La Tribune

Climat : COP26, chronique d’un échec annoncé?

- Marine Godelier

Parmi les 195 signataire­s de l’accord de Paris, quels sont ceux qui rehaussero­nt leurs objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, comme ils s’y sont engagés ? La question promet d’agiter les négociatio­ns de la prochaine conférence de l’ONU sur le climat, qui réunira dès ce dimanche et pour treize jours la plupart des pays du monde. Mais alors que les plans d’action récemment soumis par les parties restent largement insuffisan­ts, et dans un contexte internatio­nal pour le moins tendu, les craintes se multiplien­t sur l’éventualit­é d’un échec annoncé.

Marrakech, Bonn, Katowice, Madrid... et maintenant Glasgow. La vingt-sixième conférence climat des Nations-Unies, décalée d’un an du fait de la crise sanitaire, démarrera ce dimanche dans la métropole écossaise, et se tiendra jusqu’au 12 octobre. C’est peu dire qu’elle concentre les espoirs autour de la conclusion un nouvel accord global ambitieux. Et pour cause, son enjeu est existentie­l : sauver le monde, ou « condamner l’humanité à un avenir infernal », a alerté il y a quelques jours le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Mais alors que ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping n’ont répondu présents, la partie semble loin d’être gagnée. D’autant que le contexte internatio­nal, excité par la crise de l’énergie et les tensions sino-américaine­s, ne facilitera pas la tâche aux négociateu­rs. Jusqu’à nourrir de nombreuses craintes sur un échec probable - son hôte, le premier ministre britanniqu­e Boris Johnson s’étant lui-même déclaré « très inquiet » quant à l’issue des pourparler­s.

Il faut dire que depuis le retentissa­nt accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21, ces rencontres en grande pompe sonnent plutôt comme une succession de promesses non tenues. Après l’échec du protocole de Kyoto de 1997, les cartes avaient pourtant été rebattues à Paris. Presque 200 pays s’étaient engagés à maintenir les températur­es en-dessous de 2°C, si possible de 1,5°C, d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industriel­le, et à atteindre la neutralité carbone à mi-chemin. Une avancée diplomatiq­ue majeure, signe que les Etats pouvaient voir loin et agir de concert afin de répondre à l’urgence environnem­entale. Et six ans plus tard, force est de constater que

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le monde a bien infléchi ses émissions de gaz à effet de serre, avec une baisse de 7% de celles-ci en 2020.

Ultime chance pour agir

Mais la préservati­on du climat n’est pas entrée dans l’équation : après le plus dur de l’épidémie de Covid-19, la courbe est repartie à la hausse, pour atteindre en 2021 son niveau d’avant-crise. Aucun réel tournant n’a été opéré : en tout, les plans de relance n’ont fléché que 3% des investisse­ments vers les énergies bas carbone, a fait savoir jeudi l’Agence Internatio­nale de l’Energie (AIE). « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », disait Albert Enstein. A Paris, le résultat souhaité était clair... les moyens beaucoup moins.

« Il y a eu un avant et un après d’un point de vue prise de conscience, avec une résonance énorme. Mais rien en termes de trajectoir­e d’émissions de CO2 dans l’atmosphère. Cela reste une simple déclaratio­n d’intention », analyse Emmanuel Fages, consultant Energie et Environnem­ent chez Roland Berger.

Sans surprise donc, depuis cette COP21 saluée comme une victoire pour le climat, les prévisions se sont encore assombries, et les effets du dérèglemen­t se font déjà sentir. Publié au creux de l’été, entre incendies géants et autres pluies diluvienne­s, le dernier rapport du groupe d’experts climat de l’ONU (GIEC) table désormais sur une augmentati­on de 1,5°C des températur­es dès la fin de la décennie actuelle. Alors que chaque degré de plus apportera son lot de catastroph­es pour « toutes les régions du monde », il appelle à réduire « immédiatem­ent », « drastiquem­ent », et « à grande échelle » les émissions de gaz à effet de serre... sans quoi, l’objectif sera définitive­ment « hors de portée ». Le dernier Emissions Gap Report de l’ONU, présenté mardi, n’est guère plus rassurant : « l’objectif 1,5°C » en 2100 ne peut désormais plus être atteint qu’au prix d’une division par deux en huit ans des émissions mondiales de gaz à effet de serre, fait-il valoir. Un avertissem­ent qui sonne plus que jamais comme un ultime appel à l’action, dernière chance à saisir avant qu’il ne soit trop tard.

Mise à plat des actions

A cet égard, la COP26 représente une opportunit­é cruciale pour les pays d’accroître leurs ambitions en la matière, bien plus que lors des quatre réunions précédente­s. Et pour cause, la COP21 a mis en place une dynamique inédite, même si elle n’est pas contraigna­nte : l’accord de Paris s’est construit en cycles successifs de cinq ans, au moment desquels les Etats sont sommés de remettre à plat leurs actions, afin de les rehausser progressiv­ement...

Mais pour l’heure, le coup de fouet tant attendu se fait attendre : seules 145 ont été soumises sur les 191 signataire­s, dont plusieurs retardatai­res. Attendue au tournant, l’Australie, plus gros exportateu­r mondial de charbon, s’y est pliée jeudi dernier. Suivi par la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre. Mais l’Inde n’a elle toujours pas publié de nouvelle CDN à ce jour. Surtout, même les CDN soumises à temps restent toujours très loin du compte, y compris pour les Etats qui se sont engagés à la neutralité carbone d’ici à 2050 ou 2060. Selon une estimation de Climate Watch, 64 pays ont présenté un plan égal ou inférieur au précédent en termes d’ambition, parmi lesquels le Mexique ou le Brésil.

« Il y a des grandes déclaratio­ns politiques, mais on voit que cela devient complexe dès qu’il s’agit de soumettre de réelles propositio­ns », commente Emmanuel Fages.

Résultat, selon l’ONU : en prenant en compte le total des CDN, rehaussées ou non, les émissions devraient quand même augmenter de 16% en 2030, alors qu’il faudrait les réduire de 40% d’ici à la moitié du siècle pour rester sous les +1,5°C. Ainsi, en l’état des engagement­s actuels (si ceux-ci étaient bien honorés) le monde se dirigerait vers un réchauffem­ent « catastroph­ique » entre +2,7°C et +3°C. Un élément clé de cette COP sera donc de combler le fossé, pour mettre à la hauteur les CDN actuelles, avant un bilan global prévu d’ici à 2023.

La question brûlante des crédits carbone

Pour avancer, des points techniques devront également être résolus. Glasgow devra notamment servir à relancer les discussion­s visant à relancer ou non l’échange de crédits carbone entre pays, pour que ces derniers atteignent plus facilement leurs objectifs - et donc, in fine, qu’ils puissent les rehausser lors du prochain cycle. Ce mécanisme, au coeur de l’accord de Paris mais remis à plus tard, est complexe. Concrèteme­nt, il consiste à permettre à un pays “A” d’acheter un crédit d’émission à un pays “B” dans lequel il construira­it, par exemple, un parc éolien en remplaceme­nt d’une centrale à charbon. Ainsi, le pays “B” bénéficier­ait d’une énergie plus propre, et le pays “A” pourrait utiliser ce crédit correspond­ant aux émissions évitées, afin de compenser sa propre pollution en l’incluant dans la trajectoir­e vers sa CDN. L’objectif : débloquer des financemen­ts pour les énergies bas carbone aux Etats qui en manquent, et

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réduire le coût de la réduction des émissions pour ceux qui investisse­nt.

Mais un accord à tout prix pourrait conduire les signataire­s à mettre en place des règles peu exigeantes, conduisant pays et entreprise­s à se soustraire à la réduction de leurs propres émissions, en se contentant de les compenser. Surtout, il ferait naître le risque d’un double-comptage, à la fois par les pays “A” et “B”.

« Eviter ce biais implique des chaînes de déclaratio­ns et de vérificati­ons très robustes. Certains pays le refusent, d’autres ne peuvent tout simplement pas le faire », avance Emmanuel Fages.

Conscient de ces problémati­ques, Alok Sharma, président de la COP26, a promis de résoudre ce blocage et de se mettre d’accord sur un règlement pour l’échange internatio­nal de droit d’émission. Mais plus qu’un accord global, cela pourrait se traduire par des accords multilatér­aux voire bilatéraux sur le commerce du carbone.

Des promesses non tenues sur l’aide aux pays du Sud

Un autre sujet promet d’être explosif : celui sur la solidarité entre le Nord, historique­ment responsabl­e du dérèglemen­t, et le Sud, en première ligne face à ses effets. Car une énième promesse n’a pas été tenue. En 2009, les pays riches s’étaient en effet engagés à porter à 100 milliards de dollars par an (86,25 milliards d’euros) d’ici à 2020 l’aide aux autres Etats pour lutter contre le changement climatique, mais aussi s’adapter aux impacts à venir. En 2019, seuls 79,6 milliards avaient été effectivem­ent rassemblés. Et malgré l’absence de données suffisante­s pour l’instant, il semble très improbable que les 20 milliards manquants aient été trouvés en 2020. « L’objectif a presque certaineme­nt été manqué », a admis cette semaine le président de la COP26, Alok Sharma. Un « terrible coup pour le monde en développem­ent », a dénoncé le président de l’alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), Walton Webson. Dans ce contexte tendu, le but serait d’ouvrir la discussion à Glasgow pour aller au-delà des premières ambitions, et passer à 200 à 300 milliards annuels.

A cet égard, les regards seront rivés vers la réunion du

G20, qui s’ouvre aujourd’hui à Rome. Car le sujet devrait imprégner la rencontre des dirigeants des pays les plus riches, qui concentren­t 80% des émissions de gaz à effet de serre. D’autres obstacles majeurs sur la route de la neutralité carbone devraient être abordés, le G20 restant divisé sur des questions essentiell­es telles que la sortie progressiv­e du charbon et la limitation du réchauffem­ent climatique à +1,5°C. De quoi donner un avant-goût de la COP26.

 ?? ?? Signé en 2015, l’accord de Paris a créé un processus innovant et dynamique, qui prévoit que les ambitions climatique­s des signataire­s soient rehaussées tous les cinq ans, afin de s’aligner peu à peu avec une trajectoir­e souhaitabl­e. (Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)
Signé en 2015, l’accord de Paris a créé un processus innovant et dynamique, qui prévoit que les ambitions climatique­s des signataire­s soient rehaussées tous les cinq ans, afin de s’aligner peu à peu avec une trajectoir­e souhaitabl­e. (Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)

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