La Tribune

Exploitati­on minière en France : ne répétons pas les erreurs de l’Ancien Régime

- Didier Julienne

CHRONIQUE. La décarbonat­ion de l’économie de la France va rendre de plus en plus dépendante son industrie à l’égard des pays producteur­s de métaux. Pourtant, le potentiel minier du pays est réel, et son exploitati­on raisonnée peut renforcer son indépendan­ce et sa souveraine­té, comme surent le faire les révolution­naires de 1789 en créant un corps des Mines. Par Didier Julienne, Président de Commoditie­s & Resources (*).

Perte de souveraine­té, dépendance vis-à-vis de métaux en provenance d’autres nations, désindustr­ialisation. Ces mots ne sont pas les éléments de langage français ou européen post covid-19 vis-à-vis de l’Asie, notamment de la Chine.

Ces mots sont révolution­naires, ils sont ceux des législateu­rs de la Révolution française. Avant l’apparition de Napoléon et son code minier de 1810, 20 ans plus tôt, dès 1790, ils firent le diagnostic suivant: « Si vous abandonnie­z l’exploitati­on des mines (...), vous mettriez plus que jamais l’Empire français sous la dépendance des étrangers pour les métaux de première nécessité (...), les métaux augmentera­ient de valeur, les manufactur­es languiraie­nt, notre industrie serait détruite, notre numéraire passerait chez nos voisins (pour payer nos importatio­ns). Les mines (...) doivent rester à la dispositio­n de la nation ». Leur objectif fut de réorganise­r l’activité minière dans le but de préserver et développer en aval l’industrie.

L’erreur de Dagobert

Pourquoi un tel diagnostic en 1789 ? Parce qu’avec l’accord par Dagobert en 635 d’une redevance en plomb à l’abbaye de Saint-Denis jusqu’à 1789, l’ancien régime fut une succession de quatre cycles miniers désastreux.

Au début, la mine française connut une période de liberté sans limites, à peine affectée en 1548 par le paiement de royalties en contrepart­ie d’une protection royale d’ouvriers menacés par

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les propriétai­res des terrains excavés. Cette première phase se termina par des mines dévastées plutôt qu’exploitées.

Ensuite, sous Henri II, la nomination d’un Surintenda­nt royal des mines tenta de réguler les excès de cette liberté sous la forme de taxes, mais ce privilège exclusif se solda par un despotisme économique aux résultats, là encore, désastreux.

La troisième phase, sous Henri IV, vit paraître le régime de concession administra­tive sous l’autorité d’un Grand Maître des Mines. L’innovation ne fit pas l’unanimité.

Puis le quatrième cycle jusqu’en 1789 alterna de manière brouillonn­e les trois régimes de liberté sans limites, du privilège exclusif du surintenda­nt puis de la concession administra­tive.

Si bien qu’avant la révolution, la mine avait accumulé de nombreux désavantag­es : inorganisa­tion de l’État, prévaricat­ion, lacunes de méthodes et de connaissan­ces minières. De son côté, le droit minier était un mélange stérile où s’entrelaçai­ent le propriétai­re du foncier, le propriétai­re premier exploitant du gisement ou le propriétai­re concession­naire. L’ensemble provoqua « une grande négligence dans la recherche des mines, une exploitati­on mal dirigée, une concurrenc­e et des divisions entre les propriétai­res, qui jointes au défaut de facultés et connaissan­ces ont occasionné d’abord la dévastatio­n des mines entreprise­s, et ensuite leur abandon total ».

En outre, la non-industrial­isation avait fondé des fortunes colossales au dépens de la nation, de la même manière qu’à notre époque la désindustr­ialisation aura enrichi à outrance.

Trois principes

Les révolution­naires conclurent que l’intérêt général national devait être guidé par l’exploitati­on minière dirigée par l’État à l’aide de trois principes : « Nul ne peut s’opposer à l’intérêt général ; l’intérêt général exige que toutes les richesses du pays soient mises en valeur ; nul particulie­r ne peut être propriétai­re d’un sous-sol dont l’exploitati­on lui est impossible et dont l’exploitati­on est nécessaire à l’intérêt général ». Ils organisère­nt la mine à l’aide du régime des concession­s et d’un corps des mines qui apportât méthodes et connaissan­ces, ils différenci­èrent le droit du sol et celui du sous-sol et s’appuyèrent sur un service d’ingénieurs des mines compétents. Résultat, ce fut le point de départ de l’expansion industriel­le française du 19e et du 20e siècle.

Des parallèles temporels sont évidents entre ce passé français d’une liberté minière sans limites avec les ruées vers l’or dans l’Ouest américain ou bien lorsqu’une exclusivit­é est offerte à un surintenda­nt contempora­in, par exemple des sociétés minières étatiques.

Autre concordanc­e des temps entre l’appel au nationalis­me des ressources de 1789 et certains pays producteur­s contempora­ins. Ainsi, l’Indonésie copie l’intérêt général de 1789 lorsqu’elle renforce depuis 2014 sa doctrine minière en exigeant une transforma­tion locale de ses matières premières : huile de palme en produits agroalimen­taires, bauxite en aluminium, nickel et cobalt en batteries pour véhicules électrique­s.

Pourquoi parler de souveraine­té décarbonée?

À l’inverse, la mine française est immobile depuis 40 ans. Pourquoi les principes de 1789 n’y fonctionne­nt-ils plus ? Si la mise en valeur de la richesse du sous-sol français n’est plus d’intérêt général, pourquoi parlons-nous si souvent de souveraine­té décarbonée ?

L’intérêt général de 1789 n’est plus celui de 2021 ? Il y a 232 ans, c’était la propriété du sous-sol, et elle freinait la production de métaux. Aujourd’hui, c’est la décarbonat­ion. Elle est l’intérêt général, car accélère la demande de métaux pour la transition énergétiqu­e, la production d’électricit­é, son transport, son stockage et sa consommati­on. Dans les deux cas, en 1789 comme en 2021, les mines sont en première ligne pour répondre à l’intérêt général.

Mais de nos jours, n’y a-t-il pas une opposition, une contradict­ion entre cet intérêt général et l’opinion publique ? Celle-ci est sous l’influence de stratégies du doute, anti-mine et anti-métaux, créées par les fake-news, notamment celle des « métaux rares », et promeut la stratégie de la ré-industrial­isation par assemblage. C’est-à-dire décarboner en ne minant pas dans notre sol pour protéger notre environnem­ent, mais laisser d’autres pays le faire, puis assembler des produits finis chez nous.

Cette stratégie est largement en marche. Regardons les difficulté­s d’ouverture de mines de lithium en Espagne, en Serbie ou l’échec de la réouvertur­e de la mine de tungstène de Salau en Ariège. Constatons que les population­s souhaitent certes une vie décarbonée non par une source de métaux proches de chez eux, mais lointaine et avec une première transforma­tion outre-mer grâce à l’énergie de ces pays qui, même si elle peut être parfois décarbonée, est en crise en 2021 et provoque une inflation des prix des métaux de 50 % à 150 %.

Prenons le sujet des batteries de la voiture électrique : des métaux lointainem­ent transformé­s au pied de mines, par

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exemple en Indonésie, et ensuite assemblés dans des usines asiatiques établies en Europe. Malgré des astuces fiscales ou réglementa­ires, telles qu’ériger des barrières carbone aux frontières de l’Europe, une diplomatie inventive, des partenaria­ts, etc., nous sommes, sans nouvelles mines européenne­s dédiées, en double dépendance de métaux de l’étranger d’une part et d’usines asiatiques en Europe d’autre part.

Victimes de la consommati­on compétitiv­e

De plus, outre rater l’objectif de décarbonat­ion, nous ne serons plus souverains, puisque victimes de la consommati­on compétitiv­e. C’est-à-dire qu’en cas de compétitio­n entre différente­s industries consommatr­ices, le producteur privilégie­ra toujours l’utilisateu­r le plus proche de ses propres objectifs stratégiqu­es : son industrie nationale au détriment des exportatio­ns. Ainsi, la panne électrique géante chinoise de l’été dernier jusqu’au printemps prochain renchérit les prix des métaux, une consommati­on compétitiv­e se met en marche. Les prix augmentent parce que la production métallurgi­que chinoise baissant, elle est réservée à la consommati­on chinoise. Si le consommate­ur continue de privilégie­r les coûts à la souveraine­té, nos voitures électrique­s seront fabriquées en Asie. C’est d’ailleurs déjà le cas.

Sans la mine, décarboner par la ré-industrial­isation d’assemblage provoque des ravages industriel­s et sociaux dans les secteurs de la santé, des semi-conducteur­s et demain dans l’automobile.

Notre stratégie est donc identique à celle de l’Ancien Régime parce qu’elle ne respecte pas l’intérêt général décarboné. Répétons le constat d’échec de 1790 : sans mines « vous mettriez plus que jamais l’Empire français sous la dépendance des étrangers pour les métaux de première nécessité (...), les métaux augmentera­ient de valeur, les manufactur­es languiraie­nt, notre industrie serait détruite, notre numéraire passerait chez nos voisins (pour payer nos importatio­ns). »

Dernier drame, si la mine est définitive­ment interdite en France, que deviendron­t nos géologues, nos ingénieurs, leurs écoles et les entreprise­s métallurgi­ques qui les attendent ? Feront-ils toujours partie de l’intérêt général décarboné, ou bien au contraire sont-ils déjà tous d’accord pour disparaîtr­e ?

Tout comme les hommes de 1789 visaient souveraine­té et industrial­isation, le diagnostic de 2021 fait face à nos réalités minières hexagonale­s et aux présidenti­elles de 2022. Le moment est donc intéressan­t pour fixer quatre objectifs.

Commencer par réparer

Première réalité, reconnaiss­ons que dans les esprits, la mine en France, c’est Salsigne, elle fait peur. Replacer la mine au centre de l’intérêt général et de l’industrie c’est commencer par réparer : faisons nos preuves, nettoyons tous les Salsigne de l’Hexagone. Nous en avons les compétence­s et, dans le cadre de l’économie circulaire, ces opérations seront rentables.

Ensuite, puisque l’intérêt général décarboné des pays producteur­s privilégie un nationalis­me des ressources indispensa­ble à leur industrial­isation, moins de métaux seront disponible­s pour les pays consommate­urs. La conclusion est logique, nous devons augmenter chez nous la disponibil­ité des métaux par de nouvelles mines souterrain­es, l’écoconcept­ion et le recyclage.

Troisièmem­ent, la mine souterrain­e n’est plus celle de Zola, les anciennes méthodes ont blessé, mais les critères environnem­entaux miniers modernes sont compatible­s avec notre territoire densément peuplé. Inversemen­t, c’est au titre de cette crédibilit­é que nous devons exclure la folie des mines sous-marines, car leur impact sur la biodiversi­té est encore inconnu, non maîtrisé et donc incompatib­le avec nos nouvelles normes d’exploitati­on responsabl­e.

Enfin, les nouveaux plans d’exploratio­n et de production qui replaceron­t la mine au centre de l’intérêt général de décarbonat­ion doivent sélectionn­er les métaux réellement utiles et laisser les autres sous terre. C’est-à-dire que nous avons moins besoin de l’or de la Guyane, mais plus du tungstène des Pyrénées ou du Tarn, mais également plus de cuivre, plus de bauxite, plus de titane ou de lithium. Tous sont répertorié­s dans le sous-sol hexagonal si peu exploré, et ils seront peut-être utiles aux nouvelles chimies des batteries, dont celle à électrolyt­e solide.

En conclusion, si les législateu­rs de 1789 nous visitaient aujourd’hui, ils approuvera­ient la concordanc­e entre leur diagnostic et celui que je viens de vous livrer. En revanche, temporaire­ment éblouis par nos connaissan­ces et nos compétence­s qu’ils n’avaient pas, ils seraient désenchant­és que leur envie et leur volonté se soient chez nous évanouies.

C’est le plus important, retrouvons cette envie et cette volonté, l’histoire n’est pas terminée, ne renonçons pas.

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problémati­ques industriel­les et géopolitiq­ues liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

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Le présent texte est celui prononcé pour la conférence d’ouverture de la 27e réunion des sciences de la Terre qui s’ouvre à Lyon ce mardi 2 novembre.

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Didier Julienne. (Crédits : Patrick FITZ / M&B)

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