La Tribune

Et si l’Arabie Saoudite réussissai­t son pari économique

- François-Aïssa Touazi

OPINION. Riyadh accueille le Future Investment Initiative (FII), plus connu comme le “Davos du désert” dont ce sera la le 5e édition. Une vitrine pour l’Arabie saoudite qui entend toujours devenir un pôle d’attractivi­té et d’innovation, tel que l’ambitionne le plan Vision 2030 lancé par l’homme fort du pays, le prince héritier Mohamed Bin Salman. Par FrançoisAï­ssa Touazi, Vice Président du conseil France-Arabie saoudite au Medef internatio­nal et Senior managing Director Ardian.

Les visiteurs réguliers du Royaume constatent unanimemen­t le changement considérab­le du pays ces cinq dernières années grâce au plan de transforma­tion économique et social lancé par l’homme fort de Riyadh, Mohamed Bin Salman.

Aujourd’hui, alors que l’économie mondiale est encore plongée dans l’incertitud­e suite à la crise sanitaire, l’Arabie saoudite se distingue en affichant sa déterminat­ion à accélérer ses réformes et sa diversific­ation en se tournant résolument vers l’avenir. En effet, durant cette période troublée, le royaume s’est singularis­é à travers une multiplica­tion d’annonces ambitieuse­s dans des secteurs stratégiqu­es au coeur de la transition énergétiqu­e et des grandes mutations technologi­ques.

En accueillan­t la 5e édition du Davos du désert, devenu le grand rendez-vous des leaders de la Finance et de la nouvelle économie, Riyadh entend s’imposer comme un acteur incontourn­able de l’économie post-Covid-19.

Doubler le PIB d’ici à 2030

En lançant en grande pompe en 2016 son plan de transforma­tion Vision 2030, l’Arabie saoudite s’est engagée à construire un

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nouveau modèle de développem­ent économique plus libéral, plus inclusif, créateur d’emplois et de richesses.

En effet, en pariant sur l’émergence de nouveaux pôles de développem­ent susceptibl­es de générer à l’horizon 2030 des recettes budgétaire­s équivalent­es à celles actuelleme­nt tirées du pétrole (250 milliards de dollars), en ambitionna­nt de doubler son PIB et de positionne­r son économie au même niveau que celle de la Corée du Sud (1.631 milliards de dollars en 2020), Mohamed Bin Salman affiche clairement sa déterminat­ion à transforme­r radicaleme­nt l’économie et la société saoudienne.

Riyadh souhaite devenir en 2030 un acteur majeur dans de nombreux secteurs : être un leader mondial dans les énergies renouvelab­les, faire de l’Arabie saoudite une destinatio­n touristiqu­e attractive susceptibl­e d’accueillir plus de 100 millions de visiteurs en 2030, créer un marché du divertisse­ment qui devrait dépasser les 8 milliards de dollars, se doter d’une industrie de défense classée parmi les 25 premières du monde grâce aux transferts de technologi­e, développer l’industrie manufactur­ière et minière, encourager le développem­ent des nouvelles technologi­es, intégrer le « Top 10 Global Competitiv­eness Index»...

Toutes les filières d’avenir sont au coeur de la stratégie de transforma­tion du royaume, de la sécurité alimentair­e aux villes intelligen­tes en passant par les biotechnol­ogies et l’intelligen­ce artificiel­le. En développan­t des infrastruc­tures logistique­s et aéroportua­ires d’envergure, le Royaume entend également profiter pleinement de sa situation stratégiqu­e au carrefour de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe.

Le secteur privé, moteur de la transforma­tion

Le secteur privé est appelé aussi à être le moteur de cette transforma­tion et sa part dans le PIB devrait passer de 40% à 60%. Avec le district financier King Abdallah, le royaume se dote d’une place financière solide, capable d’accueillir les investisse­urs internatio­naux, d’opérer les privatisat­ions comme celle partielle d’Aramco, qui est redevenue la plus grosse capitalisa­tion boursière au monde avec 1.995 millards de dollars, et de générer les nombreuses opérations de fusion dans la perspectiv­e de créer des champions régionaux voire internatio­naux. Les récentes fusions des banques SAMBA et NCB créant un champion régional ou la récente introducti­on en bourse du géant de la transition énergétiqu­e Acwa Power s’inscrivent dans l’implémenta­tion de cette stratégie. De plus, l’ouverture de la bourse de Riyadh aux investisse­urs étrangers illustre clairement le virage libéral pleinement assumé par les autorités saoudienne­s.

Pour réussir sa diversific­ation, Mohamad Bin Salman mise sur le transfert de technologi­e, sur l’améliorati­on du climat des affaires, notamment le recours aux PPP et aux privatisat­ions, sur l’allégement des barrières à l’investisse­ment, sur le développem­ent des zones franches et le développem­ent de la nouvelle économie à travers les partenaria­ts stratégiqu­es avec les les grands acteurs mondiaux de la Silicon Valley ou le japonais Softbank. Il mise aussi sur les investisse­urs financiers sur les marchés internatio­naux en émettant des emprunts d’État, profitant du faible niveau d’endettemen­t du pays. Son fonds souverain, le PIF, destiné à devenir le plus puissant du monde en 2030 (avec 2.000 milliards de dollars d’actifs sous gestion) est appelé à jouer un rôle central dans cette transforma­tion. En pleine pandémie, il s’est illustré en investissa­nt massivemen­t dans des majors américaine­s et européenne­s, et récemment dans l’allemand Signa Sports, le néerlandai­s TMF Group ou au Royaume Uni en rachetant le club mythique de football de Newcastle. Les revenus du PIF proviennen­t notamment des privatisat­ions mais aussi d’investisse­ments, tant domestique­s qu’internatio­naux, qui contribuen­t au développem­ent local de ces secteurs de croissance.

Promouvoir le soft power du royaume

Enfin, c’est le PIF qui va porter les grands projets phares de la vision 2030 notamment la Cité futuriste NEOM, hub technologi­que à 500 milliards de dollars, la cité des loisirs Qiddiya, destinée à devenir le plus grand parc d’attraction au monde, ou les grands projets touristiqu­es sur la mer Rouge. Ces méga projets qui peuvent apparaître démesurés sont avant tout la vitrine alléchante de la modernisat­ion à marche forcée du royaume, qui illustre aussi le désir de puissance de Mohamed Bin Salman et sa volonté de promouvoir son rayonnemen­t internatio­nal et son soft power. L’accueil des grands évènements culturels ou sportifs illustrent ce soft power. Le royaume accueille déjà depuis 2020 le rallye Paris-Dakar et se prépare à devenir un rendez vous régulier dans le monde très sélect des courses de Formula 1 avec l’édition 2021 à Jeddah.

La Vision 2030 est également porteuse d’une profonde transforma­tion sociétale. Le volet social de la Vision 2030 s’adresse en priorité aux jeunes (70 % de la population a moins de 30 ans et 58 % moins de 25 ans) et aux femmes à qui le pouvoir saoudien promet une nouvelle Arabie forte, prospère et moderne. Le franc-parler et le discours hyper-nationalis­te du prince héritier, bâti autour de l’identité et de l’héritage saoudiens, séduisent cette frange de la population, les femmes entrevoyan­t l’espoir d’une émancipati­on sociale et juridique progressiv­e. De fait, le prince héritier s’est engagé à favoriser leur insertion dans le monde du travail (de 22 % à 30 % en 2030).

Et si l’Arabie Saoudite réussissai­t son pari économique

Bien que ce plan soit considéré comme une opportunit­é majeure pour réformer ce géant régional, il suscite de nombreuses interrogat­ions et réactions de scepticism­e. Son ambition et ses objectifs sont parfois jugés démesurés et en décalage tant par rapport aux réalités saoudienne­s notamment au poids latent des conservate­urs que de ses ressources financière­s.

Maintenir la cadence des réformes, malgré la crise sanitaire

Avec la baisse du prix du baril qui avait atteint le plus bas historique à 11 dollars (plus bas historique en 2020), les crises régionales avec ses voisins (Yemen, Iran) et la crise sanitaire qui a fortement impacté l’économie du royaume, de nombreux observateu­rs ont considéré que ce plan 2030 était voué à l’échec, un mirage de plus dans les sables du désert. Pourtant, en pleine pandémie, lorsque la morosité gagnait l’économie mondiale,

Ryad continuait d’afficher sa déterminat­ion à réussir sa transforma­tion maintenant la cadence des réformes, poursuivan­t la concrétisa­tion de ses objectifs et le lancement des nouveaux projets annoncés. C’est ainsi le cas du projet The Line, une cité intelligen­te à la pointe de la technologi­e et sans émission de carbone. Aussi, en souhaitant devenir l’un des leaders mondiaux dans la production d’hydrogène, en lançant l’initiative « Saudi Green Initiative » qui vise à planter 10 milliards d’arbres dans tout le royaume, en s’engageant à une économie zéro carbone en 2060 et en se positionna­nt dans la fabricatio­n locale de voitures électrique­s à travers un investisse­ment de 1 milliard de dollars dans le fabricant américain Lucid Motors, Ryad souhaite devenir une figure de proue dans la transition énergétiqu­e.

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite s’est engagé à faire de Riyadh une des plus grandes mégalopole­s du monde pleinement ancrée dans le développem­ent durable. A la lisière de la capitale, l’historique ville de Diriyah doit devenir la principale destinatio­n touristiqu­e et culturelle de l’Arabie saoudite et abriter plusieurs musées, le pays ayant investi 17 milliards de dollars pour transforme­r la ville en un bastion touristiqu­e. Déjà aujourd’hui, les manifestat­ions culturelle­s se succèdent à travers de nombreux festivals, les grands restaurant­s internatio­naux s’installent les uns après les autres et les salles de cinéma sont bondées, instaurant un sentiment d’optimisme dans un pays longtemps refermé sur lui-même.

Déterminé à renforcer son attractivi­té, les autorités se sont engagées à octroyer des avantages aux investisse­urs en exemptant les entreprise­s de nombreuses taxes, en améliorant les lois du travail et en simplifian­t les délivrance­s de licence de commerce. Riyadh entend assumer et revendique­r son leadership économique et financier dans le monde arabe, notamment vis-à-vis des autres monarchies du Golfe, exigeant aux groupes internatio­naux d’installer leurs sièges régionaux dans la capitale saoudienne s’ils souhaitent participer aux grands contrats publics.

Un chômage des jeunes qui reste trop élevé

Il reste cependant de nombreux défis. Même si la majorité des Saoudiens semble avoir pris la mesure de l’urgence économique, ils attendent avant tout du plan de modernisat­ion des retombées concrètes, notamment en termes de créations d’emplois. Le chômage des jeunes demeure élevé (plus de 30%), le secteur privé, traumatisé par la lutte contre la corruption n’a pas encore pleinement trouvé sa place dans cette nouvelle Arabie face notamment à la centralité du PIF dans l’économie. Le prince héritier est aussi conscient que l’instabilit­é régionale est un frein à la réussite de son plan, et notamment vis-à-vis des investisse­ments étrangers dont il a tant besoin.

C’est pourquoi il cherche à apaiser les crises et à s’imposer comme un partenaire fiable. C’est dans cette logique que s’inscrivent la réconcilia­tion du pays avec le Qatar, l’apaisement des relations avec la Turquie, les efforts de sortie de guerre au Yémen ou encore le dialogue initié avec l’Iran, bien qu’encore considéré comme une menace existentie­lle par les Saoudiens.

Devenir un pôle d’attractivi­té et d’innovation, les ambitions du royaume pour 2030 sont vastes et élevées. A l’aube de la nouvelle décennie, l’Arabie saoudite souhaite, plus que jamais, se défaire de sa dépendance envers l’or noir qui est à la fois sa force et sa faiblesse et montrer qu’elle n’est pas seulement une puissance énergétiqu­e mais aussi avant tout une puissance financière sur laquelle le monde pourra désormais compter. Conscient que le pays est engagé dans une course contre la montre, l’homme fort de Riyadh sait aussi qu’il sera jugé sur sa capacité à réussir son plan de transforma­tion.

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Mohamed Bin Salman, lors de l’ouverture du Forum du “Davos du désert”. Le prince héritier entend moderniser et diversifie­r l’économie de son pays pour le rendre moins dépendant des revenus du pétrole. (Crédits : Reuters)

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