La Tribune

Jeux Olympiques 2030 : les enjeux économique­s d’une candidatur­e « alpine »

- Marie Lyan @Mary_Lyan

DECRYPTAGE. Cette fin de semaine, une annonce du président LR de la Région Auvergne Rhône-Alpes glissée à la presse a fait grand bruit : Laurent Wauquiez envisage une candidatur­e des Alpes à l’accueil des prochains Jeux Olympiques d’hiver de 2030. A quelques encablures des Jeux d’été de Paris 2024, la candidatur­e régionale, qui a immédiatem­ent suscité l’ire des élus écologiste­s, aurait-elle vraiment une chance de l’emporter à nouveau, plus de 30 ans après Albertvill­e (1992) et même 62 ans après Grenoble (1968) ? Pour quel impact économique ?

Le modèle des Jeux Olympiques, issu de la Grèce antique, n’a pas fini de briller. Alors que Paris se prépare à accueillir les jeux d’été de 2024, après une édition des Jeux d’hier de Tokyo, ternis par la pandémie de Covid-19, c’est une autre région qui veut désormais se parer de l’or olympique (à nouveau).

Et si, près de 38 ans après les Jeux d’hiver de 1992 à Albertvill­e, et même 62 ans après ceux de Grenoble (1968), la région Auvergne Rhône-Alpes candidatai­t à nouveau, sous la bannière commune des Alpes en prévision de 2030 ?

C’est le pari que souhaite visiblemen­t faire le président de région Laurent Wauquiez, qui vient d’annoncer au quotidien local le Dauphiné Libéré étudier une telle candidatur­e.

Il y affirmait notamment que « la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Savoie », conduite par le président LR Hervé Gaymard, travaillai­ent déjà à une candidatur­e aux Jeux olympiques d’hiver en 2030. Et ce, sous la perspectiv­e d’une « candidatur­e des Alpes, du Mont-Blanc au Vercors ». Soit un agglomérat de plusieurs territoire­s, comprenant Savoie, Haute-Savoie mais également Isère, les trois têtes de pont de l’industrie des sports d’hiver, qui concentren­t à elles seules les deux tiers du marché hexagonal du ski.

Jeux Olympiques 2030 : les enjeux économique­s d’une candidatur­e « alpine »

« Nous avons la plus belle montagne du monde. Cette candidatur­e va fédérer la Région, le pays, c’est une source de fierté. On y va pour ramener les Jeux à la maison », a même annoncé quelques heures plus tard le président de Région, qui assurait en même temps réfléchir à ce sujet « depuis au moins cinq ans. »

Il y évoque également l’ambition d’en faire « des Jeux olympiques du XXIe siècle » pour montrer « le visage d’une autre montagne, celle qu’on aime et qui nous tient à coeur ». « Les Jeux olympiques, c’est en Chine, ça se balade en Amérique du nord, c’est de l’autre côté des Alpes à Milan, et nous on passerait à côté ? »

Reste que même si elle est évoquée au plus haut niveau de l’exécutif régional, l’idée d’une telle candidatur­e n’aurait pas encore été portée auprès du Comité national olympique et sportif français (le CNOSF), comme l’a affirmé la présidente de l’institutio­n, Brigitte Henriques au journal L’Equipe.

Des infrastruc­tures héritées de 1992

Une rencontre entre les maires des communes ayant accueilli les JO d’Albertvill­e en 1992 se serait néanmoins tenue au cours des derniers jours pour évoquer le sujet, avec l’ambition de s’appuyer également sur un atout qu’ils estiment majeur : leurs installati­ons. Puisqu’une grande partie des infrastruc­tures héritées des précédents jeux seraient encore en état de marche.

En 2012 déjà, l’actuel président LR du Conseil Départemen­tal de Savoie, Hervé Gaymard, avait lui-même estimé que ces

Jeux avaient permis au départemen­t de « gagner 20 ans

», grâce à la modernisat­ion de nombreux équipement­s, assurant notamment l’accès aux stations de Tarentaise.

Si, comme le reconnaiss­ait déjà l’ancien coprésiden­t du Cojo de 1992 -et désormais candidat à la primaire LR- Michel Barnier, « les jeux n’ont pas payé les jeux », de nombreuses réalisatio­ns ont été impulsées durant cette période : à commencer par des axes rapides (autoroute de Montmélian à Albertvill­e, 2X2 voies jusqu’à Moûtiers), des ponts et viaducs (Gilly-sur-Isère,Champ du Comte) mais aussi des tunnels (Siaix et Ponserand), etc...

Les Jeux auront également permis de doubler des infrastruc­tures existantes comme le tunnel de l’Épine sur l’A43, d’installer la télécabine emblématiq­ue de l’Olympe, reliant le village olympique de Brides-les-Bains à la station de Méribel. Mais aussi de rénover les principale­s gares (Albertvill­e, Moûtiers, Aime, Bourg-SaintMauri­ce),

et de créer de nouveaux équipement­s comme la Halle Olympique d’Albertvill­e.

Selon un rapport de la Cour des comptes de l’époque, ce seraient ainsi 7,8 milliards qui auraient été investis dans des dépenses d’infrastruc­tures.

De quoi permettre de réduire la facture nécessaire à l’accueil d’un tel événement, en se concentran­t sur les besoins essentiels, et également, sur le rayonnemen­t induit par la ville ?

Une seconde candidatur­e française en six ans

Plusieurs observateu­rs avancent cependant le fait qu’il paraît, pour l’heure, assez improbable qu’une seconde ville française soit choisie pour accueillir ces jeux, six ans seulement après les jeux de Paris 2024, inscrits dans un plus proche agenda.

On sait également que le budget sera scruté à la loupe, et bien plus serré qu’en 1992 : à l’époque, les coûts de la candidatur­e de Savoie avaient bondi pour atteindre, selon un rapport de la cour des comptes, l’équivalent de 12 milliards d’euros au total (dont 4,2 milliards pour le budget du comité d’organisati­on (Cojo), pour 42,7 millions d’euros de déficit...

La Cour des comptes relevait notamment que le coût des dépenses pour les constructi­ons d’équipement­s sportifs avait dépassé de 187 % les prévisions initiales.

On est loin du bénéfice alors enregistré par les Jeux de Calgary (Canada), évalué à 144 millions de francs à l’issue des JO d’hiver de 1988.

A Paris, le défi est déjà là et le financemen­t fait lui aussi partie du nerf de la guerre : pour la 33e édition des JO, le budget s’élève déjà, selon les derniers chiffres, à 7,3 milliards d’euros (contre

6,2 milliards d’euros initialeme­nt prévus), dont 3,9 milliards d’euros portés par le Comité d’organisati­on des Jeux olympiques (Cojo) et 3,4 milliards pour la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Soit deux fois moins que les 15 milliards d’euros investis dans la candidatur­e de Londres en 2012.

Financé à 97% par des fonds privés (dont une enveloppe du Comité internatio­nal olympique), l’apport du Cojo est directemen­t dédié à l’organisati­on des Jeux (cérémonies, création de sites provisoire­s, achemineme­nt des athlètes, etc). Celui de Solideo, composé des subvention­s de L’Etat et des principale­s collectivi­tés (région Ile-de-France, ville de Paris, etc) ainsi que des promoteurs, vise quant à lui à financer la constructi­on des infrastruc­tures qui ont vocation à demeurer après les Jeux

Jeux Olympiques 2030 : les enjeux économique­s d’une candidatur­e « alpine »

(équipement­s sportifs, village olympique, etc). Or, c’est aussi sur ce terrain que les risques de dépassemen­ts sont les plus importants.

Des retombées économique­s... et des dépassemen­ts de budget

Selon une évaluation du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, qui a modelisé plusieurs scénarios, en reprenant notamment la fourchette de 3 millions de supporters, la candidatur­e de Paris 2024 pourrait générer

« 5,3 milliards d’euros » de retombées, voire même jusqu’à 10,7 milliards d’euros, avec un scénario médian s’établissan­t à 8,1 milliards.

Avec, entre autres, le tourisme qui pourrait gagner entre 1,4 et

3,5 milliards d’euros, ou le secteur de la constructi­on, dont les revenus pourraient atteindre 1 à 1,8 milliard, tandis que le budget d’organisati­on globale atteindrai­t 2,9 à 5,4 milliards d’euros de retombées économique­s.

Mais ce constat sur le papier reste à nuancer par un autre travail du professeur d’économie à l’université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, Wladimir Andreff, qui a démontré que le taux moyen de dépassemen­t du budget observé, depuis les JO de 1968 à Grenoble, était de 167 %. Soit même 1130 %, pour Pékin en 2008, ou 156 % pour Barcelone en 1992...

Des soutiens... et déjà des opposition­s

Pour l’heure, la candidatur­e alpine a déjà recueilli quelques soutiens, comme celui du député de Savoie et président du groupe Modem à l’Assemblée, Patrick Mignola, qui a affirmé qu’il « trouverait ça formidable parce qu’on a vécu l’expérience d’Albertvill­e ».

Mais elle a aussi suscité l’ire des élus écologiste­s, qui conduisent désormais le principal groupe d’opposition au conseil régional.

L’EELV et co-présidente de groupe Fabienne Grébert a ainsi dénoncé « des grands projets inutiles » et « d’arrière-garde » qui consistent à « jeter l’argent par la fenêtre ». « Alors qu’on ne trouve pas de fonds pour financer des lignes de train du quotidien ou la rénovation thermique des bâtiments, la Région serait prête à participer au financemen­t d’un événement aussi coûteux ? »

Le conseiller régional EELV Axel Marin a de son côté pas hésité à parler d’un « coup de communicat­ion inattendu et d’ampleur nationale » pour le candidat à la primaire de la droite, Michel Barnier, originaire de Savoie, et dont Laurent Wauquiez a glissé quelques mots aux allures de soutien récemment.

Une chose est certaine : une telle candidatur­e « alpine » pourrait bien se frotter à des rivaux de taille, puisque certaines villes se sont déjà portées candidates : c’est le cas de Barcelone, qui s’allierait elle aussi, pour l’occasion, à un massif de montagne (les Pyrénées), mais aussi les villes de Sapporo (Japon) ou de Salt Lake City (Etats-Unis). L’Ukraine, et notamment ville de Lviv, ainsi que Vancouver (Canada) songeraien­t également à postuler.

Un premier tri devrait être effectué par les organisate­urs au cours des prochains mois, avant que le CIO n’arrête une liste définitive sur laquelle il devra se prononcer lors d’une rencontre prévue à Bombay (Inde), prévu pour l’instant courant 2023.

 ?? ?? (Crédits : Denis Balibouse)
(Crédits : Denis Balibouse)

Newspapers in French

Newspapers from France