Nucléaire : pourquoi Emmanuel Macron veut construire de nouveaux réacteurs
Feu vert pour la relance de l’atome : en pleine COP26, le chef de l’Etat a fait savoir ce mardi que la France allait fabriquer de nouveaux réacteurs nucléaires sur son sol, en reportant toutefois à plus tard les détails sur l’implantation et le financement de ces futurs EPR. L’annonce était pour le moins attendue, alors que le vent semble tourner en faveur de cette source d’énergie bas carbone, à l’intérieur des frontières de l’Hexagone mais aussi au niveau international.
EDF peut souffler. Après des années d’ambiguïté et la fermeture de la centrale de Fessenheim, le signal tant attendu par l’électricien est tombé : l’atome trouvera finalement toute sa place dans l’avenir énergétique que l’exécutif entend tracer pour la France, aux côtés des renouvelables et de l’efficacité des procédés. Et ce, malgré l’accumulation des déboires sur le chantier du premier
EPR français à Flamanville, entrepris en 2007 et toujours pas achevé, et dont les coûts ont explosé.
Pour le Président de la République, le sujet est si important qu’il s’est glissé dans son allocution télévisée de mardi soir, parmi des déclarations sur la pandémie de coronavirus ou sur l’assurance chômage, même s’il n’est pas entré dans les détails.
« Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays, et continuer de développer les énergies renouvelables », a-t-il indiqué lors de son adresse aux Français, dans un discours aux airs de campagne présidentielle.
L’annonce intervient près de cinquante ans après le plan Messmer, ce vaste programme de construction de centrales révélé le 6 mars 1974 au journal télévisé de 20 heures, dont l’objectif était de réduire la dépendance à l’or noir du Moyen-Ori
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ent - à l’époque, la facture énergétique avait plus que triplé du fait du choc pétrolier.
Hier, Emmanuel Macron a lui aussi justifié cette nouvelle salve par le besoin d’« indépendance énergétique de la France », qui devra se montrer capable d’assurer son « approvisionnement électrique ». Mais loin des grandes préoccupations du vingtième siècle, un autre argument s’est ajouté à sa palette : l’atome représente un atout précieux pour atteindre les objectifs climatiques de la France de neutralité carbone en 2050, celui-ci émettant peu de gaz à effet de serre, a fait valoir le chef de l’Etat.
« Si nous voulons payer notre énergie à des tarifs raisonnables et ne pas dépendre de l’étranger, il nous faut tout à la fois continuer d’économiser l’énergie et d’investir dans la production d’énergies décarbonées sur notre sol », a-t-il précisé.
Retour en grâce de l’atome
Initialement, le gouvernement avait pourtant temporisé, en repoussant la décision de construire ou non de nouveaux EPR après la fin du chantier impopulaire de Flamanville. Mais à moins de six mois de l’élection présidentielle, le momentum était plus qu’opportun. Car les partisans du nucléaire, profitant d’un alignement des planètes inédit, reviennent en force, à l’heure où l’urgence environnementale et la volonté de réindustrialisation du territoire imprègnent le débat public.
Et c’est peu dire qu’ils ont été confortés par la publication fin octobre des scénarios « Futurs énergétiques 2050 » du gestionnaire de réseau électrique RTE, commandés par l’exécutif en 2019. Pour cause, cette vaste étude conclut que le mix le moins coûteux, le moins risqué au vu de la trajectoire climatique, et le plus facilement atteignable d’ici à 30 ans au regard des technologies actuelles, ne repose pas que sur les renouvelables et sur le nucléaire... mais sur les deux.
Un pied de nez aux tenants du 100% renouvelable, parmi lesquels le candidat EELV à la présidentielle, Yannick Jadot, qui s’était empressé de dénoncer une « manipulation du gouvernement ».
« RTE nous dit qu’il faut agir vite, donc la décision va être prise, et rapidement », avait quant à elle souligné la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, ouvrant la voie à des annonces d’ici la fin de l’année.
Signe que le calendrier s’accélère, EDF avait posé lundi sa pierre à l’édifice, en assurant que la filière « sera prête » en cas de commande de nouveaux EPR en France, ceux-ci pouvant être livrés « dans le respect des coûts et du calendrier » contrairement à Flamanville. Pour rappel, le groupe avait lancé l’an dernier un plan « d’excellence industrielle » (Excell) comprenant 25 engagements pour restaurer la « confiance » dans la filière.
« Nous avons 22 des 25 engagements qui ont attaqué la phase de déploiement », a ainsi fait savoir en début de semaine Alain Tranzer, délégué général à la qualité industrielle et aux compétences nucléaires d’EDF.
Se félicitant de cette annonce, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Levy, a lui répété lors d’une audition au Sénat ce mercredi que le groupe était « prêt ». EDF avait d’ailleurs rendu au printemps un rapport sur le possible lancement de trois paires d’EPR, et identifié fin 2020 quatre sites capables de les accueillir : à la centrale de
Penly (Seine-Maritime), de de Gravelines (Nord), ainsi que dans la région Rhône-Alpes (à Bugey ou au Tricastin). De quoi préparer le terrain, avant un retour en grâce de l’atome sur le territoire national, en plus des 56 réacteurs déjà installés.
« L’industrie nucléaire française est aujourd’hui prête à construire ces réacteurs EPR2, qui créeront de nombreux emplois qualifiés, multiplieront les innovations et feront reconnaître une nouvelle fois ce savoir-faire industriel français à travers le monde », a également réagi hier soir Cécile Arbouille, Déléguée Générale du Groupement des Industriels Français de l’Energie Nucléaire (GIFEN).
Des investissements aux quatre coins du globe
D’autant que la résurgence du nucléaire dépasse les frontières de l’Hexagone. Après avoir été longtemps écartés des conférences climat, ses promoteurs sont venus vendre les mérites de cette source d’énergie bas carbone à la COP26, qui se tient actuellement à Glasgow. Pour cause, de plus en plus de pays investissent dans l’atome, mettant en avant ses atouts pour le climat.
Alors que la Pologne compte dessus pour sortir du charbon, l’Inde discute avec EDF pour bâtir la plus grande centrale au monde. Quant à la Chine, elle a récemment annoncé la construction de pas moins de 150 réacteurs nucléaires sur son sol et une trentaine à l’export, pour diminuer sa dépendance aux énergies fossiles.
Autre signe que la technologie a le vent en poupe : Pékin développe, en plus des EPR, des petits réacteurs dit SMR (small modular reactors), en même temps que de nombreux acteurs comme les Etats-Unis, le Canada ou la Russie. Fin 2020, l’agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) dénombrait 72 projets de SMR en développement ou en construction à travers
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18 pays. Pour ne pas être à la traîne, Emmanuel Macron avait quant à lui annoncé en octobre mettre 1 milliard d’euros sur la table afin de développer cette méthode « innovante », « plus modulable » et « beaucoup plus sûre », qui porterait haut l’industrie tricolore dans le secteur.
Enfin, à Bruxelles aussi, le climat semble tourner en faveur de l’atome, même si rien n’est encore joué. Pour rappel, la Commission européenne s’était engagée à établir un label européen des investissements « verts » (taxonomie) mais avait reporté la décision d’y inclure ou non le nucléaire, pour l’instant toujours en suspens.
Pour l’aiguiller, l’institution avait fait appel au Centre commun de recherche, qui avait conclu en mars qu’« aucune preuve scientifique » ne démontrait que l’énergie nucléaire était « plus dommageable pour la santé humaine ou l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie ».
Mais alors que l’Hexagone milite pour l’y ajouter, plusieurs pays s’y opposent, dont l’Allemagne, l’Autriche ou le Luxembourg. Reste que Berlin a ouvert, mi-octobre la voie à un compromis, puisque se pose aussi l’inclusion du gaz dans la classification. Nul doute que la décision d’Emmanuel Macron de relancer pour de bon le nucléaire en France pèsera dans la balance. Reste toutefois une inconnue et non des moindres : sa réélection à la présidence de la République en avril prochain.