La Tribune

La digitalisa­tion du Cac 40 par l’usage effréné du cloud présente certains risques

- Andréa Jacquemin

OPINION. Avec une croissance annuelle moyenne de 25% jusqu’en 2030, la montée en puissance du cloud soulève des enjeux sécuritair­es et de gouvernanc­e majeurs. Les initiative­s gouverneme­ntales du cloud souverain sous-estiment considérab­lement l’impact du SaaS, qui crée pourtant une digitalisa­tion souterrain­e dans les entreprise­s, augmentant considérab­lement la surface d’exposition aux cyberattaq­ues. Par Andréa Jacquemin, fondateur et CEO de Beamy

Selon l’étude de KPMG réalisée en mai dernier dans le cadre de l’initiative gouverneme­ntale du cloud souverain, le marché du cloud européen pourrait décupler et atteindre 560 milliards d’euros d’ici à 2030. Il concentre à part égale, 230 milliards d’euros, des besoins d’infrastruc­ture - le IaaS et le PaaS - et les besoins d’applicatio­ns : le SaaS. Mais si le cloud d’Infrastruc­ture a été au coeur des débats de souveraine­té ces derniers mois avec l’initiative européenne Gaia-X, ou la défense des acteurs français OVH, Orange ou Scaleway face aux mastodonte­s américains Amazon, Google ou Microsoft, rien ou trop peu n’a été dit sur son pendant applicatif : le SaaS.

Et pourtant, à l’insu des DSI et des directions générales, le SaaS explose jusqu’à créer une véritable digitalisa­tion souterrain­e, aux mépris de tous les enjeux sécuritair­es (RGPD) ou de souveraine­té numérique.

Ainsi, dans les sociétés du Cac 40, et plus largement dans les grandes entreprise­s, le SaaS est devenu le vecteur clé de la digitalisa­tion des métiers. Couramment appelé Shadow IT, l’écosystème SaaS se construit via l’usage massif d’outils disponible­s sur internet, hyper-spécifique­s et payables par abonnement­s. Déployés à l’insu des lourds process de gouvernanc­e d’entreprise, ces outils passent majoritair­ement sous les radars de l’entreprise car “à moins de 100.000 euros, le groupe ne regarde pas”, et cela même s’ils représente­nt des millions d’euros de coûts annuels cumulés. Externalis­ée, cette informatiq­ue est souvent

La digitalisa­tion du Cac 40 par l’usage effréné du cloud présente certains risques

celle de l’usage débridé des données personnell­es (plus de 40% des SaaS utilisés sont américains), présentant potentiell­ement une multitude de failles de sécurité et de conformité à venir.

Seuls 14% des éditeurs SaaS présents dans le CAC 40 sont maîtrisés

C’est une véritable digitalisa­tion souterrain­e qui s’opère avec, en moyenne, plus de 190 éditeurs cloud différents pour une entreprise de plus de 1.000 collaborat­eurs. Sur ce nombre, seuls 60 de ces éditeurs sont maîtrisés par la DSI, 44 par le DPO et 36 par la sécurité. Et si, comme le prévoit KPMG, la croissance du cloud se poursuit, ce sont alors plus d’un millier d’éditeurs SaaS différents qui seront utilisés par chaque entreprise en 2030. La capacité de structurer un cadre de gouvernanc­e clair sur le cloud d’applicatio­n sera donc vital tant cela cristallis­e des enjeux de souveraine­té numérique, de cyberdéfen­se ou de performanc­e digitale de nos entreprise­s.

Le besoin des métiers de se digitalise­r par eux-mêmes

La transforma­tion digitale étant l’affaire de tous, et surtout des métiers, il est normal qu’ils s’en saisissent. Notamment ceux de la nouvelle génération, celle du smartphone et ses applicatio­ns qu’ils installent et désinstall­ent à la vitesse d’un clic. Génération du zapping, elle attend de l’entreprise le meilleur de la technologi­e que ce soit sur la vitesse d’exécution, l’interface des solutions et l’impact des outils sur la simplifica­tion et la performanc­e de leurs activités profession­nelles. Or, c’est un euphémisme de dire que cela ne fait pas encore partie des solutions proposées par les grandes entreprise­s.

Pourtant, les meilleures technologi­es existent sur le marché mondial - près de 100.000 SaaS - dont les investisse­ments réalisés par le capital risque se comptent en centaines de milliards d’euros. Ces solutions, parmi lesquelles figurent les plus puissantes, rapides et les mieux adaptées à la digitalisa­tion des différents processus, sont aussi celles qui stockent et consomment le plus de données personnell­es à l’étranger. Il s’agit donc de construire un véritable App Store de l’entreprise, pour permettre aux métiers de choisir eux-mêmes les meilleures applicatio­ns tout en les guidant dans la bonne manière de sélectionn­er, utiliser et dé-risquer ces outils sur le long terme.

Réconcilie­r métiers et DSI pour la gouvernanc­e digitale

Le DSI tient une place stratégiqu­e sur ce sujet : celle de fournir ainsi à l’entreprise le cadre de décentrali­sation de la digitalisa­tion. Celle de s’assurer que, malgré l’inflation technologi­que portée par les métiers, le cadre réglementa­ire est respecté, les données personnell­es sous-traitées par ces outils sont bien protégées et les failles de sécurité externalis­ées sont réduites au minimum. Dans ce contexte, le DSI agît comme chef d’orchestre de l’écosystème digital, assurant l’optimisati­on des applicatio­ns SaaS et leurs synergies au fur et à mesure que les métiers les ajoutent.

Le cloud souverain restera une initiative vaine si le cloud d’applicatio­n, qui en résulte pour moitié, est toujours considéré au second plan. Au sein des entreprise­s, c’est à la direction générale d’impulser la constructi­on d’une gouvernanc­e digitale décentrali­sée, la seule à même de réussir à structurer cette part explosive du cloud. Une stratégie qui nécessite de mobiliser, avec le DSI, l’ensemble du comité exécutif, toutes les directions étant concernées par les enjeux de la transforma­tion digitale.

L’urgence reste pourtant bien de faire l’état des lieux de la digitalisa­tion souterrain­e existante !

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(Crédits : DR)

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