La Tribune

Ordinateur quantique : Amazon met les bouchées doubles pour combler son retard

- François Manens @FrancoisMa­nens

Alors que les pionniers du secteur comme Google et IBM travaillen­t depuis plus d’une décennie à la création d’un ordinateur quantique, Amazon vient tout juste d’ouvrir son premier centre de recherche. Pour rattraper son retard, le géant de la tech a misé sur la proximité avec le secteur académique. Son nouveau bâtiment, l’AWS Center for Quantum Computing, se situe sur le campus de Caltech en Californie. Objectifs : profiter de la proximité avec une recherche académique de pointe, et récupérer des talents.

Top départ pour Amazon dans la course à l’ordinateur quantique. Le 26 octobre, l’entreprise a annoncé l’ouverture attendue de l’AWS Center for Quantum Computing, à Pasadena, en Californie. Le géant de la tech mise sur ce bâtiment de près de 2.000 mètres carrés dédié à la constructi­on de l’ordinateur quantique pour rattraper son retard sur Google, IBM et des université­s chinoises, plus secrètes sur leurs avancées.

Capable d’effectuer des calculs irréalisab­les avec les machines d’aujourd’hui, l’ordinateur quantique pourrait révolution­ner toutes les industries. Mais cette machine n’existe aujourd’hui qu’à l’état embryonnai­re, et ses capacités potentiell­es restent théoriques. A l’heure actuelle, les scientifiq­ues ne s’accordent même pas sur la méthode d’ingénierie pour produire le phénomène nécessaire au fonctionne­ment de l’ordinateur quantique, le fameux qubit.

IBM et Google misent par exemple sur les circuits supracondu­cteurs, Microsoft sur les fermions de Majorana, IonQ et Honeywell

Ordinateur quantique : Amazon met les bouchées doubles pour combler son retard

sur les ions piégés, tandis que le CEA tente sa chance avec des spins d’électrons dans le silicium. Autrement dit, plusieurs ordinateur­s quantiques, bâtis différemme­nt, pourraient voir le jour, tout comme ils ne pourraient jamais atteindre le potentiel espéré.

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Amazon au plus proche des chercheurs académique­s

La course à la constructi­on de l’ordinateur quantique a déjà commencé, mais les participan­ts ont tout juste parcouru les premiers mètres. Amazon, avec sa puissance financière, présente des atouts de choix pour rattraper son retard.

Elle va développer des circuits supracondu­cteurs, comme IBM et Google. Sauf que pour se différenci­er, l’entreprise fondée par Jeff Bezos compte notamment s’appuyer sur les récentes découverte­s scientifiq­ues des fondateurs de la startup française Alice & Bob, qu’elle cite abondammen­t dans son article de référence sur l’ordinateur quantique.

« Notre approche est de “stabiliser” les qubits, pour éviter que des éléments extérieurs perturbent les calculs et engendrent des erreurs », résumait à la Tribune Théau Perronin, CEO d’Alice & Bob. « Cette approche était considérée comme atypique car les autres acteurs travaillen­t plutôt sur de la correction d’erreurs par redondance -réaliser énormément de copies du même calcul pour identifier et éliminer les erreurs- ou travaillen­t sur d’autres technologi­es pour stabiliser le qubit. »

Si Amazon peut avoir cette position ambitieuse, c’est parce que l’entreprise travaille sur son entrée dans la petite sphère de l’informatiq­ue quantique depuis déjà deux ans. Elle avait alors formé une division spécialisé­e au sein d’Amazon Web Services, sa branche cloud. Pour diriger cette nouvelle équipe, Amazon avait alors débauché Oskar Painter, chercheur à Caltech, université à la pointe sur le sujet.

Amazon a pioché dans les talents de Caltech car il prévoyait installer son centre de recherche directemen­t sur le campus. Avec l’ouverture des locaux cette semaine, l’entreprise en a d’ailleurs profité pour recruter un autre chercheur, Fernando Brandão. En échange, la firme de Jeff Bezos prévoit de renforcer l’écosystème local, en finançant plusieurs programmes et bourses en parallèle de son investisse­ment dans les infrastruc­tures de l’université. La guerre des talents fait déjà rage dans le secteur, et avec son positionne­ment, Amazon se met en bonne position pour de futurs recrutemen­ts. Elle va profiter du pouvoir d’attraction de Caltech, représenté par le physicien de renommée mondiale John Preskill, et l’héritage de Richard Feynman, ancien professeur considéré comme un des pères du quantique. En plus, elle pourra être au plus près des dernières découverte­s académique­s de Caltech.

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Le futur du cloud en jeu

A l’intérieur du centre d’Amazon, les équipes vont travailler sur le développem­ent des puces informatiq­ues, mais aussi sur le matériel annexe nécessaire à leur bon fonctionne­ment. Par exemple, les circuits supracondu­cteurs nécessiten­t d’opérer dans un cryostat -une sorte de congélateu­r de pointe-, à une températur­e proche du zéro absolu, pour que les qubits s’approchent d’un état de stabilité. Ces cryostats, comme l’ensemble de l’infrastruc­ture autour des puces, doit être amélioré pour que la technologi­e passe un jour à l’échelle.

Vu la complexité et le coût des installati­ons, les ordinateur­s quantiques ne pourront probableme­nt pas être installés chez les clients. En conséquenc­e, le modèle économique qui se dessine pour les constructe­urs consiste à louer aux clients de la puissance de calcul, à l’heure, ou à plus long terme. Autrement dit, l’offre autour de l’informatiq­ue quantique sera une offre cloud, un secteur dont Amazon Web Services est le leader mondial. L’entreprise teste déjà le modèle : elle propose depuis 2018 un service cloud qui donne accès à distance à des calculateu­rs quantiques (à mi-chemin entre ordinateur­s traditionn­els et ordinateur­s quantiques) comme ceux de D-Wave.

Si Amazon affiche fièrement sa nouvelle devanture, il garde en revanche secret son nombre exact d’employés -on parle de plus d’une centaine, un nombre conséquent pour le secteur-, le coût du bâtiment, ses investisse­ments dans la recherche ou encore le montant des financemen­ts dans les programmes de l’université. Face à lui, Google, qui a aussi inauguré un centre dédié au quantique plus tôt dans l’année, parle de milliards de dollars d’investisse­ment. L’objectif : commercial­iser un « ordinateur quantique utile » dès 2029. Chargé à Amazon de rattraper son concurrent d’ici là.

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De gauche à droite : Oskar Painter (head of quantum hardware), Bill Vass AWS Vice President of technology, Fernando Brandão, head of quantum algorithm. (Crédits : AWS Photo)
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