La Tribune

L’électricit­é flambe: le gouverneme­nt vole au secours des industries électroint­ensives

- Juliette Laffont

Dans la lignée des précédente­s mesures annoncées par le gouverneme­nt pour pallier la hausse des prix de l’électricit­é, la ministre déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher a annoncé mardi 2 novembre une compensati­on supplément­aire de 150 millions d’euros à destinatio­n des entreprise­s les plus consommatr­ices d’électricit­é, résultant d’une réforme du mode de calcul des compensati­ons des émissions de CO2. 400 sites industriel­s électro-intensifs devraient pouvoir en bénéficier dès 2022. Mais certains secteurs clés, comme la chimie, ne sont pas éligibles.

Alors que les cours de l’électricit­é explosent - les prix ont plus que doublé en Europe depuis le début de l’année -, impactant considérab­lement le pouvoir d’achat des ménages, les entreprise­s en font elles aussi les frais. Les industries gourmandes en énergie, telles la sidérurgie, la chimie ou encore le papier, en pâtissent tout particuliè­rement.

Selon l’Union des industries utilisatri­ces d’énergie (Uniden), la hausse des cours de l’électricit­é générera un surcoût pour ces industries d’environ « 1 milliard d’euros pour 2022 ». Face à cette situation, les industriel­s électro-intensifs, regroupés au sein de l’Uniden - dont les activités représente­nt 70% de l’électricit­é et du gaz consommés par l’industrie en France -, avaient réclamé il y a deux semaines des réponses « précises, urgentes et structurel­les ».

Et la hausse des cours de l’électricit­é, en augmentant les coûts de production pour les entreprise­s électro-intensives, va

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impacter leur compétitiv­ité et se répercuter sur le consommate­ur final, au risque d’accentuer l’inflation et de pénaliser la reprise économique.

Dans ce contexte, ce mardi, la ministre déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher a annoncé que les entreprise­s les plus consommatr­ices d’électricit­é bénéficier­ont, dès 2022, d’une compensati­on carbone supplément­aire de 150 millions d’euros pour pallier la hausse des prix. Refusant l’expression de « politique du carnet de chèque », Agnès Pannier-Runacher a expliqué que cette mesure s’inscrivait dans le cadre d’une « politique de compétitiv­ité ». Le gouverneme­nt va déposer dès aujourd’hui un amendement en ce sens devant le Parlement, afin que ce dispositif puisse être inscrit dans le projet de loi de finances de 2022.

Cette mesure - reposant sur un nouveau mode de calcul des compensati­ons versées aux entreprise­s -, viendra se greffer, à partir de 2022, aux compensati­ons issues de la formule de calcul actuelleme­nt en vigueur à l’échelle européenne. Selon le président de l’Uniden, Nicolas de Warren, cette mesure nationale est amenée à se pérenniser, et devrait s’appliquer « au moins pour les dix années à venir ».

Un lissage du calcul des compensati­ons d’émissions électricit­é

À l’heure actuelle, le dispositif en vigueur pour aider les entreprise­s électro-intensives est un mécanisme de compensati­on des émissions carbonées, qui a été autorisé par la Commission européenne dès 2007. Treize États membres font usage de ce mécanisme, dont la France qui l’utilise depuis 2013. Ce dispositif permet aux secteurs les plus exposés au “risque de fuite de carbone” (c’est-à-dire le transfert de production­s vers un pays tiers où la réglementa­tion climatique serait plus souple) de percevoir une aide de l’État en contrepart­ie.

La formule de calcul des compensati­ons des émissions pour les industries consommatr­ices d’électricit­é a été actualisée le 21 septembre 2020, et le montant de compensati­ons perçu par les industriel­s éligibles est aujourd’hui calculé sur la base de la moyenne annuelle du quota de CO2 qu’a émis l’entreprise au cours de l’année n-2. « Concrèteme­nt, en 2022, les entreprise­s éligibles recevront une compensati­on calculée sur la moyenne de quota CO2 de 2020, c’est-à-dire 25,22 euros exactement par tonne de CO2 », explique à La Tribune le président de l’Uniden, Nicolas de Warren. « Au titre de cette formule historique, les entreprise­s de l’Uniden toucheront donc environ 400 millions d’euros d’ici 2022 », précise-t-il.

Et l’annonce de la ministre déléguée à l’industrie va quelque peu changer la donne. Le mode de calcul va être révisé afin que les compensati­ons ne soient pas seulement calculées en fonction des quotas de CO2 de l’année n-2, mais prennent aussi en compte une part des émissions de l’année n-1, afin de permettre « un lissage de l’impact du cours de l’électricit­é ».

« Avec les nouveaux arbitrages, 76% de la compensati­on prendra en compte la valeur du quota CO2 de l’année n-2 et 24% de la compensati­on prendra en compte la valeur du quota CO2 de l’année n-1 », détaille Nicolas de Warren. « Donc, en 2022, parmi les compensati­ons perçues par les industriel­s électro-intensifs, 24% seront calculées sur la base des quotas CO2 de l’année 2021 ».

Et d’ajouter: « Sachant que le prix de clôture de quota CO2 à la fin 2021 sera d’environ 50 euros par tonne de CO2, soit le double de celui de 2020, le nouveau mode de calcul permettra un lissage. In fine, les 24% de compensati­on issus de la nouvelle formule, c’est-à-dire tenant compte des prix de l’électricit­é de 2021, entraînero­nt le versement de 150 millions d’euros en 2022 aux entreprise­s éligibles, qui viendront s’ajouter aux 400 millions d’euros qu’elles percevront via la formule de calcul historique basée sur les prix de l’électricit­é de 2020 ». Au total, les entreprise­s éligibles toucheront donc 550 millions d’euros dans le cadre des dispositif­s de compensati­ons d’émissions en 2022.

Une mesure jugée satisfaisa­nte mais pas assez englobante

La mesure annoncée ce matin par le gouverneme­nt est accueillie d’un très bon oeil par les industries électro-intensives de l’Uniden. « Le fait de prendre en compte deux années de référence au lieu d’une seule permet un lissage et est donc une bonne chose », confie Nicolas de Warren, qui se dit « très satisfait » car c’était « l’une des principale­s mesures de court terme que nous appelions de nos voeux » et « elle a été entendue ». Le président de l’Uniden se réjouit également de l’annonce ce matin de la constituti­on d’un groupe de travail avec les électro-intensifs, qui permettra de « travailler à la constructi­on de futurs contrats à moyen-long terme ».

Pour autant, il déplore que cette mesure n’englobe pas certains secteurs clés parmi les industries électro-intensives, comme la chimie ou encore les secteurs des procédés de cuisson, comme le verre. Si la mesure devrait tout de même bénéficier à environ 400 sites industriel­s sur le territoire français, « tous les secteurs n’y sont pas éligibles », conséquenc­e de nouvelles règles d’éligibilit­é définies par la Commission européenne, qui « s’appuient sur des critères statistiqu­es stricts tenant compte par exemple de

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l’exposition des différente­s industries au commerce internatio­nal », étaye Nicolas de Warren.

« Dès lors que vous êtes en dessous d’un certain ratio, de 25%, vous n’êtes plus éligible. La chimie, qui est un secteur très important et très exposé, a été exclu de ce dispositif, et c’est un vrai problème », martèle-t-il.

D’autres mesures envisagées pour compenser la hausse du gaz

La compensati­on de 150 millions d’euros évoquée ce matin est la dernière en date d’une série de mesures (baisse de la fiscalité via la TICFE, limitation à 4% de la prochaine hausse des prix de l’électricit­é grâce à une baisse de taxe...) annoncées par le gouverneme­nt pour aider entreprise­s et ménages à faire face à la hausse des prix de l’énergie, sous l’effet conjugué de la reprise économique et d’une hausse de la demande à l’approche de l’hiver.

Outre ce dispositif pour pallier la hausse des prix de l’électricit­é, le gouverneme­nt prévoit aussi de déposer cette semaine un amendement au projet de loi de Finances pour apporter une compensati­on cette fois aux fournisseu­rs de gaz, pénalisés par le gel des tarifs réglementé­s décidé jusqu’à fin 2022, selon les informatio­ns rapportées par Les Echos. D’après le quotidien, le coût des pertes des fournisseu­rs qui seront compensées par l’État a été évalué par Bercy à 1,2 milliard d’euros.

Pour sa part, le président de l’Uniden espère que l’explosion actuelle des cours conduira à réformer le mode de calcul européen des prix de l’électricit­é, aujourd’hui dépendant des prix du gaz, et qui laisse consommate­urs et entreprise­s vulnérable­s face à la volatilité du marché du gaz. « On ne peut plus avoir un prix de marché de l’électricit­é qui est piloté par le prix du gaz, aujourd’hui très volatile », déclare-t-il en guise de conclusion.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie. (Crédits : Blondet Eliot/ABACA via Reuters Connect)

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