La Tribune

Face à la flambée des prix de l’énergie, il faut bien plus qu’un bouclier tarifaire

- Collectif (1)

OPINION. Les aides d’urgence annoncées par le gouverneme­nt ne sont pas à la hauteur des problèmes. Surtout, elles ne doivent pas conduire à retarder la nécessaire accélérati­on des politiques de transition bas-carbone dont la rénovation énergétiqu­e des bâtiments, seules à même de réduire la vulnérabil­ité des ménages les plus fragiles pour les protéger de crises énergétiqu­es appelées à se reproduire. Par un collectif d’associatio­ns (1).

En l’espace de quelques semaines, la hausse sans précédent des prix du gaz, de l’électricit­é et des carburants a propulsé de nouveau la question du coût de l’énergie au sommet des préoccupat­ions des Françaises et des Français. Cette nouvelle “crise” de l’énergie, qui vient s’ajouter à la très longue crise sanitaire, économique et sociale que nous venons de traverser, oblige les responsabl­es politiques français à trouver les réactions adaptées... c’est-à-dire celles qui répondent aussi à la crise environnem­entale et notamment climatique !

Selon le médiateur de l’énergie, 79 % des Français (contre 71

% en 2020) déclarent que les factures d’énergie représente­nt aujourd’hui une part importante des dépenses de leur foyer, et 20 % des foyers interrogés (contre 14 % en 2020) déclarent même avoir souffert du froid pendant au moins 24h dans leur logement.

Avant même l’explosion des prix, 12 millions de Français avaient froid chez eux ou peinaient à payer leurs factures d’énergie.

Cette situation préoccupan­te, qui voit la précarité énergétiqu­e se maintenir à un niveau élevé ces dernières années, menace de s’aggraver fortement dès cet hiver et de se prolonger au cours des prochaines années.

Face à la flambée des prix de l’énergie, il faut bien plus qu’un bouclier tarifaire

Prix du gaz : +70% depuis le début de l’année

Les tarifs du gaz ont augmenté de 70 % depuis le début de l’année, ceux des carburants de 20 % : comment les ménages aux ressources très modestes, fragilisés encore davantage par la crise sanitaire, pourraient-ils y faire face sans un soutien à la hauteur de l’enjeu ?

Pourtant, le “bouclier tarifaire” annoncé par le gouverneme­nt se borne à faire glisser la charge financière liée à la hausse du prix du gaz jusqu’à la fin 2022, ce qui revient à glisser la poussière sous le tapis. Conduisant, par constructi­on, à maintenir des prix élevés sur le long terme, il ne permettra ni de limiter la croissance rapide du nombre de précaires énergétiqu­es, ni d’aider les ménages fragiles à payer des factures déjà trop élevées aujourd’hui, et qui le seront davantage demain.

De même, l’augmentati­on de 100 euros du chèque énergie ne permettra même pas d’absorber la hausse des prix sur un an, alors que l’augmentati­on des factures entre l’hiver 2021 et l’hiver 2022 pourrait atteindre plus de 500 euros par foyer.

Surtout, ces aides d’urgence ne permettron­t pas aux ménages concernés de procéder à la rénovation thermique de leur habitation, seul moyen de réduire durablemen­t leurs factures de chauffage.

La crise est grave, il ne faut pas la prendre à la légère. Ses conséquenc­es sanitaires, sociales et économique­s menacent d’être dramatique­s si l’Etat ne prend pas immédiatem­ent des mesures ciblées sur les plus précaires, soit les 3,5 millions de ménages reconnus en précarité énergétiqu­e, et à la hauteur des besoins réels.

Un Chèque Energie d’un montant minimum de 700 euros

La première priorité est de revalorise­r le Chèque Energie pour le porter à un montant minimum de 700 euros, qui permettra aux familles d’arrêter de se priver fortement d’énergie de chauffage - un réflexe face à la hausse des prix qui s’avère dangereux pour la santé de personnes déjà en situation de sous-chauffe chronique. Une telle mesure serait moins coûteuse que la baisse annoncée de la taxe intérieure sur la consommati­on finale d’électricit­é (TICFE) annoncée à 5 milliards d’euros, et bien mieux ciblée sur les ménages réellement dans le besoin.

Ces ménages bénéficiai­res d’un chèque énergie renforcé doivent être considérés comme prioritair­es pour bénéficier d’accompagne­ments adaptés à la maîtrise des consommati­ons dans leur logement, bien souvent des passoires thermiques, afin que le confort et l’efficacité énergétiqu­e y soient rapidement et durablemen­t améliorés.

Au-delà des perdants, il ne faut pas oublier que cette crise produit également des gagnants, à commencer par les producteur­s d’énergies fossiles et d’électricit­é vendue sur le marché de gros, qui profitent de bénéfices exceptionn­els et devraient donc participer au financemen­t des mesures, dans une logique redistribu­tive.

La lutte de la précarité énergétiqu­e se joue à l’échelle locale

Mais une grande partie de la lutte contre la précarité énergétiqu­e se joue aussi à l’échelle locale, au plus près des ménages, pour identifier ceux qui en ont besoin et apporter une solution adaptée à la spécificit­é de chaque situation. L’Etat et les fournisseu­rs d’énergie (qui ne respectent pas toujours leurs obligation­s légales en la matière) doivent augmenter leur soutien technique et financier aux dispositif­s déployés par les collectivi­tés locales, qui sont en première ligne et doivent faire face à un afflux sans précédent de demandes d’aide au paiement des factures d’énergie.

On le voit, si les aides d’urgence récemment annoncées étaient nécessaire­s, elles sont loin d’être suffisante­s. Surtout, elles ne doivent pas conduire à retarder la nécessaire accélérati­on des politiques de transition bas-carbone et notamment de rénovation énergétiqu­e des bâtiments, seules à même de réduire la vulnérabil­ité des ménages et de les protéger réellement des crises énergétiqu­es qui, n’en doutons pas, se reproduiro­nt.

Sortir au plus vite de la “trappe à pétrole”

`De même, face à la hausse récente du prix des carburants, les mesures annoncées la semaine dernière par le Premier ministre ne suffiront pas à protéger durablemen­t les ménages les plus exposés. Il est impossible de faire l’économie d’une réflexion de long terme sur la dépendance à la voiture individuel­le et la nécessité de sortir au plus vite de la « trappe à pétrole ». Afin de répondre à la diversité des usages de mobilité, c’est une palette de mesures qu’il convient de mettre en oeuvre dès à présent : création d’une super-prime à la conversion de 7.000 euros pour les ménages les plus modestes avec un objectif de zéro reste à charge pour l’achat d’un véhicule électrique, poursuite de l’ouverture de la prime à la conversion à d’autres modes de transport, augmentati­on du fonds vélo à hauteur de 500 millions d’euros, renforceme­nt des investisse­ments en faveur du transport ferroviair­e et en particulie­r dans les lignes du quotidien

Face à la flambée des prix de l’énergie, il faut bien plus qu’un bouclier tarifaire

et les services de RER métropolit­ains, lancement d’un nouveau programme d’investisse­ment pour soutenir le développem­ent de l’offre de transports en commun, baisse la TVA à 5,5 % sur les transports collectifs terrestres, etc.

Au total, le gouverneme­nt a mis sur la table 11 milliards d’euros, sans aucune consultati­on sur les modalités, pour des mesures palliative­s à court terme, et insuffisam­ment ciblées. Avec une telle somme, il nous semble possible et nécessaire de faire d’une pierre deux coups : à la fois protéger vraiment les ménages vulnérable­s, et accélérer la transition écologique dans les transports et le bâtiment. Il est encore temps pour le gouverneme­nt de revoir sa copie !

_______ (1) Signataire­s :

Morgane Creach, directrice du Réseau Action Climat

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre

Danyel Dubreuil, coordinate­ur de l’Initiative Rénovons

Jean-Pierre Goudard et Julien Robillard, co-présidents du Réseau pour la transition énergétiqu­e CLER

Véronique Devise, Présidente du Secours Catholique-Caritas France

Jean-François Maruszycza­k, Délégué Général d’Emmaüs France

Françoise Thiébault, administra­trice des Associatio­ns Familiales Laïques de Paris

Olivier Schneider, président de la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB)

Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnem­ent

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Avant même l’explosion des prix, 12 millions de Français avaient froid chez eux ou peinaient à payer leurs factures d’énergie. Cette situation préoccupan­te, qui voit la précarité énergétiqu­e se maintenir à un niveau élevé ces dernières années, menace de s’aggraver fortement dès cet hiver et de se prolonger au cours des prochaines années. (Crédits : Reuters)

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