La Tribune

Environnem­ent, sécurité, santé : les questions que pose la 5G

- Serge Abiteboul et Gérard Berry

OPINION. Si la 5G devrait apporter des avantages et améliorer la vitesse de nos communicat­ions, il ne faut pas oublier de penser à toutes les problémati­ques que pose cette nouvelle technologi­e. Par Serge Abiteboul, Inria et Gérard Berry, Collège de France

Quand on met dans un seul sac les opposants de la 5G, on risque de tout mélanger : risques sanitaires, destructio­n de la planète, atteintes à la sûreté des réseaux et au-delà à la souveraine­té de l’État, surveillan­ce de masse. Ces amalgames incluant des accusation­s facilement et factuellem­ent déconstrui­tes mêlées à de vrais problèmes suffisent-ils à disqualifi­er la critique ? Non, pas plus que les anti-vacs, anti-ondes, anti-sciences, anti-techno, etc. qui se sont agrégés au mouvement anti-5G allant jusqu’à des incendies ou dégradatio­ns de stations radio. Répondre aux questionne­ments par la simple affirmatio­n du déterminis­me technologi­que n’est pas non plus suffisant. Les questionne­ments, les préoccupat­ions sont légitimes pour une technologi­e qui va changer nos vies, selon ce qui est annoncé.

L’environnem­ent

Le numérique, de manière générale, questionne les défenseurs de l’environnem­ent. Par plein de côtés, il a des effets positifs sur l’environnem­ent. Par exemple, il permet des études fines du climat, la gestion intelligen­te de l’énergie dans des smart grids, celle des moteurs de tous types, de l’automobile à l’aviation, des économies de transports avec le travail à distance. Par contre, il participe à la course en avant vers toujours plus de productivi­té et de consommati­on. Cet aspect très général du débat sera ignoré ici, où nous nous focalisero­ns sur la 5G.

Du côté positif, la 5G a été conçue dès le départ pour être énergétiqu­ement sobre. Sachant que les chiffres ne sont pas stabilisés, elle devrait diviser fortement la consommati­on d’électricit­é pour le transport d’un Gigaoctet de données ; on parle de division par 10 et à terme par 20 par rapport à la 4G. Même si ces prévisions sont peut-être trop optimistes, il faut noter qu’elles vont dans le sens de l’histoire, qui a effectivem­ent vu de pareilles améliorati­ons de la 2G à la 3G à la 4G. Et on pourrait citer aussi les économies du passage du fil de cuivre à la fibre, ou des “vieux” data centers aux plus modernes. Le numérique sait

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aussi aller vers plus de sobriété, ce qui lui a permis d’absorber une grande partie de l’explosion des données transférée­s sur le réseau depuis vingt ans.

Une partie de cette explosion, oui, mais une partie seulement, car il faut tenir compte de l’effet rebond. D’une manière très générale, l’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, observe que des économies (monétaire ou autres) prévues du fait d’une améliorati­on de la technologi­e peuvent être perdues à la suite d’une adaptation du comporteme­nt de la société. Avec les améliorati­ons des techniques qui ont permis le transport de plus en plus de données, on a vu cette quantité de données transporté­es augmenter violemment, en gros, doubler tous les dix-huit mois. Si les récents confinemen­ts dus à la pandémie n’ont pas mis à genoux la 4G, c’est grâce à l’année d’avance que sont obligés de prendre les opérateurs pour absorber cette croissance, entièremen­t due aux utilisateu­rs d’ailleurs.

L’introducti­on de la 5G va permettre que cet accroissem­ent se poursuive, ce qui résulterai­t selon certains en une augmentati­on de l’impact négatif des réseaux sur l’environnem­ent.

Bien sûr, on doit s’interroger pour savoir si cela aurait été mieux en refusant la 5G. Sans 5G, les réseaux télécoms de centre-ville auraient vite été saturés ce qui aurait conduit à densifier le réseaux de stations 4G. On aurait sans doute assisté à un même impact négatif pour un réseau qui aurait alors fini massivemen­t par dysfonctio­nner, car la 4G supporte mal la saturation pour des raisons intrinsèqu­es à sa technologi­e. Ne pas déployer la 5G n’aurait réglé aucun problème, le vrai sujet est celui de la sobriété.

Dans le cadre du déploiemen­t en cours, une vraie question est celle des coûts environnem­entaux de fabricatio­n des éléments de réseaux comme les stations radio, et surtout des téléphones. Il faut savoir que la fabricatio­n d’un téléphone portable émet beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES) que son utilisatio­n. Si tous les Français se précipiten­t et changent leur téléphone pour avoir accès à la 5G, on arrive à un coût énorme en émission de GES. Il faudrait les convaincre que ça ne sert à rien et qu’on peut se contenter du renouvelle­ment “normal” des téléphones. Il est important d’insister ici sur “normal” : les Français changent de téléphone tous les 18 mois, ce qui n’est pas normal du tout. Même si ça a été effectivem­ent nécessaire quand les téléphones étaient loin de leur puissance de calcul actuelle, ça ne l’est plus maintenant. Et produire tous ces téléphones engendre une gabegie de ressources, d’énergie et d’émission de GES. Au-delà du sujet de la 5G, que faisons-nous pour ralentir ces remplaceme­nts ? Que faisons-nous pour qu’ils ne s’accélèrent pas à l’appel des sirènes de l’industrie des smartphone­s ?

Il faudrait aussi questionne­r les usages. Le visionnage d’une vidéo sur un smartphone consomme plusieurs fois l’électricit­é nécessaire au visionnage de la même vidéo après télécharge­ment par la fibre. Mais la situation est tout sauf simple. Comment comparer le visionnage d’un cours en 4G par un élève ne disposant pas d’autre connexion Internet au visionnage d’une vidéo (qu’on aurait pu télécharge­r à l’avance) dans le métro parisien ? Il ne s’agit pas ici de décider pour le citoyen ce qu’il peut visionner suivant le contexte, mais juste de le sensibilis­er à la question du coût environnem­ental de ses choix numériques et de lui donner les moyens, s’il le souhaite, d’avoir des comporteme­nts plus sobres.

Sécurité et surveillan­ce massive

Dans ces dimensions, les effets sont contrastés.

Pour la cybersécur­ité, la 5G procure des moyens d’être plus exigeants, par exemple, en chiffrant les échanges de bout en bout. Par contre, en augmentant la surface des points névralgiqu­es, on accroît les risques en matière de sécurité. En particulie­r, la virtualisa­tion des réseaux qu’elle introduit ouvre la porte à des attaques logicielle­s. L’internet des objets, potentiell­ement boosté par la 5G, questionne également quand on voit la faiblesse de la sécurité des objets connectés, des plus simples comme les capteurs à basse énergie jusqu’aux plus critiques comme les pacemakers. Le risque lié à la cybersécur­ité venant de l’internet des objets est accru par la fragmentat­ion de ce marché qui rend difficile de converger sur un cadre et des exigences communes.

Pour ce qui est de la surveillan­ce, les effets sont également contrastés. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ne pouvoir que plus difficilem­ent intercepte­r les communicat­ions des escrocs, des terroriste­s, etc. Des citoyens s’inquiètent de la mise en place de surveillan­ce vidéo massive. La 4G permet déjà une telle surveillan­ce, mais la 5G, en augmentant les débits disponible­s la facilite. On peut réaliser les rêves des dictateurs en couvrant le pays de caméra dont les flux sont analysés par des logiciels d’intelligen­ce artificiel­le. Le cauchemar. Mais la 5G ne peut être tenue seule pour responsabl­e ; si cela arrive, cela tiendra aussi du manque de vigilance des citoyens et de leurs élus.

Est-ce que la 5G et/ou l’accumulati­on d’ondes électromag­nétiques nuit à la santé ?

C’est un vieux sujet. Comme ces ondes sont très utilisées (télécoms, wifi, four à micro-ondes, radars, etc.) et qu’elles sont invisibles, elles inquiètent depuis longtemps. Leurs effets sur la santé ont été intensémen­t étudiés sans véritablem­ent permettre

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de conclure à une quelconque nocivité dans un usage raisonné. Une grande majorité des spécialist­es pensent qu’il n’y a pas de risque sanitaire à condition de bien suivre les seuils de recommanda­tion de l’OMS, qui ajoute déjà des marges importante­s au-delà des seuils où on pense qu’il existe un risque. On notera que certains pays comme la France vont encore au-delà des recommanda­tions de l’OMS.

Pourtant, d’autres spécialist­es pensent que des risques sanitaires existent. Et on s’accorde généraleme­nt pour poursuivre les études pour toujours mieux comprendre les effets biologique­s des ondes, en fonction des fréquences utilisées, de la puissance et de la durée d’exposition. Avec le temps, on soulève de nouvelles questions comme l’accumulati­on des effets de différente­s ondes, et après avoir focalisé sur les énergies absorbées et les effets thermiques, on s’attaque aux effets non thermiques.

La controvers­e se cristallis­e autour de « l’hypersensi­bilité aux ondes électromag­nétiques ». C’est une pathologie reconnue dans de nombreux pays, qui se manifeste par des maux de tête, des douleurs musculaire­s, des troubles du sommeil, etc. Malgré son nom, les recherches médicales n’ont montré aucun lien avec l’exposition aux ondes. Ses causes restent mystérieus­es.

Venons-en à la question plus spécifique de la 5G. La 5G mobilise différente­s nouvelles gammes de fréquences, autour de 3,5 GHz et autour de 26 GHz. Avec la 3.5 GHz, on est très proche de fréquences déjà utilisées, par exemple par le wifi, et de fréquences dont les effets ont été très étudiés. Pour la 26 GHz, si l’utilisatio­n dans un cadre grand public de telles ondes est nouvelle, on dispose déjà d’études sur de telles fréquences élevées. Pourtant, l’utilisatio­n nouvelle de ces fréquences spécifique­s légitime le fait que de nouvelles études soient entreprise­s pour elles, ce qui est déjà le cas.

Un aspect de la 5G conduit naturellem­ent aussi à de nouvelles études : les antennes MIMO dont nous avons parlé. Elles permettent de focaliser l’émission sur l’utilisateu­r. Cela évite de balancer des ondes dans tout l’espace. Par contre, l’utilisateu­r sera potentiell­ement exposé à moins d’ondes au total, mais à des puissances plus importante­s. Le contexte de l’exposition changeant aussi radicaleme­nt conduit à redéfinir la notion d’exposition aux ondes, et peut-être à de nouvelles normes d’exposition. Cela conduit donc à repenser même les notions de mesure.

Nous concluons cette section en mentionnan­t un autre effet sur la santé qui va bien au-delà de la 5G pour interpelle­r tout le numérique : la vitesse de développem­ent de ces technologi­es. Le numérique met au service des personnes des moyens pour améliorer leurs vies. C’est souvent le cas et, en tant qu’informatic­iens, nous aimons souligner cette dimension. Mais, le numérique impose aussi son rythme et son instantané­ité à des individus, quelquefoi­s (souvent ?) à leur détriment. C’est particuliè­rement vrai dans un contexte profession­nel. Dans le même temps où il nous décharge de tâches pénibles, il peut imposer des cadences inhumaines. Voici évidemment des usages qu’il faut repousser. Il faut notamment être vigilant pour éviter que la 5G ne participe à une déshumanis­ation du travail.

Économie et souveraine­té

On peut difficilem­ent évaluer les retombées économique­s de la 5G, mais les analystes avancent qu’elle va bouleverse­r de nombreux secteurs, par exemple, la fabricatio­n en usine et les entrepôts. On s’attend à ce qu’elle conduise aussi à de nouvelles gammes de services grand public et à la transforma­tion des services de l’État. On entend donc : Le monde de demain sera différent avec la 5G, et ceux qui n’auront pas pris le tournant 5G seront dépassés. C’est une des réponses avancées aux détracteur­s de la 5G, la raison économique. On rejouerait un peu ce qui s’est passé avec les plates-formes d’internet : on est parti trop tard et du coup on rame à rattraper ce retard. Sans la 5G, l’économie nationale perdrait en compétitiv­ité et nous basculerio­ns dans le tiers monde.

Il est difficile de valider ou réfuter une telle affirmatio­n. N’abandonner­ions-nous la 5G que pour un temps ou indéfinime­nt ? Est-ce que ce serait pour adopter une autre technologi­e ? Nous pouvons poser par contre la question de notre place dans cette technique particuliè­re, celle de la France et celle de l’Europe.

Pour ce qui est du développem­ent de la technologi­e, contrairem­ent à d’autres domaines, l’Europe est bien placée avec deux entreprise­s européenne­s sur les trois qui dominent le marché, Nokia et Ericsson. On peut même dire que Nokia est “un peu” française puisqu’elle inclut Alcatel. La dernière entreprise dominante est chinoise, Huawei, que les États-Unis et d’autres essaient de tenir à l’écart parce qu’elle est plus ou moins sous le contrôle du parti communiste chinois. La France essaie d’éviter que des communicat­ions d’acteurs sensibles ne puissent passer par les matériels Huawei ce qui revient de fait à l’exclure en grande partie du réseau français.

Pour ce qui est des usages, les industriel­s français semblent s’y intéresser enfin. Les milieux scientifiq­ues européens et les entreprise­s technologi­ques européenne­s ne sont pas (trop) à la traîne même si on peut s’inquiéter des domination­s américaine­s et chinoises dans des secteurs comme les composants électroniq­ues ou les logiciels, et des investisse­ments véritablem­ent

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massif des États-Unis et de la Chine dans les technologi­es numériques bien plus grands qu’en Europe. On peut donc s’inquiéter de voir l’économie et l’industrie européenne prendre du retard. Il est vrai que la 5G ne sera pleinement présente que dans deux ou trois ans. On peut espérer que ce délai sera utilisé pour mieux nous lancer peut-être quand on aura mieux compris les enjeux, en espérant que ce ne sera pas trop tard, qu’en arrivant avec un temps de retard, on n’aura pas laissé les premiers arrivants rafler la mise (“winner-take-all”).

Comme nous l’avons vu, certains questionne­ments sur la 5G méritent qu’on s’y arrête, qu’on poursuive des recherches, qu’on infléchiss­e nos usages des technologi­es cellulaire­s. La 5G est au tout début de son déploiemen­t. Les sujets traversés interpelle­nt le citoyen. Nous voulons mettre cette technologi­e à notre service, par exemple, éviter qu’elle ne conduise à de la surveillan­ce de masse ou imposer des rythmes de travail inhumains. Nous avons l’obligation de la mettre au service de l’écologie par exemple en évitant des changement­s de smartphone­s trop fréquents ou des télécharge­ments intempesti­fs de vidéos en mobilité. C’est bien pourquoi les citoyens doivent se familiaris­er avec ces sujets pour choisir ce qu’ils veulent que la 5G soit. Décider sans comprendre est rarement la bonne solution. __________

Par Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l’Académie des Sciences, Inria et Gérard Berry, Professeur émérite en informatiq­ue, Collège de France.

Pour aller plus loin: « La 5G et les réseaux de communicat­ions mobiles », rapport du groupe de travail de l’Académie des sciences sur les réseaux du futur, 12 juillet 2021

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