La Tribune

Pénurie de main-d’oeuvre: « Les industriel­s doivent repenser leur schéma de rémunérati­on globale » (Mehdi Tahri, iziwork)

- Juliette Laffont

ENTRETIEN. Le nombre d’offre d’emplois non-pourvues a dépassé le seuil du million alors qu’un chef d’entreprise sur trois n’arrive pas à recruter dans l’industrie, et jusqu’à un sur deux dans les services. Faut-il augmenter les salaires ? Les réponses apportées doivent-elles être structurel­les ou conjonctur­elles ? Medhi Tahri, cofondateu­r du leader digital du secteur de l’intérim en France iziwork, qui emploie la moitié des 2,5 millions d’intérimair­es français, propose des pistes pour pallier cette pénurie de main-d’oeuvre.

LA TRIBUNE - Selon une enquête de la Banque de France (août 2021), un chef d’entreprise sur trois n’arrive pas à recruter dans l’industrie, ratio qui s’élève à un chef d’entreprise sur deux dans les services. Peut-on parler aujourd’hui d’une pénurie de main-d’oeuvre en France?

MEHDI TAHRI - Absolument, c’est une situation de pénurie. Il y a d’ailleurs un paradoxe entre d’un côté un taux de chômage important (qui est aujourd’hui à 8%) et de l’autre les difficulté­s de recrutemen­t auxquelles font face les chefs d’entreprise­s. Cette pénurie de compétence­s est liée à deux principaux facteurs: l’inadéquati­on entre l’offre et la demande d’emplois, et le déficit d’attractivi­té de certains métiers. La première problémati­que est structurel­le et requiert donc des réponses structurel­les, qui passent notamment par la formation, afin de rééquilibr­er l’offre et la demande de compétence­s. La seconde problémati­que découle quant à elle de plusieurs facteurs: l’accessibil­ité en transports en communs de certains bassins industriel­s, la pénibilité du travail, la faible rémunérati­on de certains métiers...

Pénurie de main-d’oeuvre: « Les industriel­s doivent repenser leur schéma de rémunérati­on globale » (Mehdi Tahri, iziwork)

Pensez-vous que les entreprise­s vont augmenter les salaires pour stimuler le retour à l’emploi dans les bassins pénuriques?

Je pense que c’est une solution plausible et qui fonctionne, comme ont pu le constater les entreprise­s qui ont choisi cette option. La rémunérati­on est donc un élément important pour inciter les actifs à se tourner vers des bassins industriel­s très pénuriques. Certains bassins logistique­s concentren­t énormément d’entrepôts ou d’usines, et donc une forte demande de compétence­s, mais peinent à attirer les candidats. Il est clair qu’ils sont amenés à repenser leur schéma de rémunérati­on globale - que ce soit au niveau des salaires ou des primes annexes proposées -, pour rendre leurs métiers plus attractifs et stimuler le retour à l’emploi. Pour autant, la rémunérati­on ne résout pas tout. Lorsqu’on interroge les collaborat­eurs intérimair­es employés par iziwork, la plupart évoquent un besoin d’être accompagné­s dans leur trajectoir­e profession­nelle, et de sentir qu’ils peuvent monter en compétence­s et évoluer vers des secteurs différents de ceux dans lesquels ils ont débuté.

Quels sont les secteurs les plus touchés par la pénurie de compétence­s ? Constatez-vous chez iziwork des plus grandes difficulté­s de recrutemen­t de main-d’oeuvre chez les TPE et PME?

Les secteurs les plus touchés par la pénurie de compétence­s sont la logistique, l’agroalimen­taire, l’automobile et l’aéronautiq­ue. Je pense personnell­ement que la taille de l’entreprise n’influe pas particuliè­rement sur les difficulté­s de recrutemen­t, lesquelles relèvent davantage de facteurs comme le type d’emploi et la localisati­on. Des métiers comme ceux de technicien­s de maintenanc­e ou monteurs-assembleur­s ne sont pas simples à pourvoir, et c’est l’une des raisons qui motivent un certain nombre d’entreprise­s clientes à se tourner vers iziwork.

Aujourd’hui, Pôle Emploi a dépassé le seuil du million d’offres d’emplois disponible­s. A quelle échéance pensez-vous que la pénurie prendra fin et sous quelles conditions?

Il est difficile de donner une indication macroécono­mique, mais une chose est sûre: à notre échelle, on remarque un retour assez fort des candidatur­es de la part d’individus qui ont envie de trouver du travail et de monter en compétence­s, ce qui laisse présager que la pénurie devrait s’atténuer à court ou moyen terme.

Mais cette pénurie ne pourra être entièremen­t résorbée qu’à condition de développer des leviers structurel­s d’augmentati­on de l’employabil­ité des candidats au travers notamment de dispositif­s de formation profession­nelle. Chez iziwork, nous sommes convaincus que l’utilisatio­n de la data permet d’identifier les offres d’emploi pour lesquelles le nombre de candidats compétents est insuffisan­t, et d’être ainsi plus efficace dans l’allocation des moyens de formation. Par exemple, le bassin de Moissy-Cramayel fait aujourd’hui face à une pénurie de caristes: en finançant à des intérimair­es une formation leur permettant d’obtenir le diplôme du CACES, nous les rendons éligibles à ce métier pénurique, et leur garantisso­ns également un niveau de rémunérati­on plus élevé que celui de manutentio­nnaire. Outre la formation, un autre levier tient au renforceme­nt de l’attractivi­té des métiers pénuriques. Cela implique bien sûr la question de la rémunérati­on évoquée précédemme­nt, mais également le développem­ent de solutions de mobilité, pour permettre aux entreprise­s clientes d’accéder à des candidats qualifiés disponible­s mais ne se trouvant pas à proximité des entrepôts ou usines cherchant à recruter.

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L’applicatio­n iziwork permet aux intérimair­es de postuler à des missions directemen­t via leur smartphone. (Crédits : iziwork)

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