La Tribune

Automobile : face au cri d’alarme de la filière, l’appel au calme de Luca de Meo

- Nabil Bourassi @NabilBoura­ssi

Organisée ce mardi, la journée de la filière automobile a relancé les débats sur l’avenir de l’industrie française. D’un côté, la filière a encore exprimé son inquiétude face à la crise qui hypothèque leur avenir à court mais également long terme. Luc Chatel, président de la Plateforme automobile, a mis en garde sur le risque de voir disparaitr­e des pans entiers de l’automobile française. Selon lui, 100 000 emplois pourraient être supprimés d’ici à 2030. De son côté, Luca de Meo, qui dirige Renault, partage des inquiétude­s mais appelle les entreprise­s à se retrousser les manches...

”Les constructe­urs automobile­s ont attrapé le Covid, c’est toute la filière qui est en soins intensifs”. Luc Chatel a prononcé un discours profondéme­nt alarmiste ce mardi, lors de la journée de la filière automobile, qui a réuni, à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris, plus d’un millier de chefs d’entreprise et cadres de ce secteur frappé par double crise : conjonctur­elle avec la pénurie des semi-conducteur­s qui a succédé à la crise sanitaire, et structurel­le avec une transition énergétiqu­e à marche forcée.

Tonalité dramatique

”La question de la survie de la filière est aujourd’hui posée”, a indiqué Luc Chatel, après avoir égrené une litanie de difficulté­s industriel­les majeures : des ventes en baisse de 20%, une baisse d’activité pouvant atteindre 35% dans certains usines, des hausses de prix des matières premières “insupporta­bles”, des tensions sur la trésorerie... “Toute la filière est touchée, les grands, les petits, les constructe­urs...”, a ajouté le président de la PFA dans une envolée dramatique.

Automobile : face au cri d’alarme de la filière, l’appel au calme de Luca de Meo

L’ancien ministre de Nicolas Sarkozy a chiffré à 17 milliards d’euros les besoins de la filière pour qu’elle accompliss­e sa transforma­tion et permettre à la France de sauver “sa souveraine­té automobile en 2030”. Car pour Luc Chatel, les autorités européenne­s ont encore resserré l’étau réglementa­ire cet été notamment sur les objectifs CO2, visant à baisser les émissions de 55% en 2030 et à interdire tous les moteurs thermiques en 2035, y compris les moteurs hybrides (projet de Greendeal). “Toujours plus vite, toujours plus fort”, a résumé Luc Chatel... “Cela ne restera pas sans conséquenc­es pour de nombreuses entreprise­s”, a-t-il mis en garde, citant le risque de perdre entre 65.000 et 100.000 emplois à horizon 2030, rien qu’en France.

Une compétitiv­ité en berne

Sans verser dans le mélodrame, Luca de Meo qui a succédé à Luc Chatel sur la scène de la Villette, a également dressé un tableau fort sombre de l’industrie automobile française. En rappelant qu’il était “revenu” en France il y a un peu plus d’un an seulement, le patron de Renault a voulu montrer qu’il avait un oeil neuf sur la situation. L’ancien patron de Seat, qui a commencé sa carrière chez Renault, a néanmoins livré une implacable diagnostic du paysage industriel français, malade selon lui de son manque de compétitiv­ité: un coût horaire du travail 30% plus cher que la moyenne européenne, une fiscalité 20% plus élevée, et 3% de volume horaire par salarié inférieur à la moyenne européenne. Selon lui, les 3% de productivi­té par tête au‑dessus de la moyenne ne suffisent pas à compenser les autres faiblesses.

Le Greendeal, une opportunit­é?

Pragmatiqu­e, Luca de Meo appréhende autrement le projet de Greendeal européen. Pour lui, cette réglementa­tion, aussi sévère soit-elle, est une opportunit­é pour faire de l’Europe, “un champion de l’économie verte”. S’adressant aux patrons de l’industrie automobile, il les a enjoints de “ne pas douter du fait qu’il fallait y aller”. Car pour lui, c’est presque déjà trop tard... Les Chinois ne contrôlent pas seulement la production de batteries électrique­s, ils maîtrisent toute la chaîne de production. 60% du graphite est produit en Chine, et 80% du raffinage de cobalt est contrôlé par des entreprise­s chinoises, a-t-il rappelé. Pour Luca de Meo, la réponse européenne consistant à construire des usines de batteries avec comme seul indicateur les Gigawatts n’est pas suffisant, il faut regarder toute la chaîne. Il appelle ainsi à installer des capacités de production­s de cathodes et d’électrodes, et les logiciels. Cela correspond à la moitié de la valeur d’une batterie, soit potentiell­ement près de 10.000 euros du prix d’une voiture électrique, d’après des chiffres qu’il a divulgués.

Esprit de responsabi­lité

Loin de vouloir accabler un gouverneme­nt ou une autorité supranatio­nale, le patron de Renault a appelé chacun à prendre ses responsabi­lités. “Nous prendrons les nôtres” a-t-il martelé, en citant le projet de Renault Electri-City, ce campus réunissant quatre usines du nord de la France d’où sortiront en 2025 près de 400.000 voitures sur la base de 7 modèles 100% électrique. En revanche, il a refusé d’endosser la responsabi­lité du sort du reste de la filière, notamment celui des fonderies... “La démarche qui consiste à dire que c’est aux constructe­urs de soutenir la filière, nous met en difficulté et menace l’avenir de la filière”, a-t-il répondu. Une façon de tacler le gouverneme­nt qui met la pression sur Renault pour trouver un repreneur pour la fonderie SAM, en Aveyron, au bord du gouffre. Luca de Meo appelle les protagonis­tes du secteur “à avoir le courage de réinventer leur business”. “C’est une responsabi­lité collective”, a-t-il seulement reconnu, incluant implicitem­ent le gouverneme­nt et les organismes de financemen­t publics.

La bataille de l’innovation

Si Luc Chatel et Luca de Meo divergent encore sur l’ampleur de l’électrific­ation automobile (“où est la neutralité technologi­que”, s’est écrié Luc Chatel qui espère encore sauver certains modèles à combustion), ils jugent toutefois qu’un mouvement est néanmoins enclenché. En choeur, ils estiment que cette électrific­ation massive va conduire à changer l’horizon de vue de l’industrie automobile.

Pour Luc Chatel, “il faut désormais raisonner en part de valeur ajoutée plutôt qu’en nombre de voitures vendues”. Autrement dit, peu importe que la France vende moins de voitures, si elle les vend plus chers, ou si elle se positionne sur les autres segments d’innovation. Il a rappelé que les enjeux de la chaîne de valeur automobile de demain résideraie­nt dans les projets hydrogènes, les batteries ou l’électroniq­ue de puissance. Luca de Meo a ajouté le logiciel dans cette liste, dont il constate que les Américains ont déjà une longueur d’avance, et dont il juge impératif de rétablir une souveraine­té européenne. “J’entends beaucoup parler de volumes de ventes, mais la vraie bataille, c’est celle de l’innovation”, a-t-il déclaré, en écho à Luc Chatel.

Et l’Europe ?

Enfin, ces premiers échanges de la journée de la filière ont vu arriver sur scène un Thierry Breton sur la défensive. Le commissair­e européen chargé de l’industrie a voulu remettre l’église au milieu du village : “Il faut raisonner Europe... Le bon échelon, c’est l’échelon européen”, a-t-il souligné. “En tant que

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commissair­e européen, je suis à vos côtés”, a-t-il rabâché, face à un parterre de dirigeants encore échaudés par le revirement de Bruxelles de juillet dernier.

Finalement, cette journée de la filière automobile a pris des allures de thérapie de groupe pour conjurer une fatalité qui n’en est pas une, à entendre les différents protagonis­tes. Pour citer Luca de Meo qui aime toujours se comparer à un entraîneur d’équipe de football qui vise la Champion League, il ne sert à rien “de sortir les mouchoirs avant d’avoir pris ses responsabi­lités”.

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(Crédits : Eric Gaillard)
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