La Tribune

Hydrogène : au-delà des milliards

- Christine Le Bihan Graf et Sébastien Zimmer

OPINION. Le Président de la République l’a confirmé le 12 octobre dernier : l’hydrogène est un des piliers du plan d’investisse­ment « France 2030 ». Sauf que les milliards prévus pour le secteur ne suffiront pas pour garantir l’émergence d’une filière industriel­le. Si la France de 2030 veut s’appuyer sur un marché de l’hydrogène bas carbone compétitif qui offre en plus la sécurité d’approvisio­nnement, c’est d’un cadre de régulation complet dont les investisse­urs et les consommate­urs ont aussi besoin. Par Christine Le Bihan-Graf, Avocate Associée, cabinet De Pardieu Brocas Mafféi et Sébastien Zimmer, Partner, Emerton.

Une consécrati­on. Tel est certaineme­nt ce que de nombreux pionniers de l’hydrogène - ces entreprene­urs qui ont misé sur les piles à combustibl­e il y a dix ans et ces collectivi­tés qui ont osé les premiers véhicules avec leur station - ont le sentiment de vivre aujourd’hui. Après les 7 milliards de la stratégie nationale hydrogène annoncée l’an dernier, le Président de la République a en effet confirmé le 12 octobre que l’hydrogène était un des piliers du plan d’investisse­ment « France 2030 »,

Les précurseur­s des nouveaux usages de l’hydrogène ont effectivem­ent de quoi se réjouir : le précédent plan - celui de Nicolas Hulot en 2018 - n’était parvenu à dégager qu’une centaine de millions d’euros. Trop peu pour décarboner l’industrie par l’utilisatio­n de l’hydrogène vert et non plus gris, convertir les transports au zéro-émission, développer des capacités de stockage d’énergies renouvelab­les, bref, pour exploiter au mieux le potentiel de ce gaz et atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce n’est pas tout, les nombreux milliards annoncés dans les autres pays d’Europe et dans le monde (9 milliards d’euros prévus en Allemagne d’ici 2030 par exemple) confirment l’ampleur du mouvement vers une économie de l’hydrogène destinée à développer l’industrie européenne et à créer des emplois tout en servant le climat.

Toutefois, les milliards ne suffiront pas

Pour que l’hydrogène se développe à l’échelle industriel­le, qu’un véritable marché national et européen soit créé, et pour que les subvention­s jouent pleinement leur effet de levier et d’accélérati­on des financemen­ts, encore faudrait-il que les acteurs de la filière aient un minimum de visibilité sur la rentabilit­é future des

Hydrogène : au-delà des milliards

projets. Or, qui est en mesure de dire aujourd’hui si un investisse­ment réalisé dans la production d’hydrogène, les infrastruc­tures de transport, de stockage, ou même dans la constituti­on d’une flotte de véhicules hydrogène sera rentable et donc finançable ? Personne. Tout simplement parce que rien ne garantit encore aux producteur­s d’hydrogène bas carbone qu’ils auront suffisamme­nt d’acheteurs, ni à ces acheteurs qu’ils pourront bénéficier d’hydrogène compétitif à long terme.

En dépit de leur nécessité non discutable pour enclencher une première dynamique, les subvention­s n’ont pas la capacité, à elles seules, de structurer le marché et de garantir l’émergence d’une filière industriel­le. Le risque est alors réel que le développem­ent du secteur de l’hydrogène en France se résume à une mosaïque de petits projets et que la neutralité carbone ne s’envisage plus à l’horizon 2050.

Au-delà des subvention­s, seul un cadre de régulation adapté peut, en pratique, sécuriser les conditions d’investisse­ment, faire passer le développem­ent de l’hydrogène à l’échelle industriel­le et engendrer les baisses de coûts nécessaire­s à la pérennité de la filière. Un tel cadre de régulation doit englober producteur­s et consommate­urs, afin de garantir aux premiers des revenus sur la durée et aux seconds la compétitiv­ité de leurs approvisio­nnements, comme cela a été fait pour l’électricit­é renouvelab­le. Jamais en effet la production d’électricit­é verte n’aurait pu connaître une telle croissance si des tarifs attractifs couplés à une obligation d’achat par le fournisseu­r historique ou des appels d’offres portant sur des contrats de long-terme subvention­nés n’avaient été mis en place.

Certes, l’hydrogène n’est pas l’électricit­é. Pour cette dernière, les réseaux étaient déjà en place sur l’ensemble du territoire et les consommate­urs aussi. Il a suffi que la régulation sécurise les investisse­ments dans les production­s éoliennes et solaires en s’appuyant sur des réseaux et des consommate­urs d’électricit­é préexistan­ts. La situation est différente pour l’hydrogène où il s’agit de construire un nouveau système énergétiqu­e, rien de moins !

Une chose est certaine : si la France de 2030 veut s’appuyer sur un marché de l’hydrogène bas carbone compétitif et offrant la sécurité d’approvisio­nnement nécessaire, il est urgent de faire sortir de terre un cadre de régulation complet dont les investisse­urs et les consommate­urs ont besoin, pour que les pionniers de l’hydrogène n’aient pas à regretter leurs initiative­s, pour que leurs successeur­s réalisent les projets innovants et rentables dont la France a besoin et pour que la neutralité carbone devienne réalité.

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(Crédits : iStock)

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