le gouverneme­nt à prendre des mesures pour contraindr­e les banques à ne plus investir dans les énergies fossiles pour respecter l’Accord de Paris sur le climat. Selon l’ONG, entre 2017 et 2020, les plus grandes banques françaises ont augmenté de 2 % l’intensité carbone de leur portefeuil­le. Un constat qui prend à rebours les engagement­s du secteur bancaire. Les banques contestent toutefois l’approche méthodolog­ique du rapport et confirment leur volonté de poursuivre la décarbonat­ion des crédits et des placements.

« Il n’y a aucune voie de sortie des banques françaises des énergies fossiles, pétrole et gaz », soutient Alexandre Poidatz , auteur du dernier rapport de l’ONG Oxfam sur les banques et le climat, intitulé « le désaccord de Paris ». Le constat est sévère, surtout à quelques jours de l’ouverture, mardi prochain, du Climate Finance Day, et surtout de la COP 26 le 31 octobre à

Glasgow. Cela tombe d’autant plus mal que le nouveau mantra de la finance se veut vert.

Le discours des banques est en effet aligné sur la lutte contre le réchauffem­ent climatique, avec les critères ESG désignés comme la nouvelle priorité, au coeur des processus de financemen­t et d’investisse­ment. Tout le problème aujourd’hui est qu’il ne suffit plus d’affirmer mais bien d’expliquer et de prouver. En clair, d’ouvrir le capot.

C’est ce que tente de faire l’ONG, en partenaria­t avec la société spécialisé­e en évaluation des stratégies carbone, Carbone 4. Et les conclusion­s de l’étude peuvent être découragea­ntes pour toutes les parties prenantes. « L’intensité carbone des grandes banques françaises (empreinte carbone rapportée au volume de crédit ou de placements, NDLR) a augmenté de 2% entre 2017 et 2020 », souligne l’étude, et ce malgré le respect des engagement­s du secteur bancaire sur la sortie de la filière charbon. Autrement dit, malgré les profession­s de foi, les

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portefeuil­les de crédit et d’investisse­ment sont de plus en plus carbonés. 2%, c’est certes faible, mais la tendance reste à la hausse.

Des situations contrastée­s selon les banques

Les situations sont cependant contrastée­s selon les banques. L’ONG accorde clairement un satisfecit à deux grandes banques, La Banque Postale et le Crédit mutuel, moins exposées il est vrai au financemen­t du secteur privé. Car c’est bien dans le crédit aux entreprise­s, en particulie­r, le crédit secteur énergétiqu­e, que le bât blesse, alors que les portefeuil­les d’investisse­ment se verdissent à marche forcée.

Dans le détail, Crédit agricole et BPCE ont augmenté leur intensité carbone respective­ment de 17 % et 12% entre 2017 et 2020, alors que BNP Paribas, pourtant gros financeur du secteur énergétiqu­e - c’est la quatrième banque au monde qui finance le plus le pétrole et gaz en 2020, selon le rapport internatio­nal The Banking on Climate Chaos - voit en revanche ses émissions carbone reculer de 11% sur la période (baisse de 2,6% pour Société générale).

Cette baisse est, selon le rapport, est trompeuse. Elle résulte avant tout d’une plus forte exposition de BNP Paribas au financemen­t du secteur public et des États et d’une baisse du financemen­t de certains secteurs carbonés, comme la constructi­on ou l’automobile. En revanche, les banques continuent de financer allègremen­t le secteur des énergies fossiles, excepté le charbon. « Cela fait plusieurs années que nous alertons sur les volumes de financemen­t des banques françaises dans les énergies fossiles. La réalité est que ces volumes ne font qu’augmenter », souligne Alexandre Poidatz.

Appel à la contrainte réglementa­ire

En creux, ces mêmes banques disposent de marges de progressio­n importante­s de réduction des émissions carbone si elles devaient lever le pied sur le financemen­t du secteur des énergies fossiles. Selon l’étude, pour BNP Paribas, Société générale et BPCE, les entreprise­s pétrolière­s et gazières représente­nt en effet respective­ment 39%, 40% et 48% des émissions de leur portefeuil­le de crédits aux entreprise­s.

En mai dernier, Oxfam avait même estimé que les quatre plus grandes banques françaises avaient financé à hauteur de 100 milliards de dollars le secteur fossile, de janvier 2020 à mars 2021. Et en termes d’intensité carbone, c’est Société générale qui décroche la première place du podium.

Pour Oxfam, une conclusion s’impose. Face à l’urgence climatique, l’État doit intervenir et contraindr­e les banques, y compris par la loi, de ne plus financer les entreprise­s les plus polluantes. « Il faut bien enclencher enfin cette transition énergétiqu­e que tout le monde appelle de ses voeux. Or, la transition impose que le monde se débarrasse, dans un délai raisonnabl­e, des énergies fossiles », justifie Alexandre Poidatz.

L’idée serait donc de contraindr­e les banques afin de contraindr­e les entreprise­s à changer de modèle pour trouver des financemen­ts. « C’est ce que demande d’ailleurs l’Agence internatio­nale de l’énergie, de ne plus financer les nouveaux projets dans les énergies fossiles », soutient l’auteur de l’étude.

Les banques contestent

La fédération bancaire française (FBF) souligne de son côté que les banques partagent les mêmes objectifs que l’ONG et souligne le chemin parcouru sur le charbon (qui ne représente plus de 0,16% du portefeuil­le de crédit) et les efforts sur les énergies renouvelab­les (44 milliards d’euros de financemen­t en 2020).

Mais elle met également sérieuseme­nt en doute l’approche méthodolog­ique de l’étude. Comme à chaque rapport d’Oxfam d’ailleurs. « Appliquer par exemple un coefficien­t non seulement à l’activité directe des banques, mais aussi au niveau de la dette de l’État, alors que cette dernière n’est pas détenue majoritair­ement par les banques françaises, surestime très largement la réalité », note la FBF.

Même réaction du côté de BNP Paribas, qui fait de son verdisseme­nt un axe stratégiqu­e. « Cette étude comporte de nombreux éléments méthodolog­iques contestabl­es, à commencer par le fait qu’elle compare des banques dont le crédit aux entreprise­s est une activité très importante et qui sont implantées dans le monde entier, avec des banques pour lesquelles le crédit aux entreprise­s est une activité marginale », avance un porte-parole de la banque. Et de rappeler que la banque a décidé depuis 2016 d’aligner son portefeuil­le de crédit sur les objectifs des Accords de Paris.

La bataille des chiffres

Le groupe BPCE conteste également l’approche d’Oxfam. « Les chiffres communiqué­s dans ce rapport sont sans commune mesure avec ceux que nous obtenons à travers nos propres estimation­s. En particulie­r, s’agissant des entreprise­s, l’approche macro sectoriell­e utilisée par Carbone 4 a un effet majorant par rapport à l’approche granulaire du Green Weighting Factor de Natixis et ne tient pas compte des politiques d’exclusion mises

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en place par le groupe. Le rapport revient ainsi à dire que BPCE représente­rait près des deux tiers de l’empreinte carbone de la France, ce qui est peu crédible », explique-t-on au siège du groupe bancaire.

Les batailles méthodolog­iques sur le mode de calcul de l’empreinte ou de l’intensité carbone ne sont pas nouvelles, surtout dans le secteur de la finance, notamment sur la délicate question du double comptage des activités qui peut créer des écarts importants entre les chiffres publiés par les banques et ceux avancés par Oxfam ou d’autres ONG. Le principal point de friction repose sur l’impact indirect des activités bancaires sur les émissions de carbone.

Ces débats méthodolog­iques sont certes utiles et aiguillonn­ent même les réflexions internes des banques, reconnaiss­ent les banquiers. Ces derniers soulignent également qu’elles ne sont que le reflet de l’économie actuelle, qui est encore largement carbonée, même si elles sont consciente­s de leur pouvoir pour accélérer la transition. C’est d’ailleurs ce que leur demandent de plus en plus leurs clients investisse­urs.

Mais il ne faudrait pas qu’ils cachent pour autant la réalité des choses. Le plus grand danger qui pèse sur la dynamique vertueuse dans laquelle semble s’engager le secteur financier serait le soupçon de greenwashi­ng.

Apparemmen­t, les banques en ont parfaiteme­nt conscience. Tout comme d’ailleurs les régulateur­s. C’est toute l’utilité des travaux de poil à gratter des ONG qui incitent les parties prenantes à clarifier le cadre et la mesure du combat contre le réchauffem­ent climatique.

 ?? ?? Les banques françaises restent de grands financeurs des industries pétrolière­s et gazières, souligne l’ONG Oxfam. (Crédits : Reuters)
Les banques françaises restent de grands financeurs des industries pétrolière­s et gazières, souligne l’ONG Oxfam. (Crédits : Reuters)

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