La Tribune

« L’Université a besoin d’un choc de simplifica­tion » (JeanPhilip­pe Agresti)

- Laurence Bottero l_bottero

ENTRETIEN - Doyen de la faculté de droit d’Aix-Marseille Université, il porte sur le fonctionne­ment actuel des université­s un regard critique, issu de sa connaissan­ce et de sa pratique quotidienn­e du terrain. Suggérant des évolutions plus que des modificati­ons profondes, mais de nature à renforcer l’attractivi­té du parcours universita­ire, aussi bien d’un point de vue étudiant que d’un point de vue compétitiv­ité à plus grande échelle.

LA TRIBUNE - Près de deux ans après le début ce que l’on nomme la crise, laquelle a vu des périodes de confinemen­t entraîner l’arrêt de quasi toute activité, quel bilan faites-vous de cette période qui a demandé aussi souplesse et adaptabili­té aux université­s ?

JEAN-PHILIPPE AGRESTI - Nous nous sommes appuyés sur les valeurs de l’université, ce qui nous a permis de traverser cette période de crise, de continuer à délivrer des diplômes. Dès le mois de mars 2020, nous nous sommes rendus compte de la situation sociale de nos étudiants mais pas que celle-ci serait aussi dégradée, avec l’apparition de problèmes d’alimentati­on, de fracture numérique et de précarité des femmes. Beaucoup ont perdu les petits boulots qui leur permettait de vivre. Nous avons donc très rapidement mis en place une chaîne de solidarité et les étudiants se sont mobilisés. Nous avons utilisé tout ce que la réglementa­tion permettait de faire pour accueillir ceux qui étaient le plus en détresse. Nous avons continué à maintenir des petits boulots étudiants. Nous avons également dû gérer les étudiants étrangers. Il y a eu une grande détresse également du côté des doctorants, qui ont ressenti un fort isolement, renforcé par l’impossibil­ité d’accéder à de la documentat­ion - car tout n’est pas numérique - qui ont participé à la continuité pédagogiqu­e, voyant leur travail de thèse prendre du retard. Nous avons rencontré des difficulté­s, tant du côté des étudiants que du côté du personnel, avec des craintes multiples exprimées.

« L’Université a besoin d’un choc de simplifica­tion » (Jean-Philippe Agresti)

Des inquiétude­s plus précises ont-elles émergé ?

Il existe une inquiétude sur la valeur du diplôme. Or, les diplômes obtenus l’ont été dans des conditions difficiles, donc cela ne peut pas être considéré comme une obtention au rabais. Bien au contraire. Cela en fait une force. Une autre inquiétude concerne l’insertion profession­nelle. Nous multiplion­s les actions avec le monde socio-économique pour rassurer et dire de ne pas avancer dans la crainte et l’angoisse.

Plus globalemen­t, la période de crise que nous avons vécu a aussi permis de poser une réflexion sur le fonctionne­ment global des université­s, dont il ressort qu’elles nécessiten­t un choc de simplifica­tion. A l’université, tout est devenu complexe, avec un sentiment de déclasseme­nt général. La question salariale n’est, par exemple, jamais évoquée. Il y a bien eu la revalorisa­tion de la rémunérati­on des maîtres de conférence, par exemple. Mais si certaines bonnes décisions ont été prises, elles ont été mal vécues ou mal comprises. La sélection en Master, a ainsi provoqué de grandes difficulté­s. Cela renvoie au cycle de formation. Le rythme est-il toujours pertinent ?

Quelles sont les problémati­ques posées par la sélection en master ? Faut-il envisager une réforme ?

Je suis très attaché à la méritocrat­ie républicai­ne et il me semble normal d’évaluer à chaque étape. Mais nous sommes confrontés à la difficulté de la gestion technique des candidatur­es. Et cela, c’est le personnel administra­tif qui l’absorbe. L’étudiant fait plusieurs demandes et il n’y a pas d’échanges d’informatio­ns entre ces différente­s demandes, entre les réponses positives ou négatives, les choix finaux de l’étudiant. Avec pour conséquenc­e de rendre le tout long, angoissant et fastidieux pour l’étudiant comme pour le personnel. Tout cela aurait mérité d’être davantage anticipé. L’idée d’une plateforme qui puisse gérer les demandes et libérer les places dès qu’un étudiant a avalisé son choix parmi les multiples demandes qu’il a fait, a émergé. La sélection est fondamenta­le mais aujourd’hui j’ai le sentiment que nous sommes dans un système où nous n’avons pas droit à l’erreur. Un étudiant qui a des résultats convenable­s mais qui traverse une passe difficile, alors qu’il a le potentiel de faire un bon Master, peut se retrouver dans un « ventre mou », qui peut l’empêcher de réussir. Quelque chose me gêne dans cette situation. J’aimerais que le sujet soit repensé. Ne faut-il pas repenser nos cycles d’études ?

Quel type de réforme proposez-vous ?

Pourquoi ne pas proposer une licence qui se déroulerai­t en 4 ans, suivie d’une spécialisa­tion en 2 ans ? Dans ce cas, la sélection reprendrai­t de sa valeur et les étudiants qui ont ainsi parcouru l’ensemble de l’enseigneme­nt durant 4 ans, sauraient ensuite vers quelle orientatio­n s’engager. Il conviendra­it d’ajouter à cela une vraie politique d’apprentiss­age. L’apprentiss­age permet le contact avec le monde profession­nel mais il a également une vertu sociale.

Vous portez également un projet qui concerne davantage la petite enfance...

Je travaille, en effet, depuis quelques semaines à la création d’un Institut de l’enfant où se mêleraient recherche fondamenta­le et recherche appliquée, tout en y associatio­n les entreprise­s. Je recherche pour cela des partenaire­s. Pour ce projet, je suis parti de ce que je connais le moins mal, le droit. Ce qui importe, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous rencontron­s une individual­isation des parcours, qui touche très tôt l’enfant. L’Education nationale remplit bien son rôle d’apprentiss­age des connaissan­ces. Beaucoup a été fait ces dernières années sur l’apprentiss­age des savoirs fondamenta­ux. Toutefois, l’école reste organisée pour partie sur un modèle familial suranné (ou dépassé...). C’est pour cela qu’il convient d’imaginer un modèle qui correspond­e pleinement à notre société...

 ?? ?? (Crédits : DR)
(Crédits : DR)

Newspapers in French

Newspapers from France