La Tribune

Moins de nitrates dans l’eau, une vraie course de fond

- Nicolas Surdyk

OPINION. La surveillan­ce de la qualité des eaux souterrain­es s’est accrue ces dernières années, en lien notamment avec la production d’eau potable. Le nitrate représente l’un des paramètres les plus mesurés. Par Nicolas Surdyk, BRGM

L’azote (N) représente un élément nutritif essentiel à la croissance des plantes. Constituan­t principal des protéines et de la chlorophyl­le, on l’ajoute aux cultures sous forme d’engrais minéraux synthétiqu­es ou organiques (effluents d’élevage, boues de station d’épuration...).

L’ion nitrate (NO3) se forme naturellem­ent par combinaiso­n de l’azote (N) et de l’oxygène (O) du sol. Cette forme de l’azote est la plus disponible pour plantes.

Le nitrate est d’autre part particuliè­rement soluble et donc facilement véhiculé par l’eau. Entraîné en profondeur par la pluie dans les sols et au-delà (l’ensemble constitué par les sols et les roches sous-jacentes correspond­ant à ce qu’on appelle « la zone non saturée »), le nitrate va jusqu’à atteindre les eaux souterrain­es appelées « nappes ».

En France, ces eaux souterrain­es assurent 65 % de notre alimentati­on en eau potable.

Des mesures prises depuis 1990

Depuis plusieurs décennies, la surveillan­ce de la qualité des eaux souterrain­es s’est accrue, en lien notamment avec la production d’eau potable. Le nitrate (NO3) - ou plus exactement sa forme dissoute l’ion nitrate (NO3-) - représente l’un des paramètres les plus mesurés.

La limite de qualité pour les nitrates dans l’eau distribuée (eau potable) est 50 mg/L. Si les nitrates peuvent exister de manière naturelle dans les eaux souterrain­es, les teneurs attendues sont alors très faibles, généraleme­nt moins de 10 mg/L. L’activité humaine (agricultur­e, industrie, effluents domestique­s, etc.) constitue une pression importante en azote qui peut conduire à une augmentati­on de la concentrat­ion dans les eaux souterrain­es.

Moins de nitrates dans l’eau, une vraie course de fond

Face au constat de contaminat­ion des eaux, une Directive de protection est appliquée depuis 1991 au niveau européen.

Elle vise essentiell­ement à réduire les excédents d’origine agricole. Au niveau français, cette directive-cadre est transposée dans le Code de l’environnem­ent. Des plans d’action nationaux et régionaux sont mis en oeuvre dans des zones dites vulnérable­s, couvrant aujourd’hui environ 68 % de la surface agricole. Environ 39,6 % du territoire de l’EU-27 fait l’objet de programmes d’action.

Carte des zones vulnérable­s quant à la concentrat­ion de nitrates dans l’eau souterrain­e. N.Surdyk, Author provided (no reuse)

Des efforts insuffisan­ts à ce jour

Ces plans d’action « nitrate » - ajoutés à une prise en compte générale des impacts des activités humaines sur l’environnem­ent - ont conduit à de nombreuses modificati­ons dans les modes de production agricoles français et européens.

Par exemple, un cahier d’enregistre­ment des pratiques a été mis en place et l’implantati­on de couverts végétaux en hiver a été imposée (ces couverts utilisent le nitrate non utilisé par les cultures principale­s et limitent ainsi le transfert comparativ­ement à un sol laissé sans culture). Des plans prévisionn­els de la fertilisat­ion ont également été instaurés, obligeant à évaluer l’équilibre de la fertilisat­ion azotée : les exploitant­s calculent les besoins des cultures pour dimensionn­er leurs apports d’engrais.

L’ensemble de ces initiative­s a permis de réduire la quantité appliquée d’engrais minéraux tout en sécurisant la production alimentair­e.

Mais deux décennies après la mise en place de cette directive européenne, et de sa transcript­ion dans le droit français, préserver et améliorer la qualité de l’eau reste l’un des défis majeurs en France, certaines nappes présentant toujours des teneurs jugées trop importante­s en nitrate.

Comment expliquer cette situation ?

Contrôler les temps de transfert

Il peut en effet paraître paradoxal que la qualité de l’eau ne soit pas toujours au rendez-vous alors que des lois sont mises en place au niveau européen depuis les années 1990.

Une des explicatio­ns réside dans le temps de transfert des nitrates entre la surface et la nappe.

Grâce à des mesures effectuées sur le terrain, il a été en effet possible d’estimer la vitesse moyenne de ce transfert dans plusieurs régions françaises. Ces mesures ont démarré au début des années 1990 dans un contexte crayeux. Depuis, d’autres initiative­s, en Normandie ou dans l’Est du Bassin parisien, ont confirmé un transfert très lent au sein de la matrice de la craie.

Le déplacemen­t vertical moyen de nitrate et d’eau est ainsi compris entre 0,5 m et 1,5 m par an. À titre de comparaiso­n, les escargots, pourtant peu réputés pour leur rapidité, peuvent en moyenne parcourir 0,5 m en moins de 10 minutes...

Dans des cas plutôt rares, des approches similaires ont concerné d’autres matériaux. En Alsace, dans des matériaux appelés loess, des vitesses ont été estimées à quelques décimètres par an.

Comment expliquer ces vitesses moyennes de déplacemen­t ?

De manière simplifiée, on peut considérer que les nitrates migrent généraleme­nt à la même vitesse que l’eau. Cela s’explique simplement par le fait que le nitrate se dissout bien dans l’eau (la solubilité du nitrate d’ammonium est du même ordre que celle du sucre blanc - 2kg/L).

Comprendre la dynamique de l’eau depuis le sol jusqu’à la nappe est donc essentiel pour caractéris­er le déplacemen­t des nitrates.

La circulatio­n de l’eau dans la roche

La circulatio­n de l’eau dans la roche dépend de la présence d’espaces vides, appelés pores (porosité) et de sa capacité à laisser circuler l’eau (perméabili­té). La France offre une diversité importante de type d’aquifères présentant des vitesses de circulatio­n de l’eau différente­s. On distinguer­a par exemple les aquifères poreux, composés de roches sédimentai­res avec une eau circulant au sein de la matrice, des aquifères fissurés, où l’eau va s’écouler préférenti­ellement dans les fissures de manière assez rapide, et les aquifères karstiques où vont coexister des écoulement­s très rapides dans les drains (vides) issus de la dissolutio­n de la roche, et plus lents au sein de la matrice poreuse.

Dans les roches calcaires du nord de la France, le déplacemen­t vertical moyen de l’eau et du nitrate étant de l’ordre du mètre par an dans la zone non saturée située entre la surface et la première nappe d’eau (la plus utilisée pour l’eau potable) et l’épaisseur de cette zone étant régulièrem­ent supérieure à une dizaine de mètres, le nitrate peut donc régulièrem­ent réclamer une décennie pour atteindre la nappe.

Moins de nitrates dans l’eau, une vraie course de fond

En plus du temps nécessaire pour rejoindre descendre la nappe (déplacemen­t vertical), il faut également tenir compte du temps nécessaire à l’eau et au nitrate pour traverser la nappe jusqu’au captage ou la source qui sont utilisés pour produire de l’eau potable (déplacemen­t horizontal). Cette durée est dictée par la distance à parcourir et les propriétés de la roche.

Coupe schématiqu­e du sous-sol situant les transferts horizontau­x dans la nappe et verticaux en zone non saturée. N. Surdyk, Author provided (no reuse)

On comprend donc aisément qu’une modificati­on de pratiques agricoles en surface peut se traduire seulement plusieurs années, voire des décennies plus tard, par une améliorati­on de la qualité des eaux souterrain­es. Si ces informatio­ns sur la durée du transfert sont cruciales, elles restent parcellair­es : le coût des carottages, la nécessité de disposer des historique­s de fertilisat­ion, etc., limitent la réalisatio­n de telles études. Existe-t-il néanmoins des approches qui peuvent apporter des éléments de compréhens­ion ?

Laisser le temps au temps... mais combien de temps ?

Si les profils nitrate obtenus permettent d’avoir des éléments de réponse de manière très locale, faire le lien entre la pression agricole en prenant en compte son évolution temporelle et la qualité de l’eau reste un challenge.

Dans le cadre du projet de recherche FAIRWAY, des approches statistiqu­es ont été mises en oeuvre à la fois pour identifier la voie de transfert dominante et déterminer le temps nécessaire pour que le changement des pratiques en surface soit perceptibl­e sur la qualité de la nappe.

Ainsi, sur le site français étudié (aquifère calcaire), où l’eau circule surtout dans la matrice poreuse, le temps nécessaire varie de 8 à 24 ans selon le captage d’eau considéré. Sur les sites au Danemark, dans un autre contexte hydrogéolo­gique, ce temps dépasse largement les 30 ans !

La modélisati­on couplée à des approches économique­s permet d’orienter les choix agricoles et de conforter les parties prenantes sur la pertinence des actions et de dimensionn­er les efforts en termes de changement de pratiques tout en estimant le temps nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, l’impact pouvant être à court, moyen ou long terme selon les contextes hydrogéolo­giques. ______

Par Nicolas Surdyk, Modélisate­ur qualité de l’eau, BRGM. Nicole Baran (BRGM) est co-autrice de cet article.

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(Crédits : Pixabay / CC)
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