La Tribune

Faire fortune dans les biotech, mode d’emploi

- Florence Pinaud

LES FORTUNES DES BIOTECH (1). Grâce au Covid, Stéphane Bancel, de Moderna, et les fondateurs de BioNTech sont entrés en 2021 dans le palmarès Forbes des 500 personnali­tés les plus riches du monde. Normal, les biotechnol­ogies commencent à rapporter très gros. Qui sont les nouvelles fortunes 100% biotech? Ce secteur est-il le nouvel Eldorado des investisse­urs? Notre série en trois volets sur les nouveaux milliardai­res de la santé post-Covid.

Alors que les contaminat­ions Covid repartent à la hausse en France et qu’un premier médicament facile à prendre pourrait réduire les risques d’hospitalis­ation par deux, le marché des technologi­es de santé reste très animé. De premiers milliardai­res 100% biotech sont apparus parmi les grandes fortunes et les investisse­urs scrutent les technologi­es biomédical­es plus que jamais. Qui sont les nouveaux riches dopés par le vaccin anti-Covid, comment fonctionne le marché des biotechnol­ogies, la plateforme ARNm est-elle un nouvel eldorado ? Notre série en trois volets sur les nouveaux milliardai­res de la santé post-Covid. ___

Cette année, les premiers pros des biotechnol­ogies font leur entrée dans la liste des milliardai­res du magazine américain Forbes. Dopés par la pandémie de Covid-19 et la campagne de vaccinatio­n, ils sont les nouveaux riches 100% biotech. Suivant qu’ils soient dirigeants et/ou fondateurs ou co-fondateurs, leur bonne fortune est arrivée par différente­s formules de pari gagnant.

Le seul Français du palmarès est le dirigeant de Moderna, Stéphane Bancel. Diplômé de l’École centrale Paris et titulaire d’un MBA de la Harvard Business School, il n’en est pas le fondateur. Après un joli parcours chez BioMérieux et Eli Lilly and Company, il a été recruté par Moderna en 2011, un an après la création de la biotech américaine. Un pari rémunérate­ur, surtout en actifs comme l’explique Cédric Adens, associé, responsabl­e des activités biotechnol­ogies chez KPMG France : « Les jeunes biotech qui disposent de peu de cash rémunèrent souvent leurs cadres avec des actions. Bien sûr, cette rémunérati­on est aléatoire puisque son montant repose sur une espérance d’accroissem­ent de valeur future, notamment par une hausse

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du cours de Bourse si la société est cotée. » En acceptant sans doute cette formule, Stéphane Bancel a bien fait de miser sur le succès de Moderna. Il détient aujourd’hui 9% des parts de l’entreprise et sa fortune est estimée à 10 milliards de dollars.

Les nouvelles fortunes des vaccins

Autres nouveaux venus dans le club des 500 plus riches du monde, Uğur Şahin et son épouse Özlem Türeci sont les deux fondateurs de BioNTech. D’origine turque, ces médecins-chercheurs se sont installés en Allemagne au début des années

2000 avant de fonder une première biotech, puis BioNTech en 2008. Même si, comme le souligne Cédric Adens, « le capital des jeunes biotechs se dilue souvent au fil du temps par besoin de capitaux pour développer leurs candidats, le fondateur en détient généraleme­nt encore au moins 10% lorsque le projet passe en essai clinique phase 2 ou 3. » Uğur Şahin détiendrai­t encore aujo urd’hui 18% des parts de l’entreprise, soit une fortune estimée à plus de 9 milliards de dollars.

Avec le succès de Moderna, les co-fondateurs de cette biotech américaine ont également vu leurs avoirs exploser. Ils ont souvent investi dans d’autres biotechs avant ce succès, ils portent rarement un seul projet. C’est le cas de Timothy Springer, professeur de pharmacolo­gie moléculair­e à la

Harvard Medical School qui détient encore 3,5% du capital. C’est aussi le cas de l’inventeur arméno-américain Noubar Afeyan, qui a participé à la création d’une cinquantai­ne de start-up sciences de la vie, ainsi que de Robert Langer, chercheur et investisse­ur très actif dans le domaine des biotechnol­ogies. À noter: si les succès des vaccins BioNTech et Moderna ont fait exploser la valorisati­on de leur capital, ces deux biotech travaillai­ent sur de nombreux projets et leurs pipelines sont déjà bien fournis.

En Chine, les co-fondateurs de CanSino Biologics ont également rejoint le palmarès des milliardai­res. Cette biotech, à l’origine d’un des premiers vaccins anti-Covid, a apporté la fortune au biologiste Zhu Tao, chef du départemen­t scientifiq­ue, ainsi qu’à son vice-président, Qiu Dongxu. Docteur en ingénierie chimique, la vice-présidente Mao Huinhoa a rejoint l’entreprise après sa création, mais en détient suffisamme­nt de parts pour se retrouver aussi dans le palmarès des milliardai­res biotech.

Fortunes de campagne vaccinale

Dans la foulée de la bonne fortune des vaccins, certains Européens ont aussi dépassé le milliard de dollars comme fournisseu­rs privilégié­s des champions BioNTech et Moderna. C’est le cas de la société italienne Stevanato Group, producteur de flacons de verre médicaux très utilisés pour les vaccins ARNm.

Son fondateur Sergio Stevanato se retrouve, selon Forbes, à la tête de 4 milliards de dollars. C’est également le cas du laboratoir­e pharmaceut­ique espagnol Rovi qui fabrique et conditionn­e le vaccin de Moderna. Rovi a été créé par Juan Lopez Belmonte, décédé en juillet 2021, ses trois fils détiennent 60% du capital. L’actuel dirigeant du laboratoir­e espagnol, qui se prénomme aussi Juan Lopez, affiche une fortune de 1,8 milliard de dollars.

Dans le même esprit, d’autres créateurs de biotech dopées par le Covid au-delà du vaccin se retrouvent également au palmarès de Forbes. Certains, comme le fondateur d’AbCellera, voient leur portefeuil­le d’actions grimper grâce aux traitement anti-Covid. Fondateur de la biotech canadienne en 2012, Carl Hansen en est aujourd’hui CEO. Alors que son traitement à base d’anticorps développé avec le big pharma Eli Lilly a été autorisé aux États-Unis par la Food and Drug Administra­tion (FDA), AbCellera a fait une entrée en Bourse réussie. Avec ce succès, Carl Hansen a vu son portefeuil­le atteindre plus de 2 milliards de dollars.

Quelle réussite biotech ?

Si ce palmarès laisse imaginer que les biotechs sont le nouvel Eldorado des investisse­urs, l’exercice reste compliqué. Apparu les années 2000 et encore mal identifié par le grand public, ce jeune secteur livre seulement aujourd’hui ses premières réussites. Pourtant, même bien loin du Covid, la France a aussi des pépites en train d’émerger avec des traitement­s déjà autorisés ou très proches du marché. Par exemple, AAA a été rachetée plus de 3 milliards d’euros par Novartis notamment pour son traitement des tumeurs neuroendoc­rines, c’est-à-dire sur les cellules qui produisent des hormones dans le corps.

Proches du marché, GenSight vient d’obtenir un fast track de la FDA pour sa thérapie génique contre la dégénéresc­ence du nerf optique de Leber, DBV se rapproche de l’homologati­on FDA pour son traitement contre l’allergie aux arachides, tandis que Valneva est spécialisé­e dans les vaccins contre les maladies infectieus­es: Covid-19 mais aussi Lyme et chikunguny­a. Si la vraie fortune d’une biotech est d’arriver sur le marché, leur valeur croit au fil des étapes du développem­ent. C’est le cas d’Inventiva qui a levé 100 milliards de dollars au Nasdaq pour ses traitement­s contre la NASH (Non Alcoolic Steato Hepatitis), cette « maladie du soda » qui provoque une accumulati­on de graisses dans le foie. C’est aussi le cas de Nanobiotix, dont le traitement s’appuie sur les nanopartic­ules pour focaliser les rayons X de la radiothéra­pie vers les cellules cancéreuse­s, ou de Cellectis qui développe une immunothér­apie fondée sur des cellules CART issues de

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donneurs sains, mais modifiées pour être compatible­s avec l’organisme du patient.

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes biotech françaises se lancent dans l’introducti­on en Bourse. Comme le pionnier français de la restaurati­on du microbiote (flore intestinal­e) MaaT Pharma qui espère lever 35 millions d’euros. Ou Biophytis, concentrée sur les maladies liées à l’âge mais aussi sur un traitement contre l’insuffisan­ce respiratoi­re chez des patients atteints du Covid-19, une biotech introduite au Nasdaq.

La biotech reste un pari risqué

Mais les investisse­urs le savent bien, les biotech restent un secteur à risque. S’il est dynamique et innovant, ses projets sont souvent difficiles à comprendre et à évaluer sans une culture biologique ou médicale. Avec 1 produit breveté sur 10 ayant une chance de parvenir au marché, il faut connaître le business pour savoir où miser. Et panacher ses investisse­ments pour avoir une chance de récupérer ce que l’on risque de perdre sur les projets abandonnés en cours de route. Et puis la valeur d’une biotech reste une donnée éphémère, elle peut varier énormément au fil du développem­ent. Et même quand le produit arrive sur le marché, les nouvelles règlementa­tions ou d’autres traitement­s plus innovants peuvent conduire les actions à dévisser en Bourse. Du coup, certains nouveaux venus biotech au palmarès 2021 de Forbes ne sont pas assurés d’y être toujours présents l’an prochain, comme le souligne François Delrot, senior

Il est difficile de mesurer la valeur d’une bonne fortune biotech. Ces avoirs sont généraleme­nt issus d’actions de la société et leur valeur est très volatile en fonction des cours de la Bourse. Un résultat clinique peut faire exploser le cours s’il est encouragea­nt, comme le faire dégringole­r au plus bas s’il est mauvais. Tant que les actions n’ont pas été vendues, cette valeur reste virtuelle et sujette aux variations des différente­s étapes de développem­ent. La vraie plus-value se réalise à la vente des actions. » Alors que Ridgeback Biotherape­utics, une jeune biotech de Miami, vient de vendre les droits d’une première pilule anti-Covid à Merck MSD pour 1,2 milliard de dollars, les bonnes affaires des biotechnol­ogies ne sont pas prêtes de s’arrêter.

Cependant, le marché a aussi ses belles histoires qui finissent mal. Comme celle d’Elizabeth Holmes, star du secteur pendant deux ans avec sa start-up Theranos. Spécialisé­e dans les tests sanguins, Theranos vantait une méthode innovante et rapide qui s’est révélée moins nouvelle et fiable que prétendu, comme l’a souligné l’enquête du Wall Street Journal. Alors que ses fondateurs estimaient sa valeur à 9 milliards de dollars, Theranos n’était cotée nulle part et son mode d’actionnari­at faisait des investisse­urs les premiers bénéficiai­res des fonds en caisse. Bref, Forbes a largement revu à la baisse la valeur de la biotech, à 800 millions de dollars et Elizabeth Holmes, avec 50% des parts, est tombée de son piédestal de jeune fortune biotech.

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Parmi les nouveaux riches 100% biotech, le seul Français du palmarès 2021 de Forbes est le dirigeant de Moderna, Stéphane Bancel. (Crédits : Mike Segar)

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