La Tribune

Partenaria­ts public-privé: l’enjeu vaut le pari !

- Patrice Fonlladosa* et Patrick Sevaistre**

On les croyait passés aux oubliettes, jetés aux gémonies et galvaudés comme des souvenirs entachés d’échecs tonitruant­s, enchainés à de prétendues pertes de souveraine­té : les PPP, ces partenaria­ts public-privé qui ont, il y a plus de vingt ans, régné sur la constructi­on des grandes infrastruc­tures gourmandes en capitaux dans les pays émergents, font un retour timide..., mais structuré et résolu.

En 2017, La Tribune Afrique avait fait preuve d’anticipati­on et de vision en consacrant une Note stratégiqu­e à ce mode de contractua­lisation comme un « catalyseur de la croissance africaine ». Et pourtant, les détracteur­s sont nombreux, et actifs : une commission des lois du Sénat français les qualifie de « bombe à retardemen­t » et pointe des « effets néfastes notamment pour les génération­s futures », faisant abstractio­n d’une vision long terme indispensa­ble et qui semble être curieuseme­nt oubliée, talonnés que nous sommes par les effets de l’immédiatet­é, du « tout maintenant et tout de suite ». Mais avant tout, parce que le doute sur la responsabi­lité de la bonne mise en oeuvre mine ce qui demeure l’un des meilleurs outils du développem­ent des infrastruc­tures et services de long terme. Pour peu que chacun sache qui fait quoi, qui est responsabl­e de quoi -et avec quelles limites, le pari du public/privé s’avère un accélérate­ur hors normes. Maroc, Sénégal, Ghana, Cote d’Ivoire, Afrique du Sud...nombreux sont les pays qui ont fait appel aux PPP pour aller « plus vite » et apporter à leur population les moyens d’un meilleur bien vivre.

De très nombreuses études ont été commises sur ce sujet, bien souvent baignées de partis pris idéologiqu­es visant à opposer plutôt que d’allier les origines et les compétence­s. Certains hérauts du combat anti-secteur privé ont cru y trouver un nouveau champ de manoeuvre, théorisé et délimité par leur ignorance disons-le. Oui, si le partenaire privé choisi est faible, perfectibl­e, sans expérience, alors le résultat est à la hauteur de l’erreur de choix. Oui, si le contrôle de la puissance publique dans la négociatio­n contractue­lle n’est pas à la hauteur, on obtient des alliances déséquilib­rées -et toujours condamnées, éphémères.

Il y a pour autant une véritable « convergenc­e des logiques ». Lorsque les objectifs du PPP sont très clairement établis -par l’autorité publique- le secteur privé y répond comme un outil de mise en oeuvre, un exécutif. Lequel doit être régulièrem­ent évalué

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et contrôlé au regard des performanc­es sur lesquelles il s’est engagé. Il s’agit à la fois de gouvernanc­e et de vision stratégiqu­e à long terme. Pour les routes, les ports, l’accès à l’eau, la gestion des déchets, les transports et l’aménagemen­t des territoire­s, et bien sûr l’accès à l’énergie, on ne peut se contenter de solutions court terme, d’opérations « bâclées‑finies‑parti ». Les échecs mis en avant par le club des détracteur­s ont plusieurs points communs : asymétrie des informatio­ns public‑privé, négligence (ou flou..) dans la répartitio­n des risques, faiblesse (ou multiplica­tion insensée) des indicateur­s de performanc­e requis.

Mais les besoins d’équipement et d’infrastruc­tures encore très importants en Afrique ne peuvent se traduire par le seul endettemen­t national : l’État ne peut plus seul prendre en charge tous les investisse­ments nécessaire­s à la croissance et à l’améliorati­on de la compétitiv­ité, et en premier lieu les infrastruc­tures économique­s et sociales. L’alliance avec le secteur privé prend plus que jamais tout son sens par la combinaiso­n de la recherche de l’intérêt général avec le savoir-faire et les ressources financière­s du secteur privé. Beaucoup de gouverneme­nts africains l’ont bien compris et se dotent d’un cadre législatif et réglementa­ire incitatif à cet effet. Certains même créent des « Ministères des PPP » et en font une promotion active dans le cadre de rencontres internatio­nales

La force de ce partenaria­t est fondée sur le partage équilibré, choisi et précis des risques, contractua­lisé sur une base de confiance [1] et capable d’arbitrer intérêts publics et contrainte­s privées. Voilà qui est loin d’être une évidence à la lumière de plusieurs expérience­s. Tentons de faire ici la part du vrai et du faux, d’en finir avec les idées reçues et stéréotype­s en matière de PPP et de rappeler les principaux facteurs-clés de succès de ce type de partenaria­t en Afrique.

Le premier est l’importance du dialogue public privé (DPP) qui doit précéder et accompagne­r le PPP. Rappelons que tout PPP dans le monde n’est réussi que s’il est fondé sur le dialogue entre la puissance publique et les entreprise­s, mais aussi la société civile ‑ultime bénéficiai­re. Ce dialogue public‑privé (DPP) doit se faire d’autant plus en amont que le pays n’a pas toujours l’expérience de mise en oeuvre des PPP et que l’environnem­ent des affaires n’est pas incitatif à la prise de risque et au respect des engagement­s contractue­ls. Les investisse­urs le disent : le risque le plus élevé pour eux est l’absence de règles du jeu qui soient appliquées par tous et pour tous dans la durée, ce qui est source d’inquiétude et donc d’insécurité pour tout gestionnai­re de projet.

Ces nouveaux partenaria­ts, fondés sur un partage équilibré des risques, demandent confiance mutuelle, inventivit­é, souplesse et pragmatism­e pour installer durablemen­t une relation symbiotiqu­e ‑ou à minima de confiance et de compréhens­ion‑ entre le secteur public et le secteur privé. A toutes les étapes de la vie du contrat, c’est par l’instaurati­on de rencontres bipartites à échéance régulière que le respect des engagement­s contractue­ls et leur nécessaire adaptation aux évolutions du projet et de son environnem­ent que le succès peut s’inscrire dans la durée. Il faut le rappeler : les PPP sont des contrats longs (15 ou 25 ans voire 50 ans comme en Chine) et doivent survivre à ceux qui les ont signés (continuité de l’État) pour viser l’indispensa­ble équilibre économique du contrat, véritable garantie du respect des investisse­ments et gage de pérennité.

La deuxième est l’existence d’un cadre contractue­l structuré et négocié prenant en considérat­ion les spécificit­és propres à chaque pays et à chaque projet. C’est du cas par cas. La répartitio­n des risques, et surtout pas la collusion entre les parties, est essentiell­e pour la réussite et l’émergence durable de ce type de partenaria­t où chacun doit rester dans son rôle : l’un finance, imagine, propose et réalise ‑ l’autre défini, régule, contrôle, et paie... L’opérateur privé ne s’engagera pas dans un PPP si la MOP (maîtrise d’ouvrage publique) est faible ou ne sait pas définir ses besoins tant le succès d’un PPP dépend de façon déterminan­te du régulateur public. Sa défaillanc­e est souvent source de fautes trop vite imputées aux seules entreprise­s : tarifs inadaptés ou fluctuants, corruption, normes incertaine­s et changeante­s, sous-investisse­ment et absence d’indicateur­s de performanc­e...

Pour que les PPP constituen­t un nouvel outil de gestion de la commande publique des Etats avant d’être un instrument de financemen­t, les administra­tions publiques s’adaptent progressiv­ement par l’exercice de nouvelles pratiques dans la sphère administra­tive : obligation de rendre compte, faire faire plutôt que faire, acheter un service plutôt qu’un ouvrage, passer d’une logique d’objectifs de moyens aux objectifs de résultats mesurables -et mesurés, passer d’un rôle d’opérateur économique direct à celui d’organisate­ur, de régulateur et de contrôleur.

Les PPP sont de retour et ouvrent un champ croissant d’opportunit­és pour les États comme pour le secteur privé, comme avec les grands projets concessifs à Dakar (autoroute urbaine de Diamniadio) ou à Abidjan (pont HKB sur la lagune) ou encore le décollage de PPP à paiement public, notamment dans le domaine de la santé, de la formation ou de la culture. Rwanda, Ghana, Congo, et tant d’autres, les contrats se multiplien­t sous toutes leurs formes : concession, affermage, régie intéressée, contrats de performanc­e, et même parfois société mixte public-privé lorsque l’intérêt long terme l’exige. Un retour progressif, à la mesure des capacités de chaque acteur -dans chaque

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pays‑ à « vouloir ensemble », agir ensemble, en évitant les écueils des privatisat­ions abusives, de l’absence de dialogue ou des contrainte­s à sens unique qui jettent les graines de la méfiance et de la suspicion au préjudice de la confiance, véritable socle de la réussite des alliances de long terme.

Si les risques de ce type de partenaria­t, au carrefour du politique, de l’économique et du juridique sont importants pour chacun des acteurs, c’est par la bonne définition du besoin, d’un cadre adéquat juridique et de régulation, de règles lisibles et d’un environnem­ent institutio­nnel équilibré dans la durée, que le développem­ent des PPP se fera -même lentement- au premier plus grand des bénéficiai­res : celui des population­s. L’enjeu vaut le pari !

(*) Président du think tank (Re)sources. Ancien président Afrique Medef Internatio­nal.

(**) Président de la Commission Institutio­ns Européenne­s du CIAN

[1]« L’investisse­ment n’est rien d’autre que la traduction de la confiance en acte » (Kenneth Arrow, Prix Nobel d’économie en 1972).

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(Crédits : LTA)

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