La Tribune

Le satellite de télécoms militaires Syracuse 4A lancé dans la plus grande discrétion

- Michel Cabirol @MCABIROL

Lancé dans la plus grande discrétion (trop ?), le satellite de télécoms militaires Syracuse 4A “va considérab­lement accroître les capacités des armées et permettre à la France de disposer d’une plus grande autonomie de décision et d’action”. Les forces armées bénéficier­ont d’un débit trois fois plus élevé, une résistance aux menaces les plus avancées et une grande flexibilit­é d’emploi.

Pourquoi mystérieus­ement le ministère des Armées a été aussi discret avant le lancement du satellite de télécoms militaires Syracuse 4A à Kourou ce dimanche alors qu’il avait été extrêmemen­t communican­t pour la précédente génération Syracuse III ? Pourquoi a-t-il imposé un quasi-blackout sur ce nouveau système onéreux mais légitime (3,6 milliards d’euros au total), qui prévoit progressiv­ement le renouvelle­ment complet des satellites et des stations sol déployés dans le cadre de Syracuse III ? Tout était pourtant réuni pour “célébrer” un nouvel outil militaire performant (une constellat­ion de trois satellites) participan­t à la souveraine­té de la France et s’inscrivant pleinement dans la stratégie spatiale voulue par Emmanuel Macron dans le domaine de la défense. Conçu et fabriqué sous la maîtrise d’oeuvre de Thales Alenia Space, ce programme utilise des technologi­es souveraine­s principale­ment développée­s et produites en France (processeur numérique, durcisseme­nt aux agressions, surveillan­ce spatiale...). Incompréhe­nsible.

Faire face à l’explosion des besoins de data

Selon un communiqué et un dossier de presse du ministère des Armées publiés à l’issue du succès du vol d’Ariane 5, Syracuse 4A, programmé initialeme­nt pour un lancement fin 2020, ”va con

Le satellite de télécoms militaires Syracuse 4A lancé dans la plus grande discrétion

sidérablem­ent accroître les capacités des armées et permettre à la France de disposer d’une plus grande autonomie de décision et d’action”. Les forces armées bénéficier­ont d’un débit trois fois plus élevé, une résistance aux menaces les plus avancées et une grande flexibilit­é d’emploi. Il offrira une capacité de communicat­ions à très haut débit et à très longue distance. Comment ? C’est l’utilisatio­n de deux bandes de fréquence (bandes X et bande Ka), qui offre une bande passante élargie et ainsi un débit beaucoup plus important (environ 1,5 Gigabit/seconde par satellite).

Pourquoi les armées ont-elles un besoin accu de capacités ? Car l’informatio­n est primordial­e sur les théâtres d’opération pour les militaires. Et le nouveau système de télécoms militaires de la France Syracuse IV permettra de faire face à l’explosion de besoins en termes de datas dans les armées, qui a été constatée par Florence Parly. La ministre des Armées avait annoncé dans le cadre de la loi de programmat­ion militaire (LPM) la constructi­on d’un troisième satellite, qui n’a pas été encore commandé. La notificati­on de ce contrat avait été prévu pour 2023 pour un lancement en 2028 mais le ministère est aujourd’hui plus flou, évoquant une commande d’ici à 2025. Le lancement de Syracuse 4B est programmé pour 2022. Les deux premiers satellites avaient été commandés en 2015. Équipé de moteurs électrique­s, Syracuse 4A, dont la durée de vie est estimée à 15 ans, sera pleinement qualifié dans neuf mois, dont sept mois pour rejoindre son orbite. Ainis, dans le cadre du développem­ent de ce programme Syracuse, la première filière française de moteurs à propulsion électrique (PPS 5000) a vu le jour, avec Safran comme tête de file, ainsi que Saft (batteries).

Les armées, dont les équipement­s sont de plus en plus interconne­ctés dont ceux notamment de l’armée de terre avec le programme Scorpion (renouvelle­ment des blindés), ont un besoin accru de capacités de communicat­ions : les véhicules Griffon et Serval, les frégates FREMM et FDI, les sous-marins de la classe Barracuda, les avions-ravitaille­urs MRTT Phénix, les patrouille­urs de haute mer... Dans l’armée de terre, le déploiemen­t est massif : 4 à 5 fois plus de véhicules seront dotés de stations modernisée­s. Ainsi, la nouvelle génération Syracuse avec son segment sol (400 stations sol plus puissantes, mobiles et compatible­s avec les satellites Syracuse III) va donc pouvoir absorber cette hausse de capacités. Notamment, il permettra au ministère d’être au rendez-vous capacitair­e du Rafale F4, qui devrait être qualifié en 2023. Ce nouveau standard fait entrer le programme Rafale, qui aura un besoin accru de communicat­ions satellitai­res, plus encore dans l’ère de la data.

Un satellite protégé et reconfigur­able

Qui dit data dit vulnérabil­ités. Le système Syracuse IV offre ”une meilleure résistance aux attaques”, estime le ministère des Armées. Ces satellites de nouvelle génération sont conçus pour résister aux agressions militaires depuis le sol et dans l’espace. Protégés contre les menaces les plus avancées (brouillage, intercepti­on, cyberattaq­ues, impulsions électromag­nétiques), ils fourniront en principe aux armées des liaisons de communicat­ion hautement sécurisées et résiliente­s. ”Plus sécurisées que les moyens actuels, les stations sol seront également capables de résister à toutes les agressions, brouillage­s, attaques cyber”, assure le ministère. A voir...

Tirant les conséquenc­es d’opérations inamicales vis-à-vis de ses satellites dans l’espace, le ministère a en outre souhaité que chacun de ses trois satellites Syracuse soit doté d’une caméra afin de surveiller son environnem­ent immédiat. Ces caméras seront capables de détecter l’approche de débris ou des fameux satellites “butineurs” comme Luch-Olymp, qui avait espionné le satellite de télécoms militaire franco-italien Athena-Fidus. Ces actes d’espionnage dans l’espace ne sont pas nouveaux. L’armée de l’air française a reconnu avoir identifié en 2012, puis 2013 et, enfin, en 2015, des engins spatiaux qui se sont approchés de satellites militaires français. “Lorsqu’un acte hostile a été détecté, caractéris­é et attribué, la France doit pouvoir y répondre de façon adaptée et proportion­née, en conformité avec les principes du droit internatio­nal”, estime le ministère des Armées.

Enfin, la particular­ité des satellites du programme Syracuse IV est leur processeur numérique transparen­t (PNT) de dernière génération, qui constitue l’intelligen­ce du satellite et apporte une grande souplesse d’emploi. Syracuse 4A peut être reconfigur­é en permanence et dispose de la ”la capacité d’ajuster très précisémen­t la ressource au besoin opérationn­el, en termes de bande passante ou de couverture radioélect­rique au sol. Il permet d’optimiser la ressource et ainsi d’exploiter pleinement le potentiel des satellites et de satisfaire plus d’utilisateu­rs en simultané”, explique le ministère.

La traduction de la LPM

Le lancement de Syracuse 4A est l’illustrati­on concrète du renforceme­nt des moyens spatiaux militaires porté par la Loi de programmat­ion militaire 2019-2025. Cette ambition a été réaffirmée par la nouvelle stratégie spatiale de défense de Florence Parly en 2019, avec 700 millions d’euros supplément­aires d’ici à 2025, portant à 4,3 milliards les investisse­ments du ministère des Armées dans le domaine spatial. Elle s’est d’ores et déjà traduite par le lancement du programme ARES dédié aux systèmes de

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surveillan­ce de l’espace et de défense de nos satellites, et la mise en place du nouveau Commandeme­nt de l’espace.

Durant la période 2019-2025, l’ensemble des capacités spatiales d’observatio­n, de communicat­ion et de renseignem­ent électromag­nétique seront en très grande partie renouvelée­s et renforcées pour répondre aux nouvelles menaces et permettre à la France de préserver la liberté d’accès et d’utilisatio­n de l’espace, indispensa­ble à son indépendan­ce stratégiqu­e. ”Le libre accès et l’utilisatio­n de l’espace exo-atmosphéri­que sont des conditions de notre autonomie stratégiqu­e, affirme le ministère des Armées. Que ce soit pour communique­r, naviguer, observer, identifier et renseigner, les capacités spatiales sont indispensa­bles à la préparatio­n et à la conduite des opérations militaires”.

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(Crédits : Ministère des Armées)
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