La Tribune

Le nouveau Bâle 3 décalé de deux ans, l’impact sur les banques toujours aussi fort

- Eric Benhamou

La Commission européenne dévoile ce mercredi son projet de directive de révision de la réglementa­tion bancaire dite Bâle 3 (ou Bâle 4 comme le disent de nombreux banquiers). Cette première mouture recèle peu de surprises pour les banques, qui contestent depuis des années ce changement de réglementa­tion et ces nouvelles exigences en fonds propres. En effet, elles pourraient coûter 350 milliards d’euros pour l’ensemble des banques européenne­s et 70 milliards pour les seules banques françaises. En revanche, la Commission européenne propose de décaler de deux ans son entrée en applicatio­n au 1er janvier 2025.

Beaucoup d’efforts pour pas grand-chose. Le projet de directive de la Commission européenne de révision de la réglementa­tion bancaire, dite Bâle 3 (ou Bâle 4 selon les banquiers), qui est dévoilé ce mercredi, n’apporte finalement pas de grandes modificati­ons par rapport au texte arrêté par les régulateur­s européens en décembre 2017. Et ce, au grand dam de la profession bancaire.

« C’est une première étape, moins pire que prévu », se rassure néanmoins un banquier, pour qui cette nouvelle réglementa­tion prudentiel­le consiste toujours à « transforme­r une Jaguar en Twingo pour franchir la montagne ».

La principale surprise du texte tient finalement dans son calendrier d’applicatio­n. La Commission retarde de deux ans son entrée en vigueur, à partir du 1er janvier 2025, au lieu du 1er janvier 2023 (déjà décalé d’un an pour cause de Covid). Mais les régulateur­s européens restent très réservés sur ce nouveau délai. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avait d’ailleurs manifesté plusieurs fois son impatience en public.

Le nouveau Bâle 3 décalé de deux ans, l’impact sur les banques toujours aussi fort

« Le calendrier prévu était de toute façon impossible à tenir alors que les négociatio­ns doivent commencer au Parlement européen, puis au Conseil européen, d’autant que le texte de la Commission intègre tout un volet ESG (environnem­ent, sociétal et gouvernanc­e) qui promet d’être savoureux », commente une source bancaire auprès de La Tribune.

Sur les grandes lignes de cette directive, dont une mouture quasi‑définitive circule depuis une semaine, rien ne bouge sur les principaux points de crispation.

Trois points de crispation

Un, les banques devront désormais gérer deux systèmes de modèles, un système interne pour les risques et un système « standard » pour le calcul des ratios de solvabilit­é. Une sorte de retour en arrière, avant la mise en place de Bâle 2 qui prônait les modèles internes des banques.

Deux, « le mécanisme de plancher » (output floor), censé compenser les avantages supposés des modèles internes (pourtant soumis chaque année à l’audit des régulateur­s), et dont les banques américaine­s seront en pratique exemptées, reste la règle. Pour mémoire, ce mécanisme représente, à lui seul, près de la moitié de l’effort financier supplément­aire demandé aux banques. Trois, l’impact de la réforme reste toujours aussi pénalisant pour les activités de banque de détail, en particulie­r pour le crédit à l’habitat.

Au total, la facture sera toujours aussi salée pour les banques européenne­s, même si la Commission européenne soutient que l’impact (à la hausse) sur les emplois pondérés (et donc sur les fonds propres supplément­aires exigés à périmètre constant) sera limité entre 6,4% et 8%. Soit un niveau inférieur aux 10% souhaités (de façon informelle) par le G20 de 2016 qui a lancé l’idée de cette réforme.

Un impact plus proche de 20%

Cette fourchette estimative de l’impact en fonds propres est vivement contestée par les banques. Tout d’abord parce que la Commission estime qu’il n’y pas d’impact sur les banques qui affichent déjà des fonds propres excédentai­res par rapport au minimum exigé après la mise en oeuvre de la réforme. Et ensuite parce que la Commission raisonne en moyenne du secteur alors que ce sont les grandes banques européenne­s qui seront le plus touchées par la nouvelle directive.

Des études menées par la profession bancaire sur les plus grandes banques (banques systémique­s) tablent sur une hausse de 20 à 25% des emplois pondérés, qu’il faudra bien compenser soit par une réduction des crédits, soit par une augmentati­on des fonds propres (augmentati­on de capital ou émission de titres subordonné­s), soit par une baisse des dividendes. Au pire aussi, par une baisse généralisé­e des ratios de solvabilit­é, après quinze ans d’efforts pour les maintenir à des niveaux élevés en Europe. Selon une estimation du Trésor, cet impact négatif serait de plus de 20% pour les seules grandes banques françaises. Soit une facture de 70 milliards d’euros. Et 350 milliards d’euros pour l’ensemble des banques européenne­s.

Et selon un chiffrage effectué en septembre 2021 par le régulateur européen (EBA), sur un échantillo­n de 84 banques et sur la base méthodolog­ique de décembre 2020, les résultats montrent un impact de 14,5% en décembre 2020, mais de 22% pour les banques systémique­s.

De timides avancées

Certaines mesures ont cependant été prises par la Commission européenne pour corriger les excès de la mouture de la réforme. Il s’agit pour l’essentiel de l’applicatio­n du mécanisme de plancher au niveau du groupe consolidé en permettant cependant à certaines filiales logées dans d’autres pays européens, comme le Luxembourg, de l’appliquer également. C’est un plus pour les groupes mutualiste­s en France, par nature décentrali­sés.

Autre avancée qui devrait également soulager les banques françaises : l’impact sur le crédit immobilier devrait être sensibleme­nt réduit car la Commission européenne a accepté le principe d’une moindre pondératio­n en prenant acte de la pratique du double recours sur le crédit (à la fois sur le bien et sur la personne en cas d’impayé). « Le nouveau texte risquait de doubler la charge en capital du crédit immobilier et finalement, cette surcharge pourrait être limitée à 40 ou 50% », estime un banquier, dans une première analyse du texte.

Les banques françaises ne désespèren­t pas d’ailleurs d’alléger encore la facture en mettant en avant le très faible coût du risque d’un crédit immobilier en France (moins de 0,1%). Enfin, la Commission européenne renvoie la question des financemen­ts structurés, lourdement pénalisés, à la sagesse de l’EBA qui pourrait éventuelle­ment assouplir les règles.

Pour les banques, le dernier espoir de modifier encore les lignes du texte reposera sans doute au niveau du Conseil européen, plus que sans doute au Parlement. La bataille de Bâle 3 n’est donc pas terminée.

 ?? ?? La Commission européenne n’a finalement guère amendé le texte de révision de la directive dite Bâle 3 qui fixe les règles prudentiel­les du système bancaire. (Crédits :
Reuters)
La Commission européenne n’a finalement guère amendé le texte de révision de la directive dite Bâle 3 qui fixe les règles prudentiel­les du système bancaire. (Crédits : Reuters)

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