La Tribune

La communauté internatio­nale doit aider l’Afrique à sortir de la double peine climatique

- Christophe Nourissier*

Le continent africain n’est responsabl­e que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Pourtant, l’Afrique est sans doute le continent le plus exposé aux bouleverse­ments climatique­s. En affirmant à l’ONU que le financemen­t de l’adaptation de l’Afrique au réchauffem­ent climatique devait être une priorité de la COP 26, le président de la RDC et actuel président de l’Union africaine (UA), Félix Tshisekedi, a rappelé à raison la communauté internatio­nale à ses responsabi­lités.

Il est d’ores et déjà acté qu’une grande partie du continent africain connaîtra un réchauffem­ent supérieur à 2° par rapport à l’ère préindustr­ielle. Dans ses différents rapports, le GIEC souligne sans cesse la vulnérabil­ité du continent africain face à ce réchauffem­ent: températur­es invivables, multiplica­tion d’événements extrêmes (cyclones, glissement­s de terrain ou encore inondation­s), perte de terres arables, invasions de nuisibles- notamment les criquets pèlerins -la persistanc­e de maladies comme le paludisme, sont autant de menaces sur la sécurité alimentair­e, hydrique et sanitaire du continent. A cela il faut ajouter une capacité d’adaptation plus réduite des Etats et économies africaines aux conséquenc­es du dérèglemen­t climatique.

Deux récentes études illustrent l’ampleur de la menace. La première, publiée en 2020 dans la revue Global Change Biology, a conclu qu’une augmentati­on des températur­es de 4°C dans la période 2081 - 2100 pourrait entraîner une chute des rendements agricoles de 14 à 26 % en Afrique. Une catastroph­e aggravée par la hausse de la pression démographi­que, la multiplica­tion des catastroph­es naturelles et les conséquenc­es d’un moindre accès à l’eau. La seconde, récemment publiée dans la revue Science, affirme qu’un enfant né en Afrique subsaharie­nne en 2020 sera confronté à 50 fois plus de vagues de chaleur et à six fois plus d’évènements extrêmes que les génération­s vivant à l’époque préindustr­ielle.

La communauté internatio­nale doit aider l’Afrique à sortir de la double peine climatique

Le continent africain est aussi une partie la solution

Les dirigeants occidentau­x doivent réaliser que l’inadaptati­on de l’Afrique au dérèglemen­t climatique aura des conséquenc­es très réelles dans leurs pays. Un rapport de mars 2018de la Banque mondiale avance le chiffre de 86 millions de migrants climatique­s potentiels venant d’Afrique subsaharie­nne d’ici 2050. Tout indique que cette population se dirige naturellem­ent vers l’Europe, où les conditions climatique­s, mais aussi économique­s sont plus favorables. Le vieux continent sera alors confronté à un dilemme moral sans précédent, et ce d’autant que ces réfugiés climatique­s fuiront des conditions invivables dont ils ne sont pas responsabl­es.

Le continent africain s’affirme cependant aussi comme un atout dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Citons à titre d’exemple, par son immense capacité forestière, le bassin du Congo, qui s’étend sur la République du Congo, la République centrafric­aine, le Cameroun, la Guinée équatorial­e, le Gabon et surtout la République démocratiq­ue du Congo. Il s’agit du deuxième poumon à carbone du monde après l’Amazonie et la forêt équatorial­e. Aussi, notre capacité collective à le préserver aura des conséquenc­es importante­s sur notre capacité à limiter le réchauffem­ent climatique.

Les financemen­ts internatio­naux doivent aller en priorité vers les zones géographiq­ues les plus exposées

La lutte contre le réchauffem­ent climatique inclut en effet non seulement des projets d’adaptation destinés à adoucir les conséquenc­es du dérèglemen­t sur les population­s, la réduction rapide et conséquent­e de nos émissions, mais encore des projets d’atténuatio­n, permettant de capter le carbone déjà présent dans l’air. La seule compensati­on carbone des arbres ne sera toutefois à elle seule pas suffisante pour compenser les émissions humaines comme l’a récemment rappelé Juliette Nouel Elle ne pourra être d’un des leviers à actionner dans la lutte contre le changement climatique si nous voulons éviter les scénarios les plus critiques récemment détaillés par le GIEC. Aussi, le soutien aux politiques de reforestat­ion est une nécessité impérieuse.

Devant l’Assemblée générale de l’ONU, Félix Tshisekedi a justement rappelé que la restructur­ation des dettes africaines demeurait un préalable fondamenta­l pour que les Etats puissent libérer la marge de manoeuvre budgétaire pour mettre en place des politiques de préservati­on de l’environnem­ent, de réduction des émissions et d’aides aux population­s les plus exposées au changement climatique. Cette dernière doit se conjuguer à d’autres mécanismes internatio­naux de financemen­t internatio­naux et privés.

Certes, les fonds alloués par la Banque africaine de développem­ent (BAD) au changement climatique sont passés de 9 % des investisse­ments globaux en 2016 à 35 % en 2019 et un Business Plan pour le climat en Afrique a été dévoilé en 2020 par la Banque mondiale. Mais ces budgets demeurent insuffisan­ts au regard des besoins du continent, estimés à 30 milliards de dollars par an d’ici 2030, puis 40 milliards jusqu’en 2040.L’allocation des ressources contre le réchauffem­ent climatique doit être conditionn­ée aux besoins et aux capacités financière­s des Etats.

D’autres mécanismes doivent en effet être activés. À ce titre, les 33 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) alloués à l’Afrique paraissent bien peu, alors que les conclusion­s du Sommet de Paris estimaient ces besoins à environ 100 milliards. Un soutien financier internatio­nal au programme d’accélérati­on de l’adaptation en Afrique de la Banque africaine de développem­ent est également nécessaire pour accentuer les financemen­ts nécessaire­s qui, dans un continent sous-dimensionn­é en infrastruc­tures, s’annoncent particuliè­rement lourds.

Encourager le développem­ent des obligation­s vertes

L’un des points les plus périlleux du financemen­t de la lutte contre le réchauffem­ent est la capacité à augmenter les investisse­ments climatique­s sans pour autant aggraver l’endettemen­t des pays du continent. Et ce d’autant plus dans des contextes budgétaire­s contraints par la pandémie de Covid-19.À ce titre, le développem­ent d’outils financiers innovants, comme les obligation­s réellement vertes et transparen­tes, doit être une priorité. Citons par exemple le lancement, par la Banque ouest-africaine de développem­ent (BOAD), de la première obligation à objectif de développem­ent durable du continent, qui a permis de lever 750 millions d’euros au taux très attractif de 2,75 %. Ce mécanisme, encore embryonnai­re sur le continent, a déjà mis en oeuvre aux Seychelles, l’un des Etats pionniers dans le domaine. Ce dernier a émis en 2018 une « obligation bleue » destinée à protéger son écosystème marin.

En plus de ses conséquenc­es humaines et sociales dévastatri­ces, la pandémie de Covid-19a contribué à ce que les enjeux climatique­s soient relégués au second rang.Au moins autant que la santé, le climat constitue un bien commun mondial. Il est grand temps de se donner les moyens de nos ambitions, un « quoiqu’il en coûte » climatique et social dont l’ancien PDG de Danone, Emmanuel Faber chantait encore récemment les louages. Chacun doit donc participer à sa préservati­on - à la

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hauteur de ses moyens et de sa responsabi­lité dans l’émission de gaz à effet de serre. La COP 26 doit être l’occasion d’acter que nous ne sommes pas tous égaux face au changement climatique et que, dans une grande partie du globe, les pays les plus faiblement émetteurs seront aussi les plus touchés par le réchauffem­ent climatique. (*) Ancien expert en communicat­ion politique et en stratégie, Christophe Nourissier travaille aujourd’hui comme conseiller en leadership responsabl­e et dans la promotion de politiques durables et circulaire­s.

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(Crédits : DR.)

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