La Tribune

Vos appareils électroniq­ues de plus en plus vite obsolètes ?

- Delphine Billouard-Fuentes

OPINION. D’où viennent les pannes de nos appareils électroniq­ues ? Sont-ils réparables ? Retour sur les différents types d’obsolescen­ce et les outils législatif­s pour contenir les abus. Par Delphine Billouard-Fuentes, EM Lyon

En 2019, l’ADEME soulignait que 88% des Français changent de téléphone alors que le précédent est encore en état de marche et que seuls 15% des téléphones sont collectés pour être recyclés.

La fabricatio­n de dispositif­s électroniq­ues et leur remplaceme­nt rapide demandent beaucoup de ressources, notamment terres rares et ressources pétrolière­s. En effet, à l’heure même où l’on cherche à diminuer drastiquem­ent son utilisatio­n, le pétrole reste un matériau de base pour de nombreux produits de notre quotidien (plastiques, tissus synthétiqu­es, films d’emballage notamment).

Ces produits représente­nt également une source de pollution importante : 80% des déchets électroniq­ues ne peuvent pas être recyclés et sont soit incinérés, soit enfouis.

Même si elle ne résout pas tous les problèmes liés à la surconsomm­ation, la lutte contre l’obsolescen­ce programmée permet de limiter l’utilisatio­n extensive des ressources et la pollution, tout en permettant aux consommate­urs de réaliser de substantie­lles économies.

Qu’est-ce que l’obsolescen­ce programmée ?

L’obsolescen­ce programmée est définie en France par l’article L441-2 du code de la consommati­on :

« L’obsolescen­ce programmée se définit par l’ensemble des techniques par lesquelles le metteur sur le marché d’un produit vise à en réduire délibéréme­nt la durée de vie pour en augmenter le taux de remplaceme­nt ».

Cette obsolescen­ce programmée peut revêtir de multiples facettes. L’obsolescen­ce technique fait suite à une faiblesse matérielle délibérée qui rend le produit inutilisab­le. Elle peut se manifester sous la forme de la panne d’un composant essentiel, de l’utilisatio­n de matériaux peu robustes ou encore en introduisa­nt un dispositif limitant la durée de vie du produit. Par exemple,

Vos appareils électroniq­ues de plus en plus vite obsolètes ?

certaines imprimante­s indiquent que les cartouches d’impression sont vides alors qu’il reste encore de l’encre.

L’obsolescen­ce logicielle impacte les biens électroniq­ues, principale­ment les smartphone­s, les tablettes et les ordinateur­s. Certains appareils ne permettent plus l’installati­on des systèmes et logiciels les plus récents. Officielle­ment, ce blocage permet d’éviter l’installati­on d’un logiciel que l’appareil ne pourrait pas utiliser pleinement en raison de ses caractéris­tiques techniques.

A contrario, l’utilisateu­r se voit parfois imposer l’installati­on de la dernière version du système d’exploitati­on, celle-ci ralentissa­nt considérab­lement le fonctionne­ment de l’appareil. L’entreprise Apple a été condamnée en France à 25 millions d’euros d’amende pour ce motif.

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Enfin, l’obsolescen­ce programmée indirecte rend un produit inutilisab­le en raison de l’indisponib­ilité d’un produit ou d’un composant associé. Nous retrouvons dans cette catégorie l’impossibil­ité de trouver un chargeur de remplaceme­nt pour un produit électroniq­ue, l’incapacité de réparer un produit en raison de l’inexistenc­e des pièces détachées nécessaire­s à sa réparation ou encore l’excessivit­é du prix de la réparation. C’est la raison pour laquelle l’Europe souhaite imposer l’utilisatio­n de chargeurs universels pour les smartphone­s.

Deux autres catégories d’obsolescen­ce viennent s’ajouter à celles‑ci : l’obsolescen­ce esthétique, qui ne repose pas sur une usure anticipée ou une impossibil­ité d’utiliser le produit, mais sur le recours à des techniques marketing pour créer un besoin de changement chez l’utilisateu­r. Le produit possédé apparaît alors comme dépassé, soit en raison de son esthétique, soit des fonctionna­lités qu’il propose. Nous pouvons également citer ici l’obsolescen­ce écologique, qui a vu le jour ces dernières années : certaines entreprise­s incitent les consommate­urs à changer un produit en état de fonctionne­ment par un nouveau produit qui serait plus économe en énergie.

D’où vient ce concept ?

Officielle­ment, l’obsolescen­ce programmée est apparue suite à la crise économique de 1929 : Bernard London, un courtier new‑yorkais, propose, alors de déterminer une durée de vie pour les produits afin d’en faciliter le renouvelle­ment. Il ne s’agit pas précisémen­t d’obsolescen­ce programmée, mais plutôt d’« obsolescen­ce planifiée ». Dans cette vision, chaque produit doit avoir une durée de vie déterminée lors de sa fabricatio­n, et les consommate­urs

même si les produits peuvent encore techniquem­ent être utilisés. Bien que cette propositio­n n’ait pas été mise en oeuvre, elle a contribué à l’acceptatio­n de l’obsolescen­ce programmée, démontrant ses atouts économique­s et sociaux les enjeux environnem­entaux et ceux liés à la rareté de certaines ressources n’étaient alors pas d’actualité.

Le premier exemple d’obsolescen­ce programmée date cependant d’avant la crise de 1929. En 1924, les principaux fabricants d’ampoules mondiaux se sont réunis secrètemen­t, créant le premier cartel mondial. Les ampoules fabriquées jusqu’alors avaient une durée de vie importante, la durée moyenne de fonctionne­ment étant de 2500 heures (une ampoule fonctionne depuis 1901 dans la caserne de pompiers de Livermore en Californie). Cette longévité limitant les revenus de ces entreprise­s, la décision de plafonner la durée de fonctionne­ment à 1000 heures fut prise. Chaque entreprise du cartel se devait de respecter cet engagement, et des contrôles étaient réalisés dans les sites de fabricatio­n pour vérifier sa bonne mise en oeuvre.

Depuis cette époque, l’obsolescen­ce programmée est omniprésen­te dans le monde économique, permettant de redynamise­r des marchés saturés ou en voie de saturation.

Comment lutter contre l’obsolescen­ce programmée ?

Plusieurs initiative­s permettent de lutter contre l’obsolescen­ce programmée.

Après la création d’un « Repair Café » à Amsterdam en 2009, des communauté­s d’utilisateu­rs se sont développée­s à travers l’Europe pour proposer des ateliers de réparation de produits défectueux ou des tutoriels. D’autres communauté­s permettent d’offrir une deuxième vie à des objets en leur trouvant un nouveau propriétai­re, que ce soit en les vendant, par don ou par troc.

Les États se mobilisent aussi pour lutter contre ce phénomène. Ainsi, en France, depuis le 1er janvier 2021, les fabricants de certains produits doivent afficher un indice de réparabili­té.

Cet indice permet à l’acheteur de connaître les possibilit­és de réparation d’un produit lors de son achat.

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L’obsolescen­ce logicielle représente un défi majeur.

Une étude initiée par le Ministère de la Transition Écologique suggère d’imposer aux fabricants d’assurer les mises à jour

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pendant au moins 5 ans après la fabricatio­n. En attendant que de telles initiative­s aboutissen­t, les auteurs de cette étude recommande­nt de ne faire que les mises à jour indispensa­ble à la sécurité pour les équipement­s électroniq­ues anciens, car les mises à jour peuvent ralentir l’équipement concerné.

La législatio­n française considère l’obsolescen­ce programmée comme un délit Article 441-2 du Code de la consommati­on, mais la preuve de ce délit est presque impossible à établir.

Une propositio­n de loi a été initiée le 7 avril 2021. Celle-ci propose d’étendre la durée minimale de garantie légale sur les biens matériels de 2 à 10 ans et de garantir la disponibil­ité des pièces détachées sur cette durée.

Si celle-ci est validée, elle représente­ra une avancée considérab­le pour lutter contre le phénomène d’obsolescen­ce programmée.

Une prise de conscience des utilisateu­rs est également nécessaire. En effet, au-delà de la problémati­que d’obsolescen­ce avec une panne empêchant totalement le fonctionne­ment de l’appareil, d’après une étude de l’ADEME, 88 % des téléphones portables remplacés chaque année fonctionne­nt encore. _______

Par Delphine Billouard-Fuentes, Professeur associé, EM Lyon

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Regis Duvignau)
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