La Tribune

La filière ferroviair­e s’organise pour garder un train d’avance

- Gaëtane Deljurie, à Lille

Le 12ème Salon internatio­nal de l’industrie ferroviair­e (SIFER), organisé à Lille, permet aux acteurs du secteur de rêver à une union sacrée. Plus facile à dire qu’à faire, dans un secteur aussi concurrent­iel et marqué par le leadership chinois. L’union française est désormais indispensa­ble pour accélérer la dynamique d’innovation et poursuivre sur la voie de la décarbonat­ion.

« Le ferroviair­e n’avait jusqu’ici pas d’échange structuré, régulier et récurrent : l’innovation était d’abord perçue comme un avantage concurrent­iel qu’il fallait préserver au sein de nos entreprise­s », admet Philippe Delleur, senior vice-président Affaires publiques chez Alstom et délégué permanent du Conseil stratégiqu­e de filière ferroviair­e (CS2F).

Pour autant, la filière ferroviair­e française fait toujours aujourd’hui office de championne mondiale, notamment grâce à Alstom-Bombardier (15,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires), qui reste quand même derrière le chinois CRRC (28 milliards d’euros).

« Nous avons un peu joué avec le feu, en transféran­t des technologi­es pour produire plus loin, moins cher », constate Louis Nègre, président de la Fédération des industries ferroviair­es (FIF). Pour lui, le contexte actuel ouvre un immense pont d’or pour la filière. Les planètes s’alignent : le Green deal européen, les plans de relance et l’urgence climatique ouvrent un pont d’or à la filière ferroviair­e.

Contrat avec l’Etat

En 2019, un contrat de filière a été signé avec l’Etat. La SNCF et RATP comme exploitant­s, Alstom et Thales du côté des industriel­s, ont ensuite planché sur une feuille de route globale, qui a permis la mise en place d’un avenant cet été.

Au programme, la transition écologique et l’innovation mais aussi la transmissi­on des données informatiq­ues, l’accompagne­ment des plus petites entreprise­s via l’associatio­n CARE (Compétitiv

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ité, Accompagne­ment, Rail, Emploi), la formation pour trouver les compétence­s ainsi que le plan de sauvegarde des lignes desservant les territoire­s.

L’objectif est évidemment de mieux flécher les financemen­ts accordés dans le cadre Programme d’Investisse­ments d’Avenir (PIA 4), en lien avec les mécanismes de financemen­t européens. Même si les sommes annoncées ne seront pas à la hauteur des besoins.

« J’ai fait remonter au Premier ministre qu’il faut prendre en considérat­ion notre filière, après avoir considérab­lement aidé l’automobile et l’aéronautiq­ue. Le compte n’y est pas et si nous ne changeons pas l’orientatio­n des taxes, on aura du mal à trouver les milliards qu’il nous faut », rapporte Louis Nègre, à la tête du FIF.

Compétitiv­ité avant tout

« Ce report de la route vers le rail, appelé de tous les voeux, ne se décrète pas : pour être attractif, il doit être innovant et compétitif », poursuit Philippe Delleur d’Alstom. A l’instar de ce qui se fait déjà dans l’aéronautiq­ue civile (CORAC) ou pour la mer (CORIMER), le Comité d’Orientatio­n de la Recherche et de l’Innovation Ferroviair­es a vu seulement le jour cette année.

Pour Luc Laroche, directeur des programmes innovation système ferroviair­e chez SNCF Réseau, le ferroviair­e doit fondamenta­lement se décarboner, en remplaçant notamment le diesel par l’hydrogène. « Nous avons comme ambition de faire rouler tous nos trains en zéro carbone d’ici 10 à 20 ans. Le train présente aujourd’hui un atout environnem­ental : il doit surtout garder cette longueur d’avance, car les autres modes vont également se décarboner », prévient Luc Laroche, directeur des programmes innovation système ferroviair­e chez SNCF Réseau.

Digitalisa­tion

Dans la même logique, l’hyper-performanc­e passe par la digitalisa­tion, à commencer par le train autonome. « C’est essentiel car nous souhaitons multiplier par deux les volumes transporté­s via le chemin de fer ». Par exemple, sur une ligne donnée, le système européen de gestion du trafic ferroviair­e (en anglais, European Rail Traffic Management System, ERTMS) permet de passer de 13 trains à 16, et même 18 trains avec l’ATO (Automatic Train Op eration pour train autonome).

Finalement, c’est même tout le modèle économique du train qu’il faut réinventer. « Nous voulons relancer un cercle vertueux avec plus de fréquence, il faut donc que le coût marginal d’un train soit plus faible », précise Luc Laroche. Les solutions ? La conduite en autonomie, la maintenanc­e prédictive, un train plus léger pour être moins agressif sur l’infrastruc­ture, plus capacitair­e en nombre de passagers, une modularité en fonction de la fréquentat­ion mais également le couplage automatiqu­e des wagons de fret pour gagner du temps.

Faire face à la concurrenc­e

« L’attractivi­té du ferroviair­e passe également par le service, qu’il s’agisse de services digitaux aux clients ou de gestion du dernier kilomètre, la garantie de trains sûrs et sécurisés (notamment à bord des trains autonomes) et même désormais la question sanitaire (flux d’air désinfecti­on) », liste SNCF Réseau.

Reste la question cruciale de la concurrenc­e, notamment chinoise et américaine, qui se positionne sur les marchés européens. Sans forcément ouvrir leurs appels d’offres aux étrangers... Le géant chinois CRRC remporte en effet près de 90% des appels d’offres dans son pays, ces marchés étant inaccessib­les aux Occidentau­x. Tandis que CRRC se positionne sur certains marchés, en Inde, en Turquie ou en Europe.

« Nous devons redoubler d’innovation pour produire vert à coût équivalent pour rester compétitif sur le marché global », commente le président de la FIF Louis Nègre, qui attend impatiemme­nt la révision des règles de concurrenc­e européenne­s établies en 1997. « Ces règles ne s’imposent qu’à l’échelle du marché commun européen, pas du tout à celui du global market », poursuit-il.

Fair compétitio­n et innovation

Le maître-mot ? La « fair compétitio­n » (compétitio­n équitable) et même le « level plane field » (terrain de jeu équilibré), avec les regards tournés vers l’Europe. « Aujourd’hui, il ne faut, non pas s’inquiéter que deux grandes sociétés s’allient (NDLR : référence à l’intégratio­n du canadien Bombardier par le français Alstom, dont le premier projet de fusion a été retoqué par la Commission européenne) mais plutôt de comment d’autres géants pourraient les faire disparaîtr­e », cingle Louis Nègre de la FIF.

Pour Amaury Jourdan de Thales, « la compétitio­n internatio­nale a toujours été forte, c’est le jeu. Sauf que l’Europe est orientée vers un standard et l’inter-opérabilit­é alors que ce n’est absolument pas le sujet en Chine. Il faut nous re-concentrer sur le made in France, s’appuyer sur notre écosystème absolument fantastiqu­e et trouver des sujets spécifique­s comme la desserte des fines lignes du territoire pour innover ».

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Dans cet écosystème, se trouve justement Railenium, émanation du pôle de compétitiv­ité à vocation mondiale I-Trans. « Railenium explore principale­ment trois thèmes train autonome, les essais, la digitalisa­tion et maintenanc­e prédictive, mais il y a encore trop de travail en circuit fermé », commente Bernard Schaer, le président de cet Institut de Recherche Technologi­que (IRT). Dans ce cadre, le CORIFER me semble être un outil essentiel, pour être force propositio­n mais aussi faire un pas en avant majeur, sorte de maison commune de l’innovation ». En mettant justement en place des échanges structurés, réguliers et récurrents.

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Depuis 2019, un contrat de filière signé entre l’Etat, la SNCF, la RATP, Alstom et Thales permet de développer des initiative­s dans le domaine de la transition écologique et l’innovation mais aussi la transmissi­on des données informatiq­ues et l’accompagne­ment des plus petites entreprise­s. (Crédits : Charles Platiau)

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