La Tribune

« Les plans blancs sont devenus la nouvelle norme des hôpitaux » (Arnaud Chiche, Collectif Ma Santé en Danger)

- Marie Lyan @Mary_Lyan

INTERVIEW. Il viendra à nouveau ce week-end des Hauts-de-France en renfort, afin d’épauler ses confrères du service des urgences du centre hospitalie­r de Voiron, cette fois à la demande de la direction. Alors que le ministre de la Santé OIivier Véran est attendu ce vendredi au CHU de Grenoble pour défendre le Ségur, l’anesthésis­te Arnaud Chiche, fondateur du collectif Santé en danger, estime qu’une nouvelle vague pourrait « faire tomber » le système de santé français et appelle une nouvelle fois à un Ségur 2 de la Santé.

LA TRIBUNE - A quel moment remonte la création de ce collectif, qui rassemble aujourd’hui 9.000 adhérents, et plus largement, jusqu’à 200.000 membres ?

ARNAUD CHICHE - Je suis anesthésis­te-réanimateu­r dans les Hauts-de-France, et je n’ai aucune appartenan­ce politique, mais je me suis mis en colère lors du Ségur de la santé en juillet 2020. Nous avons senti le drame arriver et nous avions été les premiers à dire que la catastroph­e allait survenir. On a essayé de discrétise­r la parole du collectif, mais nous avions déjà dit que le Ségur ne répondrait absolument pas aux attentes.

L’exécutif en place n’est pas responsabl­e de l’ensemble de la situation, mais c’est désormais lui qui est désormais aux commandes et qui doit agir.

Il faut un Ségur 2, car l’enjeu est de réécrire aujourd’hui complèteme­nt le fonctionne­ment du secteur de la santé : ça ne va pas dans les Ehpads, en ville, à l’hôpital, dans les corporatio­ns, mais aussi les organisati­ons de travail, jusqu’à la formation...

« Les plans blancs sont devenus la nouvelle norme des hôpitaux » (Arnaud Chiche, Collectif Ma Santé en Danger)

Les résultats sont sous nos yeux : les urgences ferment, les Smur également. Le service de Voiron en Isère en est l’illustrati­on.

Vous avez été contacté pour venir en renfort à l’hôpital de Voiron (Isère) à nouveau ce vendredi, soit à plusieurs centaines de kilomètres de votre domicile, dont les urgences avaient déjà dû fermer pour les nuits de lundi et mardi, par manque de personnel ?

Il s’agit d’une situation nationale, mais c’est un collègue, médecin aux urgences de l’hôpital de Voiron, qui m’a interpellé car il avait besoin d’aide. Je suis venu pour lui rendre service et lui permettre de se reposer.

Cette semaine, c’est le CHU de Grenoble dont dépend l’hôpital de Voiron, qui m’a rappelé, car il recherchai­t des ressources pour que ses urgences puissent fonctionne­r.

Le week-end dernier, le Smur avait déjà pris en charge sur place un jeune de 19 ans atteint d’une péricardit­e, ainsi qu’un autre patient atteint de troubles neurologiq­ues, auquel on a décelé une tumeur : où seraient allés ces patients si les urgences avaient été fermées ?

Quel est le diagnostic que vous posez, à l’heure où Olivier Véran doit se rendre au CHUGA ce vendredi pour évoquer le bilan du Ségur ?

Aujourd’hui, rien n’est fait pour que les soignants restent en poste. Il faut aujourd’hui appliquer des mesures de stabilité du personnel, des revalorisa­tions salariales mais aussi leur offrir des perspectiv­es de carrière et réorganise­r le travail au quotidien, car ils ne peuvent plus tenir le rythme.

La France est tout de même 17e sur 23 au sein des pays de l’OCDE, en ce qui concerne les revenus des soignants. Quand on demande sans cesse de faire plus avec moins, ça craque. Les hôpitaux reçoivent toujours plus de patients en l’espace de 20 ans, mais en parallèle, de moins en moins de moyens sont alloués.

C’est le rôle des politiques tout d’abord, avec une situation qui découle de deux décennies d’abandon des politiques de santé, mais aussi de la tarificati­on à l’acte, qui a fait beaucoup de mal : car pour un même acte, sa rémunérati­on diminue chaque année. Par exemple, une appendicit­e coûtait 100 euros il y a trois ans, contre 60 euros aujourd’hui...

Plus que l’hôpital qui décroche, c’est également l’effet domino qui se fait sentir également sur la médecine de ville, dont les délais d’attentes et les agendas des médecins traitants et spécialist­es étaient déjà bien remplis ?

Il faut se poser les bonnes questions car aujourd’hui, les médecins généralist­es sont également sidérés par la charge administra­tive qui pèse sur eux : certains passent près de 40% de leur temps à remplir des papiers ! L’Etat doit être là pour les accompagne­r à financer des postes de secrétaire­s.

Quant à l’hôpital, on a eu des plans blancs « de printemps » avec le Covid, « d’été » avec le Covid et la canicule, « d’automne » avec la grippe et la brionchiol­ite, et maintenant « d’hiver », et on ne sait même pas très bien pourquoi... C’est devenu la nouvelle norme dans les hôpitaux de France, il ne s’agit plus d’une mesure exceptionn­elle.

Si jamais nous avons une petite 5e vague, l’hôpital va tomber. Les Français verront le taux de surmortali­té grimper.

En Auvergne Rhône-Alpes, et notamment en Isère, se pose justement à nouveau la question de l’accueil des accidents de ski, face à la réouvertur­e prochaine des stations après une saison blanche... Est-ce que cela peut constituer une menace ?

Il est certain que des médecins s’inquiètent déjà aujourd’hui pour la prise en charge, par le système médical, des accidents en traumatolo­gie qui pourront survenir cet hiver. Même des structures comme le Smur de Voiron sont en réalité amenées à prendre en charge des accidents survenus en territoire­s de montagne...

Conséquenc­e de ces plans blancs, une réorganisa­tion des services est envisagée par les hôpitaux et cliniques du Sud Isère : cela passe par de nécessaire­s fermetures de lits ou de services ?

Mettre en place un plan blanc signifie que l’on peut rappeler les soignants, qui étaient déjà épuisés, en congés et les empêcher de prendre leurs vacances pour les envoyer sur les fonctions les plus critiques.

Cela signifie aussi que l’on peut fermer des services ou réajuster des opérations, arrêter certaines activités. En gros, on essaie seulement de maintenir tout ce qui est indispensa­ble à la vie, et d’arrêter tout le fonctionne­l.

Est-ce la pandémie, ainsi que le sujet de l’obligation du pass sanitaire pour les soignants, qui ont joué un rôle de

« Les plans blancs sont devenus la nouvelle norme des hôpitaux » (Arnaud Chiche, Collectif Ma Santé en Danger)

“déclencheu­r” dans ce burn-out que subit aujourd’hui la profession médicale ?

Bien entendu, le Covid a fatigué tout le monde et cela n’a pas été facile. Mais les gens ne quittent pas l’hôpital car ils sont fatigués, les soignants ne sont pas des feignants ! La crise a surtout mis un coup de projecteur sur l’état du système de santé français, mais même avant cela, l’hôpital n’allait pas bien.

Le pass sanitaire a surtout fait du mal à l’image, et la brutalité avec laquelle il a été imposé est regrettabl­e. Mais je crois qu’au fond, il n’y a aujourd’hui pas de débat sur le fait que les soignants doivent être vaccinés. Cependant, l’Etat aurait pu être davantage dans l’accompagne­ment, plutôt que de suspendre les gens, ce qui a été perçu comme un acte très violent.

Que deviennent ces soignants aujourd’hui qui décident de raccrocher leurs blouses ?

Certains ont décidé d’aller travailler en ville, d’autres changent complèteme­nt de carrière, travaillen­t avec leur mari qui est commercial... Il n’existe malheureus­ement aujourd’hui pas d’étude à ce sujet, ni d’enquête de terrain menées par les autorités de santé.

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(Crédits : DR)

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