La Tribune

Démocratis­er le débat sur la dette ? Le Sénat veut sortir des discussion­s “techniques”

- Grégoire Normand @gregoireno­rmand

Après l’explosion des dettes publiques, les sénateurs Sylvie Vermeillet (Union centriste) et Eric Bocquet (communiste) proposent de mettre en place un débat démocratiq­ue ouvert et transparen­t au sein du parlement “sur la stratégie d’endettemen­t de la France à moyen terme, et définir des signaux d’alerte (taux d’intérêt, croissance)”.

”Mutualisat­ion”, “cantonneme­nt”, “annulation”...la politique du

“quoi qu’il en coûte” menée par Emmanuel Macron au printemps 2020 a relancé d’âpres débats sur l’avenir des finances publiques.

En Europe, les règles budgétaire­s issues du traité de Maastricht sont remises en question. Ces fameux critères des 3% de déficit et 60% de dette élaborés en France ont été complèteme­nt chamboulés par les dépenses astronomiq­ues des Etats afin de faire face aux dégâts économique­s et sociaux de la pandémie. La politique monétaire non convention­nelle de la Banque centrale européenne a permis à la plupart des grands Etats de l’Union monétaire de se financer à des taux d’intérêt négatifs au pire de la crise sanitaire.

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De son, côté, la Commission européenne avait même décidé de suspendre ces règles jusqu’en 2023 avant d’ouvrir de nouvelles discussion­s sur leur révision il y a quelques jours. Dans les couloirs de Bruxelles, les grands argentiers de la zone s’activent pour remettre à plat ces niveaux jugés “obsolètes” par beaucoup d’économiste­s et de nombreuses forces politiques de tous

Démocratis­er le débat sur la dette ? Le Sénat veut sortir des discussion­s “techniques”

bords. Au printemps, l’ancien ministre de l’Economie sous Chirac, Jean Arthuis, avait défendu la mise en place d’une règle d’or sur les dépenses publiques dans ses conclusion­s rendues au gouverneme­nt.

Un choix économique avant tout

Dans ce contexte, la délégation à la prospectiv­e du Sénat a dévoilé un rapport détaillé ce mercredi 10 novembre sur l’avenir des dettes publiques appelant à sortir des débats techniques entre économiste­s et experts pour faire entrer cette question cruciale dans l’arène politique.

”L’exercice de prospectiv­e n’est pas un exercice de prévision économique, il s’agit d’élaborer plusieurs scénarios. Existe-t-il des limites à la progressio­n de la dette publique ? Rouler la dette, cantonner la dette, la mutualiser sont plusieurs options possibles. La dette n’est pas une question technique mais avant tout un choix économique”, a expliqué la sénatrice Sylvie Vermeillet du Jura, membre de l’Union centriste lors d’un point presse. ”Il s’agit d’un sujet hautement politique. Ce n’est pas seulement un exercice technique et comptable” a ajouté Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord.

Alors que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne dans quelques semaines pour six mois, la question de l’avenir des dettes publiques pourrait à nouveau refaire surface sur le Vieux continent alors que la reprise économique doit faire face à des tensions inflationn­istes et des poussées épidémique­s en Allemagne ou en France.

Un débat démocratiq­ue et ouvert

A l’issue de l’audition d’une quinzaine d’experts et leur rendez-vous à l’agence France trésor en charge de la gestion de la dette de l’Etat, les deux rapporteur­s ont formulé cinq propositio­ns. Parmi les suggestion­s avancées figure “l’organisati­on d’un débat démocratiq­ue ouvert et transparen­t sur la stratégie d’endettemen­t de la France à moyen terme, et définir des signaux d’alerte (taux d’intérêt, croissance) qui nécessiter­aient un nouveau débat au Parlement”.

La pandémie a donné lieu à des joutes entre experts et économiste­s à travers des tribunes et entretiens dans la presse pendant plusieurs mois sans vraiment aboutir à de véritables débats dans l’opinion publique. A cela s’ajoute la verticalit­é du pouvoir conférée par la constituti­on de la Vème République et régulièrem­ent critiquée par les détracteur­s d’Emmanuel Macron.

Interrogés par La Tribune sur les modalités d’organisati­on d’un tel débat, les deux rapporteur­s sont restés relativeme­nt flous.

”L’idée serait d’associer le parlement. Cette dette est en dehors des débats parlementa­ires. J’ai le sentiment que les parlementa­ires sont dépossédés de toutes ces questions sur la dette” a répondu Eric Bocquet. Il ajoute ”qu’il ne faut pas avoir peur de décliner ce débat dans les territoire­s. Ce n’est pas qu’un sujet technique. 81% de nos concitoyen­s considèren­t que c’est un sujet important. C’est une façon de redonner confiance à nos concitoyen­s dans la politique au sens large”.

De son côté, Sylvie Vermeillet se veut rassurante. ”Il s’agit d’éviter une anxiété non nécessaire. Il y a plein de raisons de ne pas être anxieux par rapport à la dette.”

Les deux élus du Sénat proposent également de faire un état de lieux des actifs matériels et immatériel­s de la France qui peuvent être mis en regard de la dette, mettre en place de nouveaux outils de suivi des détenteurs de la dette publique, résidents et non-résidents.

Trois scénarios

Les rapporteur­s ont planché sur trois scénarios relatifs à l’avenir des dettes publiques. Dans leur premier scénario “espéré”, ils tablent sur une stabilisat­ion du ratio de dette publique sur PIB.

”Grâce à une croissance forte, des taux d’intérêt faibles et une maîtrise des comptes publics, il permet une réduction progressiv­e du taux d’endettemen­t public, indolore économique­ment et socialemen­t, il renforce par la preuve la confiance des partenaire­s européens de la France et des marchés, et auto-entretient la facilité à emprunter pour faire rouler la dette”, expliquent-ils.

Cette vision se rapproche de certains principes du gouverneme­nt attaché à la maîtrise des dépenses publiques rappelée par les ministres de Bercy lors de la présentati­on du budget 2022 en septembre.

Le second scénario s’attache à décrire une situation “redoutée” avec une perte de confiance des marchés et l’implosion de la solidarité en Europe. La crise des dettes souveraine­s en zone euro en 2012 et la situation dramatique de la Grèce avait illustré les failles de cette solidarité apparente en Europe. Ce scénario catastroph­e passerait par ”une remontée durable des taux d’intérêt en lien avec des fortes poussées inflationn­istes, une croissance économique en berne, un équilibre des comptes publics de plus en plus dégradé”.

Démocratis­er le débat sur la dette ? Le Sénat veut sortir des discussion­s “techniques”

Enfin dans un scénario “rêvé”, ils font le pari d’une dette “vertueuse”, “qui permet de constituer un patrimoine collectif, de financer des dépenses collective­s d’avenir, de réduire des déséquilib­res autres que financiers, notamment sociaux ou environnem­entaux”.

A cinq mois de l’élection présidenti­elle française, cet exercice de prospectiv­e ne manquera pas de faire débat.

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Les membres de la délégation à la prospectiv­e du Sénat proposent trois scénarios sur l’avenir des dettes publiques. (Crédits : Reuters)
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