La Tribune

Vices et vertus du “chèque inflation”

- Marc Guyot et Radu Vranceanu

OPINION. Les modalités choisies pour le versement d’une prime de 100 euros à tous ceux qui gagnent moins de 2.000 euros net par mois pour compenser la hausse des prix de l’énergie vont rendre la mesure plutôt efficace dans le contexte électorali­ste actuel. En revanche, au regard de l’urgence de la lutte contre le réchauffem­ent climatique et de la nécessité de réduire le recours aux énergies fossiles, elle envoie un signal contradict­oire. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeur­s à l’Essec.

Le montant des dépenses publiques supplément­aires spéciales 2022 semble indiquer que la stratégie du coûte que coûte est passée de la lutte contre la pandémie vers gagner la prochaine élection. Cette stratégie du gouverneme­nt est compréhens­ible et les cadeaux électoraux, quels qu’ils soient, ont caractéris­é les périodes pré-électorale­s que les gouverneme­nts soient de gauche, de droite ou du centre. Ces dépenses supplément­aires se montent à ce jour à 17 milliards d’euros concernant les dépenses de l’État et à 28 milliards d’euros si on intègre les dépenses supplément­aires de l’ensemble des ministères concernés par cette distributi­on.

Le dernier en date de ces cadeaux est le « chèque inflation » présenté par le gouverneme­nt Castex la semaine dernière comme un moyen de lutter contre l’impact sur le pouvoir d’achat des plus faibles de l’augmentati­on des prix des carburants. Le gouverneme­nt a donc décidé de cofinancer la consommati­on d’énergie fossile en France à hauteur de 100 euros pour les Français gagnant moins de 2.000 euros net par mois. Selon un calcul du gouverneme­nt, cela reviendrai­t pour une utilisatio­n profession­nelle de la voiture à prendre en charge 9 centimes de l’augmentati­on. Il est bien évident que la mesure n’est pas annoncée comme pérenne et cette contributi­on du gouverneme­nt aux dépenses en essence de ceux qui ont une voiture ne durera que dans la période préélector­ale.

Une mesure qui est loin d’être la pire

Notre propos n’est pas de vilipender la pratique courante et commune à tous les gouverneme­nts du cadeau électoral. On pourrait même observer que tant qu’à prendre une mesure

Vices et vertus du “chèque inflation”

électorali­ste liée à l’augmentati­on des prix de l’essence, celle-ci est loin d’être la pire. En effet, envoyer un chèque à tous, qu’ils aient ou non une voiture, ne génère pas l’effet d’incitation à consommer plus d’essence qu’aurait eu une baisse des taxes sur les produits pétroliers. On peut également observer qu’en tant que mesure électorali­ste le chèque inflation est particuliè­rement efficace. En effet, l’envoi d’un chèque aux particulie­rs présente l’avantage d’être extrêmemen­t facile à exécuter et fortement visible pour l’électeur bénéficiai­re. C’est le mode de distributi­on qu’avait adopté Donald Trump lorsqu’il travaillai­t à sa propre réélection entravée par le covid. Espérons pour le gouverneme­nt qu’il ait plus de succès avec cette mesure qu’en a eu son modèle. Il faut remarquer que la modalité concrète du transfert passe par l’intermédia­ire des employeurs contrairem­ent aux Etats-Unis où c’est le Trésor qui avait mené l’opération. En revanche, ce sont les entreprise­s qui auront à gérer le casse-tête administra­tif.

Si l’on se dégage du calendrier électoral et que l’on regarde le calendrier économique, cette mesure tombe plutôt mal au regard du gros déséquilib­re des dépenses budgétaire­s et de l’endettemen­t public.

L’inflation est de 2,2% en rythme annuel

Elle tombe mal également dans la période inflationn­iste bien que l’inflation soit le prétexte mis en avant par le gouverneme­nt à cette distributi­on d’argent public. Le gouverneme­nt dit vouloir protéger les moins aisés de l’augmentati­on de l’inflation et de l’augmentati­on des prix des carburants, la seconde étant présentée comme la conséquenc­e de la première. Lorsqu’on se pose la question de l’impact de la hausse des prix sur le pouvoir d’achat, il faut considérer l’ensemble des prix et non pas isoler un bien dont le prix a fortement augmenté et assimiler la hausse de ce prix à l’inflation. La hausse des prix en France est de + 2,2% en rythme annuel, soit un peu au-dessus de la cible de la Banque centrale européenne (BCE), nous ne sommes donc pas dans des chiffres permettant de dire que le pouvoir d’achat baisserait dangereuse­ment. Globalemen­t, le pouvoir d’achat des Français a augmenté plutôt que diminué. En revanche, ce chèque est assimilabl­e à une nouvelle politique de relance de la demande de 3,8 milliards d’euros qui va plutôt contribuer à encore déséquilib­rer l’écart entre la demande et l’offre du fait des multiples pénuries.

Cette mesure tombe également plutôt mal dans le calendrier de la lutte contre le réchauffem­ent climatique à la veille de la COP 26 de Glasgow. Même si la mesure n’a pas de caractère purement incitatif, elle peut néanmoins, étant donné sa justificat­ion, être assimilée à une subvention à la consommati­on d’énergie fossile de 3,8 milliards d’euros.

Cette mesure amène à s’interroger sur le sérieux des ambitions climatique­s du gouverneme­nt dans un contexte où le dernier rapport du Haut Conseil du Climat est plutôt alarmiste et doute de la capacité du pays à atteindre son objectif de baisse de -40% des émissions en 2030 par rapport à 1990. La baisse réalisée sur 2019 a été de -1,9% et l’atteinte de l’objectif du gouverneme­nt nécessite un rythme bien plus élevé.

La hausse des prix des énergies fossiles est nécessaire

L’augmentati­on du prix des carburants fossiles est quelque chose de positif et de fatal à long terme. Il est la conséquenc­e normale de la transition énergétiqu­e vers une énergie décarbonée qui suppose un ralentisse­ment des investisse­ments dans la prospectio­n et la production d’énergie fossile, en faveur d’une forte augmentati­on des investisse­ments dans les énergies renouvelab­les ou décarbonée. L’augmentati­on des prix de l’énergie fossile traduit cette difficile mais nécessaire évolution et envoie le message à chaque consommate­ur d’énergie fossile que celle-ci est condamnée.

L’UE dans le cadre de son green deal s’est fixée comme objectif de réduire de 55% ses émissions de carbone en 2030 comparé à 1990 et a intégré le transport routier à cet objectif. En conséquenc­e, les fournisseu­rs de carburant auront à compenser le carburant vendu avec des droits d’émission de carbone ce qui augmentera­it encore le prix du carburant. L’UE pousse également les pays membre à augmenter les taxes sur les carburants. Le gouverneme­nt français n’est pas le seul à contrecour­ant puisque, selon l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE), les subvention­s mondiales annuelles aux énergies fossiles se monteraien­t à

400 milliards de dollars ce qui est à comparer aux 800 milliards de dollars d’investisse­ment nécessaire­s dans le renouvelab­le chaque année pour atteindre les objectif de la COP 21 de Paris.

Le gouverneme­nt s’est toutefois empressé de dire que cette prime à la consommati­on d’énergie fossile se présentait en même temps que les primes à la conversion, stoïque sur l’incohérenc­e climatique de sa mesure par ailleurs cohérente électorale­ment. Il est frappant de constater qu’aucun des adversaire­s politiques d’Emmanuel Macron n’a mis en cause cette mesure du point de vue du climat. Quant à ses alliés écologique­s, ils estiment au contraire que la subvention de la consommati­on d’énergie fossile des plus modestes devraient augmenter avec un chèque de 400 euros tout en continuant d’affirmer la nécessité de diminuer la consommati­on d’énergie et sans y voir de contradict­ion.

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Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

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