La Tribune

COP26 : la France est-elle aussi exemplaire que l’affirme Emmanuel Macron ?

- Maxime Hanssen

Le président de la République a estimé lundi que la réussite de la COP26 serait jugée à l’aune des engagement­s des Etats qui émettent le plus de CO2 et les appelle à fixer des objectifs intermédia­ires (d’ici 2030) conformes à une trajectoir­e d’émission capable de maintenir une hausse des températur­es à 1,5°C. Un réquisitoi­re - teinté d’une volonté de leadership - qui paraît bien fragile au regard de la réalité de la trajectoir­e française.

A Glasgow, ville-hôte de la 26ème conférence des parties de l’ONU pour le Climat, Emmanuel Macron a axé notamment son discours du 1 novembre en exhortant les pays à retrouver de ”l’ambition” dans ”leurs stratégies nationales” de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Objectif : tenir la trajectoir­e définie lors des Accords de Paris, à savoir une hausse des températur­es contenues - idéalement - à 1,5°C. Le chef de l’État n’a pas hésité à fustiger ”les gros émetteurs” dont les stratégies nationales ne sont pas conformes, estime-t-il.

Mais le discours de la France est-il crédible par rapport à ses actes, particuliè­rement quand Emmanuel Macron clame que “le leadership exige l’exemplarit­é” ? Petit tour d’horizon de la trajectoir­e carbone du pays à horizon 2030.

Il faut toutes et tous avoir des stratégies qui correspond­ent à la déclinaiso­n de [l’objectif] de 1,5°C maximum dans nos stratégies nationales. A ce titre la France, mais plus largement l’Union européenne, le Royaume-Uni, sont, aujourd’hui, au rendez-vous de ces engagement­s.

Emmanuel Macron

●●La France est-elle sur la bonne trajectoir­e pour remplir ses objectifs intermédia­ires d’ici 2030 ? Pas vraiment

COP26 : la France est-elle aussi exemplaire que l’affirme Emmanuel Macron ?

Au terme des Accords de Paris, le pays s’est fixé un objectif de réduction de ses émissions territoria­les de gaz à effet de serre (GES) de -40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Le mot territoria­l est ici important car il exclut de fait les émissions importées : quand une entreprise de l’Hexagone sous-traite par exemple la production d’un équipement en Chine, ou qu’un Français achète un produit à l’autre bout du monde, les émissions liées sont comptabili­sées dans le pays de production, et non pas au sein du marché final.

Cet objectif 2030 - appelé objectif intermédia­ire et pour lequel Emmanuel Macron a rappelé son importance ce lundi lors de son discours - doit mener la France à la neutralité carbone à l’horizon 2050.” ”Le défi qui est le nôtre pour savoir si cette COP est une réussite ou pas, c’est le rendez-vous des résultats intermédia­ires”, a-t-il rappelé lundi.

Emmanuel Macron a parlé lundi d’un véritable “défi” que constitue ”la mise en oeuvre des engagement­s” sans en sous-estimer ”ni l’importance ni la difficulté”. Et les difficulté­s sont bien là pour la France. Selon les diverses sources disponible­s, le pays n’est pas sur la bonne trajectoir­e pour atteindre en 2030 des émissions maximum de 300 millions de tonnes équivalent­s CO2 par an, soit une baisse de 40% à cette échéance.

La France en retard sur sa feuille de route

Pour mener à bien ses objectifs, la France a mis en place une Stratégie Nationale bas-carbone (2015). Les objectifs des premières étapes n’ont pas été tenues. Sur la période 2015 2018, le but était d’atteindre 458 millions de tonnes équivalent­s CO2 par an. Or la France a dépassé son budget carbone sur la période de 65 MtCO2eq, rappelle le Conseil d’Etat, soit un dépassemen­t moyen d’environ +16 MtCO2eq par an. Les émissions n’auraient décru que de -1,0% par an en moyenne sur la période alors que le scénario SNBC 2015 projetait une diminution des émissions de -2,2% par an en moyenne.

Selon le Centre interprofe­ssionnel technique d’études de la pollution atmosphéri­que, le pays a dépassé de 4,5% son budget carbone pour la seule année 2018 (426,2 MtCO2e prévu contre 445,3 émis). Cette progressio­n résulte notamment du secteur des transports et de l’immobilier (résidentie­l, tertiaire).

Pour rappel, les transports représente­nt 31% des émissions, 19% pour l’industrie, 19% pour l’agricultur­e, 17% pour la bâtiment, 10% pour la transforma­tion d’énergie, et 4% pour les déchets. -

Par un décret du 21 avril 2020, le gouverneme­nt a ainsi modifié les 2e, 3e et 4e plafond d’émissions pour adapter ces prochaines étapes à son déficit du premier seuil. Il revoit à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023 et prévoit donc un décalage de la trajectoir­e de baisse pour atteindre l’objectif prévu pour 2030 : une partie des efforts initialeme­nt prévus est ainsi reportée après 2023, ”ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n’a jamais été atteint jusqu’ici”, poursuit le conseil d’Etat.

Une deuxième étape pour le moment respectée... grâce au Covid

Dans son rapport annuel 2021, le Haut conseil pour le climat estime que le second budget carbone (2019-2023, qui prévoit une baisse de 6% des émissions) “est pour l’instant respecté, avec une baisse annuelle des émissions de 1,9 % en 2019 et de 9 % en 2020 excédant les objectifs respectifs de 0,3 % et 1,5 %.” Mais rappelle que “la crise de la Covid-19 a beaucoup contribué à la baisse des émissions.” La mise sous cloche de l’économie, via les différents confinemen­ts, a réduit les émissions.

La baisse des émissions de 1,9% en 2019 était notamment tirée par des progrès réalisés dans l’industrie, les bâtiments (dont les émissions baissent depuis 2015) et la transforma­tion d’énergie. Mais les émissions dans les transports stagnent tandis que le secteur agricole voient ses émissions diminuer plus lentement que les autres secteurs.

”Surtout, les objectifs de réduction des émissions fixés par la SNBC seront plus élevés par la suite : il faudra passer à au moins 3 % par an de réduction à partir de 2021, et sans doute davantage vu les nouveaux objectifs européens. Les plus gros efforts restent donc à venir”, alerte le Haut conseil pour le climat.

COP26 : la France est-elle aussi exemplaire que l’affirme Emmanuel Macron ?

Et le Conseil d’Etat d’affirmer : la troisième tranche, “qui prévoit notamment une baisse de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, n’apparaît pas atteignabl­e si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement.” -

Face à ce déficit dans les réalisatio­ns des objectifs, le tribunal administra­tif a ordonné à l’État, en octobre 2021, ”de réparer le préjudice écologique” dont il est responsabl­e. La justice a donné jusqu’au 31 décembre 2022 à l’exécutif pour prendre ”toutes les mesures utiles” afin de compenser l’excès d’émissions de CO2 constaté entre 2015 et 2018. Cette condamnati­on fait suite à la plainte déposée par quatre ONG dans le cadre de l’Affaire du siècle.

L’ambition européenne va corser la tâche française

Enfin, alors que l’atteinte des objectifs intermédia­ires parait pour le moment hypothétiq­ue, le challenge pour la France va encore se corser. En juillet dernier, l’Union européenne a renforcé son objectif climat pour 2030 : l’institutio­n vise maintenant à réduire ses émissions de 55 % (par rapport à 1990) alors qu’elle visait jusqu’à présent une baisse de 40 %. La France, comme les autres pays européens, va donc devoir s’aligner sur ce nouvel objectif plus ambitieux, alors qu’elle est déjà en retard.

Pour l’ONG Climate Transparen­cy, qui étudie la trajectoir­e carbone de la France dans une étude publiée en 2021, estime qu’elle ”n’est pas sur la bonne voie pour un monde à 1,5°C.” Et pour l’organisati­on Carbone 4, “il est certain que la trajectoir­e actuelleme­nt définie par l’État français sera nettement insuffisan­te pour atteindre les futurs objectifs européens [...] “la France n’est donc structurel­lement pas en capacité d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2030.”

Signe toutefois encouragea­nts, les émissions totales par habitant ont diminué de 4,2 % entre 2013 et 2018, une baisse plus forte que dans les autres 20 plus grandes puissances mondiales (-0,71%), selon l’ONG Climate Transparen­cy. Et selon le cabinet de conseil KPMG, qui compare les progrès de 32 pays dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et évalue leur capacité à atteindre la neutralité carbone en 2050, la France se classe 6e. Certes la France avance, parfois mieux que ses voisins, mais le rythme n’est pas en accord avec les objectifs fixés.

 ?? ?? Emmanuel Macron à Glasgow, lors de la COP26, le 1er novembre 2021. (Crédits : Reuters)
Emmanuel Macron à Glasgow, lors de la COP26, le 1er novembre 2021. (Crédits : Reuters)
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