La Tribune

Nucléaire et renouvelab­les, le mix gagnant pour une neutralité carbone en 2050

- Marine Godelier

Un mix avec davantage d’énergies renouvelab­les, mais périlleux sans recours au nouveau nucléaire d’ici à 2050. C’est l’une des principale­s conclusion­s du gestionnai­re national du Réseau de transport d’électricit­é (RTE) qui publie, lundi 25 octobre, six scénarios censés permettre d’atteindre la neutralité carbone dans trente ans, trois sans nouveaux réacteurs nucléaires, trois autres en relançant l’atome. Si toutes ces trajectoir­es sont techniquem­ent réalisable­s, celles faisant appel au nucléaire sont à la fois les moins coûteuses et les moins risquées pour atteindre les objectifs climatique­s. Décryptage.

À six mois de l’élection présidenti­elle, le dossier promet de peser lourd dans les discussion­s à venir sur le mix énergétiqu­e de la France. Et pour cause, à rebours des promesses de court terme essaimées pendant la campagne, les candidats à l’Elysée doivent se positionne­r sur un sujet aussi technique que déterminan­t pour le futur du pays, à l’heure où son parc nucléaire historique vieillit : relancer l’atome en remplaçant des réacteurs en fin de vie, ou en sortir définitive­ment au profit du tout renouvelab­les. Tandis que Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Anne Hidalgo (PS) plaident pour la seconde option, Xavier Bertrand

(LR) encense l’atome autant qu’il dénigre les éoliennes, à la production intermitte­nte.

Emmanuel Macron, lui, semble avoir choisi une autre voie. Lors de la présentati­on du plan « France 2030 » le 12 octobre dernier, le chef de l’État a assuré que l’Hexagone, « en même temps » que le développem­ent des énergies renouvelab­les, avait « encore besoin » du nucléaire bas carbone, et annoncé une enveloppe d’un milliard d’euros pour développer des petits réacteurs nucléaires, les SMR. Un premier soutien fort à la filière avant une possible annonce, pour le moins attendue, de la constructi­on de 6 nouveaux EPR, ces réacteurs de troisième génération. Et

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ce, alors même que le premier en chantier, celui de Flamanvill­e, accumule plus de dix ans de retard et devrait être mis en service fin 2022.

La vaste étude du gestionnai­re national du réseau de transport d’électricit­é (RTE) sur le mix énergétiqu­e de la France en

2050, lancée il y a deux ans à la demande du gouverneme­nt et publiée ce lundi 25 octobre, semble lui donner raison. Nul doute, en tout cas, que l’exécutif saura s’appuyer sur ses conclusion­s pour légitimer sa politique en la matière. Car parmi les multiples enseigneme­nts de ce gigantesqu­e travail prospectif, l’un des principaux messages détonne avec les antagonism­es qui ont marqué jusqu’ici les propositio­ns des candidats : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, les renouvelab­les représente­nt une nécessité absolue, et le nucléaire un atout. Autrement dit, le mix le moins coûteux, le moins risqué au vu de la trajectoir­e climatique, et le plus facilement atteignabl­e d’ici à 30 ans au regard des technologi­es actuelles, ne repose pas que sur l’une de ces sources d’énergie... mais bien sur les deux.

Une hausse de la consommati­on d’électricit­é

Pourtant, RTE retient pas moins de six scénarios techniquem­ent possibles pour atteindre le zéro émission nette en

2050, dont certains sans aucun nouveau nucléaire, divisés en deux « familles ». Concrèteme­nt, trois d’entre eux misent en partie sur une relance de l’atome (avec jusqu’à 14 EPR supplément­aires), quand les trois autres ne tablent sur aucun nouveau réacteur (et reposent surtout sur le solaire ou sur l’éolien). L’un d’eux suppose même une fermeture de toutes les centrales nucléaires actuelles, tout en atteignant la neutralité carbone d’ici à 30 ans. Au-delà de la technique, le choix de la trajectoir­e à retenir sera donc politique. Néanmoins, plusieurs critères économique­s et environnem­entaux semblent jouer en faveur des premiers.

Afin de comprendre pourquoi, il faut se rendre compte que, dans tous les cas de figure, l’électricit­é deviendra « la base du système », puisqu’elle représente­ra plus de la moitié (55%) du bouquet énergétiqu­e français. Un changement de paradigme fort, alors que la consommati­on finale d’énergie en France dépend encore à 63% de la combustion d’énergie fossile, soit plus de 1.200 TWH, tandis que le courant est largement minoritair­e.

« Cela repose sur la restructur­ation des réseaux électrique­s, car l’électricit­é va devenir la principale source d’énergie, en substituti­on du pétrole », explique Thomas Veyrenc, directeur de la stratégie et de la prospectiv­e chez RTE.

Ainsi, si les six scénarios gagent sur une diminution drastique de l’utilisatio­n d’énergie thermique, la consommati­on d’électricit­é bondira elle de 475 TWh aujourd’hui à 645 TWh dans la trajectoir­e de référence. Résultat : pour produire toute cette électricit­é et assurer la sécurité d’approvisio­nnement, le plus économique sera de diversifie­r le mix. Autrement dit, de « maintenir les centrales nucléaires en fonctionne­ment et de développer le plus rapidement les énergies renouvelab­les matures », fait valoir Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.

Les coûts systémique­s associés aux renouvelab­les

Car si les coûts de production des deux familles de scénarios sont « approximat­ivement équivalent­s », un bouquet intégran t une très forte part de renouvelab­les nécessiter­ait en fait de déployer des flexibilit­és importante­s, avec «

» sur la trajectoir­e zéro émissions qu’un mix combinant nucléaire et renouvelab­les. Et pour cause, les éoliennes et autres panneaux solaires produisent de l’électricit­é de manière intermitte­nte et moins concentrée sur le territoire, ce qui exige de développer le stockage, à la fois hydrauliqu­e et par batterie, les interconne­xions... mais aussi les centrales thermiques. Ainsi, les trois scénarios sans relance du nucléaire supposent une capacité « de 40 à 60 centrales thermiques », ce qui impliquera­it de « doubler voire de tripler leur nombre par rapport à aujourd’hui », précise Thomas Veyrenc. Résultat : une fois ces coûts intégrés, les scénarios avec du nouveau nucléaire deviennent largement plus compétitif­s.

plus d’incertitud­es

Le besoin de construire de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarboné reste important si la relance nucléaire est minimale, et devient coûteux si l’on tend vers les 100% d’énergie renouvelab­le », précise ainsi Xavier Piechaczyk.

Au global, l’écart de coûts serait en moyenne de l’ordre de « 10 milliards d’euros par an ». Dans le détail, le scénario 100% renouvelab­le coûterait 77 milliard d’euros, contre 59 milliards pour celui à l’autre bout du spectre de forte relance du nucléaire.

Un calcul aussitôt critiqué par Yannick Jadot : « L’incertitud­e sur les coûts du nouveau nucléaire est très forte. Les coûts considérés pour le futur nucléaire ne sont pas prouvés et n’ont jamais été rencontrés dans la réalité. Ils se basent sur de nouvelles hypothèses très optimistes de l’Etat (50 milliards d’euros pour 6 EPR alors que l’EPR de Flamanvill­e n’est toujours pas en exploitati­on et coûtera plus de 12,4 milliards d’euros hors

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frais bancaires et 19 milliards d’euros avec les financemen­ts) », alerte le candidat dans un communiqué.

« La Cour des comptes alertait pourtant en 2020 : « On ne peut pas établir avec un degré raisonnabl­e de certitude que les économies de constructi­on de futurs EPR2 par rapport au coût de constructi­on d’EPR de type Flamanvill­e se matérialis­eront »

Reste que, selon les estimation­s de RTE, la conclusion serait la même y compris si les coûts des EPR2 restaient proches de ceux de l’EPR de Flamanvill­e, dont la facture a plus que doublé. « L’avantage économique à réaliser une base nucléaire minimale a été retrouvé dans la quasi totalité de nos variantes, en prenant en compte le traitement des déchets et le démantèlem­ent des centrales dans les coûts du nucléaire », développe Thomas Veyrenc. (Le scénario M23 s’appuie sur le développem­ent des EnR, notamment de l’éolien, avec une exploitati­on du nucléaire existant, et le scénario N2 y ajoute la constructi­on de 14 nouveaux EPR). © RTE

Par ailleurs, pour le syndicat des industriel­s de la filière du nucléaire (Gifen), l’argument du coût ferait plutôt pencher la balance en faveur de la relance de l’atome, plutôt que pour son lent abandon. « Plus on construit de réacteurs, moins ça coûte cher », fait valoir Cécile Arbouille, sa présidente.

« L’effet de série nous est bénéfique. Si Flamanvill­e est si cher, c’est parce qu’on a commencé le chantier 15 ans après que la dernière centrale nucléaire ne soit construite en France. Cette interrupti­on et la complexité accrue ont fait qu’on a dû reprendre des soudures, des morceaux de génie civil... autant savoir-faires perdus qui ont fait gonfler la facture », assure-telle.

Surtout, le scénario 100% renouvelab­le miserait sur plus de « paris technologi­ques », afin de pallier à cette intermitte­nce. Car pour coller aux ambitions climatique­s, les centrales thermiques en question devraient tourner à l’hydrogène décarboné (ou tout autre gaz renouvelab­le). Ce qui nécessiter­ait non seulement encore plus d’électricit­é, mais n’offre surtout aujourd’hui aucune certitude sur la capacité à arriver à un modèle éprouvé en la matière d’ici à 2050.

Aucun scénario ne table sur moins de 50% d’énergies renouvelab­les

Attention néanmoins : il ne s’agit dans aucun des scénarios de donner plus de place au nucléaire qu’aux renouvelab­les, alors que d’éventuels nouveaux réacteurs ne seraient de toute façon pas prêts avant 2035. Car pour décarboner le système énergétiqu­e tout en garantissa­nt la sécurité d’approvisio­nnement, l’éolien et le solaire photo-voltaïques seront incontourn­ables, et devront couvrir « au minimum 50% de notre consommati­on d’électricit­é en 2050 », fait valoir RTE. Pour l’heure, la loi française fixe un objectif de 40% de production d’électricit­é à partir des énergies renouvelab­les d’ici à 2030, contre moins d’un quart aujourd’hui.

« Dans tous les cas, on a besoin d’un socle minimal d’énergies renouvelab­les. Le scénario qui contient le plus de nucléaire en comporte 50%, et le reste vient du solaire solaire (70 GW), de l’éolien sur terre (40 GW), et de l’éolien en mer (22 GW) », précise Xavier Piechaczyk.

Un constat d’autant plus fort que les éoliennes et les panneaux solaires entraînent en fait très peu d’artificial­isation des sols, rappelle RTE. « C’est pourtant le sujet le plus polémique, notamment pour l’éolien, avec des débats brûlants sur son impact sur les sols lors des concertati­ons que nous avons menées », avance Xavier Piechaczyk. Sans surprise, la question principale sera celle de l’acceptabil­ité, alors que la production d’énergie promet d’être « plus visible demain » par rapport au modèle actuel d’extraction des fossiles à l’étranger, et de concentrat­ion de grandes centrales nucléaires à des points précis sur le territoire.

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Encadré : Le niveau de demande d’énergie en 2050, une question cruciale

L’une des hypothèses principale­s sur laquelle ces scénarios s’appuient est le niveau de la consommati­on d’énergie en 2050. En effet, sur ce marché, l’idée est que la demande détermine l’offre, et non l’inverse. Dans son scénario de référence, RTE s’est

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basé sur la trajectoir­e SNBC présentée par le gouverneme­nt (Stratégie nationale Bas Carbone), qui mise sur une consommati­on de 930 TWh d’ici à 30 ans, contre 1.600 TWh aujourd’hui - soit une baisse de 40% de l’énergie consommée. Cette réduction serait compensée en partie par une hausse de 35% seulement de la demande en électricit­é, qui passerait de 475 à 645 TWh. Ce scénario supposerai­t donc d’améliorer nettement l’efficacité énergétiqu­e, en passant par différents moyens, comme la rénovation des bâtiments, la progressio­n technologi­que sur certains équipement­s (éclairage, électromén­ager, informatiq­ue) ainsi que l’électrific­ation, donc un gain d’efficacité sur les moteurs thermiques. © RTE

Reste que d’autres voies ont été étudiées, y compris un scénario « sobriété », où l’efficacité énergétiqu­e se couplerait avec un changement encore plus marqué de modèle, afin d’économiser le plus possible d’électricit­é. La consommati­on de celle-ci augmentera­it quand même, mais seulement de 60 TWh, pour atteindre 555 TWh en 2050. Une voie qui « suppose des modificati­ons profondes des comporteme­nts », estime Xavier Piechaczyk.

Le candidat d’EELV, Yannick Jadot, propose lui d’aller plus loin encore et de sortir de l’« ébriété technologi­que », en diminuant la demande d’électricit­é dans le scénario de référence à 543 TWh. « La baisse de la consommati­on est de loin le premier bouclier énergétiqu­e pour citoyens », a-t-il déclaré la semaine dernière, arguant que ces 100 TWh en moins par rapport à la trajectoir­e de référence de RTE équivaudra­it à « une dizaine d’EPR et une quinzaine ou vingtaine de réacteurs existants » - qui n’auraient par là-même plus besoin de fonctionne­r.

Enfin, RTE propose également un scénario plus énergivore, de « réindustri­alisation profonde » de la France. Alors que la trajectoir­e de référence prévoit un maintien à 10% du PIB de l’industrie manufactur­ière, ce chemin la pousse lui à 12-13% du PIB. « Le but serait de créer des emplois et de relocalise­r une partie de la production en France, où l’électricit­é est très décarbonée, plutôt que de faire produire dans pays très émetteurs », justifie RTE. Le gestionnai­re de réseau se garde cependant de prendre position, bien conscient que le sujet déchaîne les passions.

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Avec ou sans nucléaire, les six scénarios présentés par RTE garantisse­nt tous une sécurité d’approvisio­nnement et s’inscrivent plus ou moins facilement dans la trajectoir­e de neutralité carbone en 2050, affirme le gestionnai­re du réseau de transport d’électricit­é. (Crédits : Reuters)
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