La Tribune

La crise pousse l’Etat actionnair­e à repenser ses missions

- Fanny Guinochet

Après une année 2020 marquée par la crise, les participat­ions de l’État reprennent des couleurs. Elles sont valorisées près de 125 milliards d’euros, selon le rapport annuel de l’agence des participat­ions de l’Etat (APE), dévoilé ce mardi. Reste que la pandémie bouleverse sa doctrine. Son directeur, Martin Vial, prépare une nouvelle stratégie qu’il remettra au printemps 2022 au prochain chef de l’Etat.

Pendant la crise, les entreprise­s françaises ont pu compter sur le soutien sans faille de l’Etat. Et notamment celles détenues tout ou partie par la puissance publique. Pour sauver des groupes stratégiqu­es ou des services publics essentiels au bord du gouffre - comme la SNCF, Air-France-KLM, Renault ...etc -, l’Etat n’a pas hésité à garantir des prêts bancaires et à sortir le carnet de chèques pour renflouer et renforcer les fonds propres de ses fleurons nationaux, voire souscrire des obligation­s convertibl­es comme chez EDF... Il a aussi largement participé à différents fonds sectoriels créés pour soutenir des pans entiers de notre économie, comme l’automobile, l’aéronautiq­ue ou encore le nucléaire.

Quitte à y laisser quelques plumes, puisque l’Etat actionnair­e n’a jamais touché aussi peu de dividendes depuis dix ans. L’Agence des participat­ions de l’Etat (APE) a ainsi perçu 300 millions d’euros l’an dernier. Contre 2,3 milliards d’euros en 2019, et plus de 4 milliards annuels avant 2015. Mais après la tempête, la valeur des participat­ions de l’Etat a repris des couleurs pour atteindre 125 milliards d’euros, selon le rapport annuel de l’agence de l’APE.

Le soutien de l’État ne s’arrêtera pas

Martin Vial, le commissair­e aux participat­ions de l’Etat, s’est félicité du soutien de l’Etat. Et il n’a pas manqué de souligner la rapidité avec laquelle ces entreprise­s se sont adaptées à cette crise. « Elles ont fait preuve de résilience » et ont maintenu leurs

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effectifs. Et, alors que la crise n’est pas totalement terminée, ces groupes peuvent se rassurer : l’Etat ne les abandonner­a pas.

Ainsi, Air-France-KLM, encore en pleine tourmente, alors que sa filiale française, Air France, doit rembourser un prêt de 4 milliards d’euros, peut encore compter encore sur l’aide de la puissance publique. Idem pour la SNCF ou Aéroports de Paris (ADP), très fragilisée­s, et dont le retour à la normale de l’activité n’est pas attendu avant 2022 ou 2023 pour la société ferroviair­e, et bien après pour les entreprise­s de transport aérien.

Si la phase de reprise s’annonce plus simple à piloter, l’APE prépare une nouvelle feuille de route en matière d’investisse­ment, qui sera remise au printemps prochain au président de la République, afin d’orienter son quinquenna­t en la matière. Une nouvelle stratégie pour l’Etat-actionnair­e après celle mise en place en 2017, qui consistait à rester au capital des entreprise­s relevant de la souveraine­té nationale, des grands services publics ou qui nécessitai­ent un plan de sauvetage.

Hors de ces trois champs d’actions, l’Etat avait vocation à réduire sa participat­ion dans les entreprise­s commercial­es, voire à sortir définitive­ment du capital. C’était d’ailleurs l’esprit de la loi Pacte promulguée en 2019. Elle a permis l’entrée en Bourse de la Française des jeux (FDJ), de réduire la participat­ion de l’Etat dans Engie, et d’envisager la privatisat­ion d’ADP, un mouvement interrompu par la crise.

”Aujourd’hui, nous réévaluons la doctrine”, a indiqué Martin Vial. Celle-ci va être revue à l’aune de quatre facteurs.

Tout d’abord celui de la fragilité. L’Etat restera aux côtés des entreprise­s de transport (SNCF, ADP, Air France-KLM...) qui mettront plus de temps que dans d’autres secteurs à retrouver les niveaux d’avant-crise. Deuxième facteur : la souveraine­té économique avec les besoins liés à la réindustri­alisation, une question ”de plus en plus prégnante”, selon les mots de Martin Vial. Pour ces acteurs économique­s, ”l’Etat veut s’assurer que les centres de décisions managériau­x, les centres de recherche français, et les centres de production industriel­le les plus importants restent en France”. Pour cela, il faut des actionnair­es français puissants, pas forcément publics d’ailleurs.

Troisième facteur, la montée des exigences environnem­entales qui ”bouleverse­nt les modèles économique­s des entreprise­s”, comme c’est le cas pour Air France, obligée de réduire ses émissions de CO2 (de 50% d’ici à 2025), ou Airbus et Safran qui se “voient imposer des choix technologi­ques”, ou encore l’automobile, alors que Bruxelles veut interdire les ventes de voitures thermiques d’ici à 2035.

Quatrième facteur : la disruption numérique et technologi­que qui impactent également les modèles de production.

Souveraine­té économique, disruption économique, ou encore préoccupat­ions environnem­entales, seront donc les nouveaux curseurs qui guideront le maintien ou non de la puissance publique dans les entreprise­s. Pas sûr toutefois qu’ils facilitero­nt le rôle de gestionnai­re de l’Etat.

A l’avenir, l’APE entend bien conserver ce rôle essentiel de “stabilisat­eur” pour les entreprise­s encore durement frappées par la crise. Mais elle va revoir ses missions, et sa façon de gérer son portefeuil­le, composé de 83 entreprise­s dont 11 cotées. ”Notre pilotage va être amendé”, a ainsi prévenu Martin Vial.

Ainsi, l’agence promet-elle par exemple d’être plus regardante encore qu’hier sur la souveraine­té nationale. ”C’est un enjeu essentiel pour l’avenir, alors même que les flux financiers internatio­naux sont considérab­les et que nos entreprise­s françaises sont des fleurons, qui peuvent être la cible d’investisse­urs étrangers”, a encore souligné Martin Vial.

Ni angélisme, ni naïveté

Ainsi, “quand on pense à réduire la participat­ion, il faut se poser la question de ce que deviendra cet actionnari­at”, a longuement expliqué le commissair­e.

”Quand on en sort [du capital, NDLR], il faut s’assurer que les centres de décisions resteront en France. Si, demain, ils tombent aux mains d’ actionnair­es non européens, asiatiques... les intérêts (en termes d’emploi, de localisati­on, de recherche, etc.) ne seront pas les mêmes. Tout mouvement au capital doit donc permettre d’avoir un actionnari­at français qui se substitue à celui de l’Etat”.

C’est notamment vrai pour les entreprise­s commercial­es, où l’Etat n’a pas vocation à rester durablemen­t. Si Orange, qui n’est ni une entreprise de défense ni de service public, a été citée, ”son évolution au capital est envisageab­le”, selon le commissair­e de l’APE. ”Même si à ce jour aucun projet n’est à l’étude”.

Reste à voir si le prochain président de la République suivra cette feuille de route.

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l’agence des participat­ions de l’Etat, au ministère de l’économie (Crédits : Reuters)

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